Le matin, je descends. Dans l’escalier, j’ouvre le premier rideau, geste accompli tous les jours dans le bonheur. Au-delà du pré, puis derrière les peupliers nus aux boules de gui, la lumière du jour, encore diffuse, me rassure. Aujourd’hui je verrai où je mets les pieds.

L’image du mois ? Cette cour d’hôtel est une cafétéria, avec des plats pour éveiller l’appétit de l’imagination. Cadran solaire, Pan, fontaine. Mais c’est la coquille de Saint Jacques qui me choisit. Posée à plat, elle fait vasque, bénitier, plateau à fruits. Je la redresse d’un coup de pensée. Son creux devient gîte, ses stries amorcent tous les chemins de l’univers.

Comment suivre l’un d’eux ? Le pèlerin, que son chemin soit spirituel, religieux, historique, familial, professionnel, a besoin de lumière pour voir où il va.

Une amie qui travaille avec des malades du Sida au Cambodge réagit mal à ma préoccupation avec cette lumière. Elle en a marre, dit-elle, de croiser ces intervenants humanitaires qui s’identifient immédiatement par leur appartenance à une église. Ne peuvent-ils pas travailler sans se réclamer d’une idéologie ? Pour lui répondre, je cherche mes mots et, comme souvent, c’est eux qui amènent la netteté.

La lumière du pèlerin n’est pas un flambeau extraterrestre qui éclaire un chemin tracé par un tout-puissant. C’est lui-même qui l’allume. D’aucuns la génèrent par leur engagement spirituel, d’autres par une aspiration matérielle. Je la discerne dans un combat pour voir clair, ne pas m’illusionner, ni me cacher ni battre la retraite, ni éviter l’inconfort ni refuser l’allégresse.

Le passé du pèlerin devient un album à feuilleter, enregistrement du parcours. Les clichés sont bouleversants, décevants, sublimes ou comiques. Dans un groupe (j’allais dire une auberge) j’ai eu enfin le courage de me battre. Résultat : deux côtes fêlées. Une semaine plus tard, la bataille reprend et nous finissons tous deux emmêlés dans mes bandelettes, momies étonnantes de jeunesse, soudain ressuscitées.

Après le chemin passé il y a, non pas un but, mais un avenir. Ombrée ou radieuse, la lumière le montre.

D’ailleurs, l’écriture est un pèlerinage, de l’impulsion initiatrice au texte, qui est rarement celui qui s’apercevait de loin. Réfléchir à la notion, puis éclaircir les idées comme on éclaircit les poireaux trop nombreux dans un semis, interroger autour de moi puis – parfois avec exaltation, parfois pieds nus sur des cailloux (comme les pèlerins du lac Derg en Irlande) – mettre en mots, voilà le pèlerinage qui est parti de l’hôtel de Barral.

Le matin, je descends. Dans l’escalier, j’ouvre le premier rideau, geste accompli tous les jours dans le bonheur. Au-delà du pré, puis derrière les peupliers nus aux boules de gui, la lumière du jour, encore diffuse, me rassure. Aujourd’hui je verrai où je mets les pieds.

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3 réponses à “Où je mets les pieds”
  1. Denis Mahaffey dit :

    Je joins une définition du pèlerinage envoyée par Marguerite-Marie Dubois, pour m’aider dans ma réflexion. DM

    “Vous songez au pèlerinage.
    Je pense :
    - au pèlerinage de la foi : vers un sanctuaire, en quête de lumière et de progrès spirituel, en marche vers l’avant et le ‘plus haut’, c’est-à-dire l’exelsior, le dépassement de soi et l’atteinte du but céleste qui est le seul objectif logique de l’âme en essor ;
    - au pèlerinage de l’entendement : vers les traces du passé, le retour à l’enfance, les démarches successives de l’intuition et de la raison ‹ en somme, l’essai d’analyse de l’évolution intellectuelle, le détail des progrès accomplis dans le champ des connaissances et de la culture, la joie de découvrir un mieux-être grâce à un mieux-penser ;
    - au pèlerinage du cœur : vers les émotions de l’adolescence et de la jeunesse, la sympathie spontanée, la compréhension, l’entente, l’amitié, la tendresse, Š la rencontre enfin des amours et de l’Amour, et, qui sait ? la fusion de l’osmose ; sans oublier, sur un autre plan, la charité, l’empathie ou la simple chaleur humaine ;
    - au pèlerinage de la profession, dans la diversité des attraits ou des vocations : vers les tâtonnements des débuts, les avancées et les reculs des apprentissages, l’enseignement des échecs et le réconfort des réussites ‹ pour tout dire : une marche vers l’avenir, ce qui exclut la “retraite”, c’est-à-dire la déroute comme le retrait, l’un et l’autre inacceptables parce que la vieillesse est un couronnement, celui du vainqueur d’une course glorieuse ; elle est aussi le temps de la récolte, l’heure des moissons et des engrangements, le trésor du labeur accompli qui se distribue pour s’accroître, car le don ultime enrichit.”

  2. Denis Mahaffey dit :

    Je joins une autre définition envoyée par Mifa Martin, encore pour m’aider dans ma réflexion. DM

    “Dans le Pélerinage intériorisé, le coeur ressuscite les souvenirs les plus chers du passé qui aboutissent à l’accomplissement vers lequel ils ont toujours tendu… Mais il y a aussi des pélerinages plus concrets, plus sensuels, qui font appel aux couleurs, aux sons, aux parfums, au goût, pour faire revivre des émotions : le parfum des pivoines qui fait immédiatement entendre dans l’oreille intérieure la musique du Lauda Sion de la Fête-Dieu, la gelée de groseilles acidulée des goûters chez ma grand-mère, la couleur des pierres ocrées des maisons de mon pays coiffées de toits d’ardoises, et la musique de Bach qui fait monter l’âme vers Dieu. Retour vers le passé, mais non pas retour nostalgique en arrière : un pélerinage est une démarche qui puise dans le vécu pour donner l’élan vers un accomplissement.”

  3. Catherine dit :

    Denis,
    Ton écrit me touche beaucoup….moi qui passe tellement de temps à me demander si j’ai pris le bon chemin, puis si celui que j’ai choisi est bien le bon, ou encore avoir confiance dans le chemin emprunté sans savoir où il mène…

    Amitié

    CM

  4.