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Dimanche 30 mars 2008

Ma Mie,

Pardon de ne t’avoir écrit ces derniers jours. Je crois que mercredi, en faisant le jardin chez André, comme je te l’ai raconté, j’ai du prendre froid et depuis j’ai gardé le lit. Déjà qu’avec mes mains tremblotantes et mes yeux qui n’y voient plus bien, c’est pas facile de t’écrire sur notre table, alors dans notre lit…

Aujourd’hui, j’avais rendez-vous au parc avec les enfants et leurs petiots. Je me suis endimanché, et pis j’y suis allé, en avance, de peur de ne marcher assez vite avec cette foutue canne. Je ne m’y habitue toujours pas. Et pis, je m’en moque bien de l’heure, moi, j’ai tout mon temps avec la retraite. Pour passer le temps avant qu’ils n’arrivent, je me suis baladé dans les allées. Il y avait quelques enfants, mais pas beaucoup, avec cette météo complètement déboussolée, il gelait ! Y’en a un qui s’est cassé la margoulette comme il faut, juste devant moi. Je l’ai aidé à se ramasser, moi, sur mes trois pattes. Le môme, il s’est mis à pleurer, je sais pas si c’était parce qu’il avait vraiment mal ou bien parce qu’avec mon visage déformé par les rides et ma bouche édentée, je lui ai fait peur au pauvre gosse. Il a filé dans les jupes de sa mère, qui m’a jeté un drôle de regard. Pas un merci, rien.

Ah, ma Douce, si t’avais été là ! Tu lui aurais fait un calin au môme, tu l’aurais débarbouillé et il serait reparti avec un sourire. Comme avec le petit Yvan, tu te souviens ? Moi, je sais y pas faire.

D’ailleurs, tu sais, la Maryse, la mère d’Yvan, ça y est, elle-aussi, elle est partie. On a sonné ses cloches cette semaine. Enfin, tu le sais peut-être déjà.

Pis, j’ai attendu dans le parc, à l’entrée, tu vois, juste derrière la grande grille, que les enfants et leurs petiots arrivent. Une heure après, toujours personne. Ben j’ai claudiqué jusqu’à leur appartement, et ils y étaient, surpris même de me voir ! Le fiston, il a même essayé de me faire croire que je ne tournais plus rond, avant que notre brue se rappelle qu’ils devaient bien venir au parc, mais qu’elle avait tout bonnement oublié, parce qu’avec le froid, le parc n’était plus envisageable pour les petiots. Tu te rends compte, ils m’ont oublié ! Et après, c’est moi qui perd la tête alors qu’ils ont une mémoire de poisson rouge… Et pis en plus, tu vas rire, ils m’ont reproché du coup de ne pas avoir de téléphone portable, parce qu’au moins j’aurais pu les appeler du parc au lieu d’attendre une heure comme un couillon et de débarquer chez eux à l’improviste… Non mais, qu’est-ce qu’ils veulent que je fasse avec ce machin cancérigène avec des touches aussi minuscules ? Déjà que je ne me sers pas du téléphone à la maison, ce n’est pas pour en avoir un sur moi !

Notre brue, au bout d’un moment, car ce n’est pas l’hospitalité qui l’étouffe celle-là, m’a quand même fait un thé chaud, car comme je mouchais un peu, elle craignait que j’aie pris mal au parc à cause d’eux, et de concert, ils m’ont conseillé d’aller chez le toubib. Pour un rhume ! Et pourquoi pas pour une égratignure tant qu’on y est ! Et après, on nous casse les oreilles avec le trou de la Sécu… Forcément, avec tous ces jeunots qui vont chez le médecin pour un oui pour un non… Alors je leur ai dit que c’était comme ça depuis mercredi avec André, que j’avais gardé le lit pour être requinqué. Pour les rassurer, que c’est pas de leur faute, quoi. Ben tiens, j’aurais pas du. Les enfants en ont profité pour me ressortir leur histoire, comme quoi je suis trop vieux pour rester seul, que si je suis malade c’est pis, que je ne sais pas cuisiner ni faire le ménage… et qu’il faudrait que j’emménage en maison de retraite. Alors oui, c’est vrai, la cuisine et le ménage, c’est pas mon fort, mais je débute et je me débrouille pas trop mal, tu serais, je pense, assez fière de moi. Et puis ce n’est pas à mon âge et avec une patte folle que je vais devenir d’un coup la formidable maitresse de maison que tu étais. La maison n’est pas sale, ne panique pas ! Quant à la mangeaille, la brue, elle ne fait pas mieux que moi, avec ses plats congelés tout prêts, alors vaudrait mieux qu’elle se taise…

Mais je peux dire ce que je veux, aussi vrai que ça soit, ils sont complètement bouchés les enfants ! A croire que tout ce qu’ils veulent, c’est m’enfermer dans cette prison pour pouvoir vendre la maison… Notre maison, ma Mie ! Et ça, c’est hors de question, ce qu’il y a dedans et mes souvenirs qui s’échappent parfois, c’est tout ce qui me reste de toi. Je ne les laisserai pas te voler à moi comme cette satanée Mort l’a fait. Et dire que ce sont nos enfants… Si tu pouvais leur envoyer de là où tu es un peu de bon sens et rappeler au fiston qu’on ne l’a pas élevé comme ça…. Peut-être qu’ils t’écouteraient, toi. Parce que moi, ils ne me feront pas changer d’avis, ma prochaine demeure ici-bas ne sera pas cet hospice de malheur, la prochaine et dernière grille que je franchirai sera celle du cimetière, et pis l’autre, si Saint-Pierre m’a mis sur sa liste.

Et je suis têtu, tu le sais plus que quiconque, hein, soixante-sept ans avec ce cabochard, il t’en a fallu de la patience, mon Amour.

