Vrai c’est insensé ce qu’il a plu ce printemps, ce sont même des trombes d’eau qui nous sont tombées dessus sans discontinuer depuis la dernière lune. Ma vasque en coquille n’en pouvait plus de me faire le grand jeu des Plaisirs du Roi, de telle sorte que j’étais doublement arrosé, exposé de toutes parts aux caprices du ciel et plus étroitement touché par les ruissellements circulaires de mon étrange couvre-chef; ainsi retranché dans ma cascade et dans une absence totale de repères conséquente au brouillage en surface de mon bassin,  j’avais bel et bien perdu ton reflet, mon petit pâtre, mon compagnon joueur de flutiau et je ne percevais de musique qu’étonnants martèlements impressionnistes à la Debussy ; j’ai même reconnu parmi le flic-flac des gouttes dans un mouvement  mezzo voce une lointaine berceuse que me susurrait ma mère, la pâle Angélique, lorsqu’elle m’abritait sous ses ailes laiteuses, une berceuse qui enjoignait l’enfant-do que j’étais à faire bientôt dodo, mais il n’était plus question de dormir sous ce déluge et dépourvu de la moindre protection ; j’ai claqué des dents tout avril en maudissant les nuages qui me coupaient de ton image, me laissant seul, harassé sous le poids de ma vasque, et songeant avec tristesse qu’il était revenu de sa béatitude l’angelot replet arraché à sa cohorte de chérubins lorsqu’il mesurait, à la patine de sa pierre, les années parcourues… Dis, en avons-nous vécu des temps fastueux, réceptions officielles, soirées d’apparat, en avons-nous surpris des intrigues et des rires sous cape, observé des alliances, chuchotements et conciliabules, et comme nous savions pudiquement détourner le regard lorsque se tenaient en notre présence de galants entretiens… A la naissance du jour, la cour d’honneur avait retrouvé son intégrité et ton chant montait léger pour faire danser quelque bergère, éveillant un à un les oiseaux du parc, je te contemplais comme aujourd’hui au miroir de mon eau tranquille puisque le bâtisseur nous a ainsi ordonnancés l’un et l’autre tournés au zénith, interdits de tête à tête,  je contemplais ton image, tout comme aujourd’hui, rassuré par ta proximité, empli de tes trilles, et les jours auraient pu s’écouler sereinement ponctués par les ombres portées du cadran solaire si n’étaient venues les années noires, celles de la décadence, de la mise à l’écart : voilà que la belle demeure a sombré dans l’oubli, alors ce furent les attaques d’une végétation exorbitante, les mousses, le cresson, l’oseille sauvage, les lichens s’acharnaient sur moi, obstruant le miroir, absorbant ma réserve d’eau, étouffant ta musique, les lierres progressaient en s’enroulant comme des liens maléfiques et les pigeons déversaient leurs fientes depuis les rebords de ma vasque, la beauté ne rêgnait plus, l’eau ne jaillissait plus et les bosquets n’abritaient plus de secrets ; il a passé sur nous des saisons, des pluies et des grêles, de timides soleils aussi, mais les jours ne dansaient plus, ni les pastourelles au pied léger, et toi mon beau pâtre, tu avais si bien déserté le fil de l’eau que ma couleur se fanait au gré d’un réel chagrin… Qui a donné l’alerte ? un matin ont débarqué jardiniers et rédempteurs de tout poil qui se sont employés à réhabiliter les lieux , et voici venues les journées du patrimoine qui nous mettent à l’honneur en préambule à la visite de l’Hotel de Barral, j’y apprends en percevant de nouveau toute la gaieté de ton chant que nous formons dans la cour d’honneur “quelques éléments remarquables de nature à enflammer l’imagination : un bassin Napoléon III, un petit ange de pierre portant sur sa tête une coquille Saint-Jacques, un Dieu Pan jouant de sa célèbre flûte et, sur le même alignement, un cadran solaire mesurant inlassablement le temps qui passe.”

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