Archives pour novembre, 2007

  

 

Les clichés pris sans artifice ni préoccupation esthétique, seulement pour enregistrer un lieu, peuvent s’ouvrir à la pure imagination. Le familier, ainsi encadré et distancié, devient étrange, le pays connu devient l’étranger. 

Ces voitures par exemple, en réalité rangées le long du trottoir, paraissent abandonnées dans la panique d’une invasion, d’un cataclysme nucléaire ou climatique. De l’autre côté de la rivière un drapeau français à l’arrière du yacht flotte comme un défi. L’eau prend la texture d’un tweed, le silo obstrue tout ce qui se trouve à gauche.

 Surtout, ce paysage attend. Quelque chose va se passer, et ce ne sera pas le quotidien. C’est comme dans un rêve, où les bâtiments s’évanouissent ou se déplacent, où la personne à côté du rêveur change d’identité – le garagiste devient sa soeur – avec autant de facilité que si elle rangeait un mouchoir blanc dans sa poche et en sortait un rouge. La traversée de la voie d’eau se fera en sautant, le pied rebondissant sur sa surface au milieu. Ou à la nage, l’eau s’enroulant autour des jambes comme des bras, le tirant vers le fond. 

Ce rappel du langage des rêves fait revivre le souvenir de la peur qui m’habitait les nuits de mon enfance. En me couchant, je marmonnais vite fait le « Notre père » et un appel à la bénédiction d’une longue liste de parents, en commençant par mon père, ma mère et mon frère, en incluant deux grandes Tante Lizzie déjà mortes, un oncle pour qui je continuais à ajouter « Protège-le », alors qu’il était depuis longtemps revenu de la guerre, et en terminant par moi-même, avec la demande  de faire de moi « un bon garçon », le tout au nom du Christ. Puis je passais au travail de fond, la répétition d’innombrables fois de la phrase « Ne me laisse pas faire de mauvais rêves. » Mon vœu n’était pas souvent exaucé. Le bon Dieu, que je voyais clairement comme une sorte de tente canadienne, plantée sur un nuage et surmontée d’une tête, devait espérer faire de moi un homme en me laissant subir la nuit toutes les terreurs, toutes les confrontations, que je m’ingéniais à éviter le jour. C’était un mauvais calcul de Sa part : l’épouvante nocturne m’affaiblissait encore davantage le lendemain. Un jour, pour cette raison comme pour d’autres, j’ai décidé de punir le Seigneur en Lui retirant son existence.

L’âge adulte n’avait pas arrangé les choses, développant seulement les formes d’horreur. Une constante : je rencontrais des gens, je les entendais, ou je les voyais de loin. Comme l’homme sur la photo, le dos tourné, ils avaient l’air banal. Puis un détail, un rire un peu acéré, un œil qui fixait, la démarche, me révélait la vérité rêvée : ce n’étaient pas des hommes, mais des monstres, qui me dévoreraient en s’esclaffant. La trahison était accomplie.
 
Enfin, pendant un séjour aux Indes, je suis passé par une expérience cauchemardesque, mais consentie, choisie même. Le fait de ne plus fuir mais de confronter en plein jour la peur qui profitait du noir pour m’intimider a été décisif. Je ne m’éveillerais plus en sursaut aux aubes d’une journée déjà abîmée, écaillée, moisie. L’homme au bord de l’Aisne sur l’image pourrait encore se retourner, laisser éclater son inhumanité. Mais maintenant, en m’éveillant apeuré, je le vouerais allègrement aux gémonies, là où appartiennent les monstres rêvés.
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Quelqu’un qui peut-être ment
m’a raconté
qu’il y a longtemps
au siècle dernier
dans la rue des Graviers
de sordides faits
se sont déroulés.

A Soissons, petite ville pas si loin du Nord
dans cette rue qui menait au port,
les mariniers s’agitaient le soir.
Les bars, les filles, les chansons à boire
lui donnaient son allure, son empreinte.
Univers glauque, rencontres de deux mondes,
comment y pénétrer sans crainte ?
Travailleurs du jour et loubards de la nuit,
au crépuscule, dans la rue des graviers se fondent.

Quelqu’un qui peut-être dit la vérité
raconte le meurtre perpétré,
par une nuit épaisse, de haine suintante,
déchirée par l’éclat glacé
d’une lame acérée foudroyante !
Le jeune marin titube, ployé,
Il est surpris, lui si jeune, si beau,
de rencontrer la mort si tôt.
Il la regarde, incrédule
« quoi déjà, mon heure est là ? »
Sous le choc il recule
il vacille, il cherche quelqu’un
du secours, à l’aide, par là !..
Il se traîne, à tâtons trouve le chemin
d’un passage, d’une cave, d’une maison
qu’il espère amie
pour se mettre à l’abri.

Pourquoi lui ? Le tuer pour quelle raison ?
Jalousie, alcool qui monte à la tête
un homme a fait sortir de lui la bête,
et un autre en est mort.
Quel cruel et terrible sort !
Dans cette grande maison du port
Les murs ont capté les ondes de peur,
halo oppressant des fantômes du passé,
faisant que jamais au grand jamais
personne n’a pu y trouver le bonheur.

C.M.

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Rue des graviers à Soissons. Que peut-on bien raconter aujourd’hui sur cette rue banale à mourir, dans ce quartier qui pourrait être si beau à condition qu’on aménage un peu ces bords de l’Aisne ? Au lieu de cela on laisse à la vue des soissonnais et des touristes ces lugubres silos en béton d’un autre âge et les programmes municipaux remettent inlassablement leur projet de destruction sans qu’on trouve jamais le budget pour le faire !

 

 

 

 

 

Alors les « graviers » ? C’était au temps où la construction d’immeubles et de routes nécessitait de grandes quantités de sables et de graviers et le lit de l’Aisne en fournissait à foison. A cette époque le transport se faisait par péniche et les quais au bout de la rue avaient un petit parfum de port avec ses belles péniches et ses « mariniers » au parler « chti », s’interpellant d’un bateau à l’autre.

Pas loin de là, à quelques « encablures » pour rester dans le langage des mariniers, on trouve ce qui s’appelle aujourd’hui la « passerelle des anglais ». Pendant 11 siècles (depuis 825)cela a constitué le plus vieux et l’unique pont de la ville et comme beaucoup de ses semblables en France, des légendes circulent encore, évoquant le Diable et ses œuvres : pacte passé par l’architecte pour achever le pont et tribut payé en âmes destinées à la damnation. On raconte en effet que, en vertu de ce pacte qui avait permis de construire le Pont en une nuit, chaque treizième piéton qui l’empruntait disparaissait et son âme allait en Enfer !

Le pont était constitué de 6 voutes.

Après sa destruction par les allemands en 1914 il fut reconstruit par les anglais, d’où son nom. Aujourd’hui ce n’est plus qu’une misérable carcasse métalliques en parfaite harmonie avec la pauvreté du quartier et l’absence d’initiatives municipale en matière d’aménagement. Son emplacement est idéal dans la ville et j’en veux pour preuve que beaucoup de jeunes s’y donnent rendez-vous comme ils le font à Paris avec le Pont Saint-Michel.

Alors il reste à souhaiter qu’un élu passera un nouvel accord avec le Diable (un investisseur privé?) pour redonner vie à ce quartier et rebaptiser peut-être la « rue des graviers » en « rue du Pont Neuf ».

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