Allez je te laisse pour le moment car ce soir mes vieilles mains rouillent, je viendrai bientôt ma Mie vraiment te rejoindre.

Ton René

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Les ouvriers de la TPM ont embauché à treize heures ce samedi pour mettre tout en place. Il leur a été recommandé de soigner leur tenue vestimentaire et leur présentation. C’est journée Portes Ouvertes à l’usine et le comte de Luynes recevra lui-même les visiteurs, accompagné de Madame la comtesse. Il ne lui en coûtera qu’un infime déplacement : les bâtiments qui abritent son entreprise sont proches du château; seule les sépare l’ultime portion d’une allée longue de plus d’un kilomètre bordée de lourds sapins. Depuis la route, à hauteur de la grille en fonte ouvragée, rien n’est apparent que la forêt du Rouvre et cette trouée ménagée parmi les hautes futaies. Cela fait une vingtaine d’années qu’Antoine de Luynes est devenu pourvoyeur d’emplois dans le canton, réprimant du même coup toute velléité désobligeante à l’égard du château. Citer le nom des de Luynes dans un commerce de la ville proche, c’est déclencher aussitôt un concert de louanges à l’égard de celui qui contribue au bien-être et à la prospérité de ses habitants : Grâce à lui, ils sont près de deux cents qui oeuvrent, en complémentarité, pour la tentaculaire et voisine fabrique de petit électro ménager libérateur de la femme. Je vous le dis, moi, ces gens-là sont du bon p’tit monde. Et bien humain avec ça… un jour mon beau-frère avait oublié son casse-croûte, eh bien, ils lui en ont préparé un. Depuis, le comte a fait construire une buvette, comme ça, à la pause, chacun peut s’acheter à boire et à manger.

A la Chiennerie, on récure les enfants, on habille les filles de robes brodées, on brosse les vieilles guenilles, on décrotte les souliers pour aller admirer le gars Paul sur sa machine. Dame, c’est pas tous les jours qu’on peut entrer au château. Et après la visite, on sera autorisé à passer devant le chenil pour voir de près les chiens de meute. Paul a battu le rappel et compte sur la présence des parents et amis. Cousins, voisins, résidents secondaires, anglais en quête d’intégration, tous seront de l’expédition, comme pour des noces. Pour sûr que ce sont des noces, lance le grand Jacques qui travaille à la Monnaie de Paris, aujourd’hui, c’est la noce des rupins et des purotins ! Purotin, ce terme vieilli  souvent entendu au Chat Noir et désignant “celui qui est dans la purée” passe très au-dessus des têtes tandis que s’ébranle le cortège des voitures. 

Passée la somptueuse grille si grandement ouverte que les différences de classe en sont provisoirement gommées, la côte est  franchie dans la bonne humeur. Les visiteurs découvrent sur leur droite des beautés insoupçonnées. Le château est une riche demeure seigneuriale avec son parc à l’anglaise, sa ferme,  ses écuries voûtées, et une chapelle où sont encore célébrés les événements familiaux.

A la fabrique, sur le versant opposé, chacun est à son poste, exécutant les gestes habituels avec le sourire - et sans aucune rémunération. Seule variante aux autres jours, la complicité des travailleurs avec un public qui leur est acquis. Opération de communication essentielle pour la survie de l’entreprise, leur a-t-on dit ! A prendre comme une sorte de récréation, sachant qu’avec un peu de chance, on pourra se retrouver en photo dans le journal. La presse locale a été conviée ainsi que le député maire de Saint-Paterne qui chasse à courre avec le Sous Secrétaire d’état à l’Industrie.

La Gisèle, celle de la ferme des Jaunais, fait la gueule. Son sourire s’est affaissé jusqu’à la grimace : c’est qu’elle vient de coincer son talon aiguille dans une palette de la réserve en déplaçant une caisse. Ces chaussures, elle  aurait mieux fait de les laisser dans leur carton, elles devra en racheter pour la prochaine fête communale !

Propre comme un sou neuf, le regard de faïence rehaussé par son polo vert pré, Paul, de sa belle énergie,  pilonne  imperturbable les pièces ressorties défectueuses au contrôle. Comme Atilla, le gars Paul est un fléau dont le zèle déclenche quelques rires tandis qu’il commente son geste:

Ah ben dame, il le faut… Y n’faut que d’la belle ouvrage !

Jacques, le parisien de la Monnaie, milite au syndicat du livre. Il a amené avec lui son aînée, plongée dans ses études de droit et récemment initiée au code du travail. La demoiselle harcèle de questions embarrassantes l’ami Paul qui devient écarlate :

 - Avez-vous une section syndicale d’entreprise ?

- non, il n’y a point d’ça ici…

- Bon !… vous avez un comité d’hygiène et de sécurité ?

- chut ! j’sais t-y, moi  ?

- Mais… tout de même, vous avez au moins un comité d’entreprise ?

- chut ! non…  on n’parle point d’ça ici !…

Paul est un bon copain et Jacques fait taire sa fille tandis que le comte s’approche pour saluer les visiteurs qu’il pense avoir croisés parfois dans des assemblées, sous son écharpe de maire.

Le maître des lieux félicité, les ouvriers encouragés, le défilé s’étire jusqu’au chenil, simple incursion dans le domaine privé. On s’esclaffe devant la meute de chiens courants qui ne restent jamais en peine d’activité, les terres du comte comprenant quelque quatre cents hectares de belle forêt.

Seule la presque avocate redescend promptement l’allée principale déclinant le cadeau des chiens, les senteurs enivrantes du parc… Elle franchit la grille sans un regard pour ses gracieuses volutes, réservant enthousiasme et marques d’admiration pour d’autres causes plus nobles !

 

 

Manoleta, 29 mars 2008

 

 

 

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