Alors en ce lieu nommé Har-Maguédon aura lieu le déversement des sixième et septième bols contenant les dernières plaies qui mèneront à son terme « la fureur de Dieu »
Bible ; Livre de l’Apocalypse
(chapitre 6 verset 12).

4 avril 2030 : Mission Internationale d’exploration de l’Europe Occidentale.
L’équipe des chercheurs qui arpentaient le bois de Concrois, près de ce qui avait été autrefois le village de Chacrise, était surtout composée d’africains et d’asiatiques. Leurs pays avaient été moins affectés que l’Europe et les Etats-Unis par l’impact du météorite tueur tombé au milieu de l’océan Atlantique. On l’avait baptisé « Armageddon » en référence à un ancien film catastrophe et à un verset de la Bible évoquant la fin du Monde. Un français s’était adjoint au groupe, lui apportant sa connaissance de l’ancienne langue et celle des coutumes locales.
C’est lui qui mit à jour l’entrée de la cave ensevelie sous les gravats d’une maison du village.

Ils regardaient avec émotion l’un des quelques endroits où les survivants de la catastrophe avaient vécus, terrés comme des rats dont ils avaient d’ailleurs fini par imiter le comportement avant d’en faire leur nourriture.
A côté d’un squelette qui gisait sur un matelas en décomposition il y avait, enfermé dans une pochette plastique étanche, un épais cahier à la couverture cartonnée bleue.

10 avril 2030 : Moscou. Centre de Recherches Historiques pour l’Europe Occidentale
Ouvert avec précaution, photographié entièrement page après page, le cahier bleu fut confié au français qui avait participé à la mission pour qu’il le traduise.
En voici les passages principaux. Ils apportent une contribution majeure à la connaissance des conditions de vie et à l’état d’esprit des survivants.

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Jour J+1 après l’impact.
Je commence ce cahier aujourd’hui, 21 mars 2010, jour de mon soixantième printemps. Je consacrerai à sa rédaction un peu de temps chaque jour pour décrire ma nouvelle vie.
La semaine dernière, après que les autorités aient fini par avouer que l’impact était inévitable et invité la population à trouver un abri, j’ai aménagé la cave située sous mon domicile.
J’y ai transporté plusieurs bidons d’eau, 4 sacs de pommes de terre, du sucre, du sel, des gâteaux secs, sans oublier ce cahier et une dizaine de stylos à bille.
J’ai plusieurs lampes électriques sans pile (qui se rechargent à la force du poignet). J’ai aussi ressorti de l’armoire mon vieux fusil de chasse et une centaine de cartouches. La machette que j’ai ramenée d’une expédition au Brésil peut m’être utile dans une nature hostile.
Hier, vers midi, heure prévue de l’impact, je guettais le ciel lorsque je vis une lumière vers l’ouest. Elle alla croissant en intensité jusqu’à une sorte de flash gigantesque qui illumina tout l’horizon. Le bruit ne vint que longtemps après, vers 3 heures de l’après-midi. Il fut suivi d’un tremblement de terre qui dura plusieurs minutes. Ensuite se leva une tempête comme je n’en avais jamais vue. Sous la pression du vent mes oreilles me faisaient atrocement souffrir. Je passais prudemment la tête par l’ouverture de la cave. Ma maison n’était plus qu’un amas de gravats.


Jour J+7
Le vent s’est un peu calmé. Le ciel est chargé de nuages noirs et il fait presque nuit alors qu’il est midi. La température a brusquement chuté et les flaques d’eau ont gelé. Je me suis hasardé dans les ruines de ma maison pour en extraire des couvertures et des pulls. Trouver du bois pour faire du feu n’a pas été difficile mais j’ai des scrupules à brûler mes anciens meubles que j’adorais.

Jour J+15
La neige est tombée toute la nuit et recouvre maintenant le paysage lui donnant presqu’un air de carte postale, si ce n’est qu’aucune maison ni aucun arbre ne viennent l’agrémenter. Le silence est total, seulement interrompu par le craquement des branches qui cassent sous le poids de la neige.


Jour J+120
Nous devrions être en plein été. Il a plu sans arrêt pendant une semaine. La pluie vient de s’arrêter et j’observe le ciel. Mon Dieu, est-ce possible ? J’ai entrevu pendant un court instant un peu de ciel bleu entre les nuages. Je ne pensais pas que je pourrais être aussi ému à la vue de cela. Ce qui m’attriste est qu’on n’entend aucun chant d’oiseaux. Ils semblent avoir tous été tués par la tempête.
La nourriture commence à manquer. Heureusement je n’ai pas de problème d’eau. Des rats sont apparus dans ma cave. Ils avaient l’air agressif. J’en ai tué deux à coups de machette et je les ai fait griller au feu de bois. Cette première viande que je mange depuis des mois m’a redonné du courage et de l’énergie.

Jour J+267
Aujourd’hui j’ai vu les premiers êtres humains depuis la catastrophe. L’homme m’a dit qu’ils venaient de l’Ouest. Il était au dernier sous-sol du parking d’une grande surface quand la tempête s’était levée. La femme avait sa voiture garée juste à côté de la sienne. Ils ne s’étaient pas quittés depuis. Je leur dis que je ne pouvais pas les accueillir dans mon abri et que de toute façon il n’y avait pas assez de vivre pour trois. La femme se fit un peu aguicheuse et je dus faire un effort pour résister, tant la solitude me pesait. La vue de mon fusil calma les velléités agressives de l’homme et ils sont partis vers l’est à travers les ruines du village dans lesquelles je les avais encouragés à rechercher un abri comme le mien.

Jour J+300
La femme est de retour. Son compagnon, parti en expédition de chasse, n’est pas revenu depuis une semaine. A moitié morte de faim elle a retrouvé le chemin de mon abri. Finalement on essaiera de se débrouiller mais la solitude me pèse trop, il faudra que je capture plus de rats. Il y a aussi des sangliers dans les bois. J’irai la nuit avec une lampe électrique et j’essaierai d’en tuer un. Cela nous assurerait deux ou trois semaines de viande.


Jour J+350
Le ciel est maintenant clair. Il fait froid mais il ne neige plus. Bientôt, dans ce qui était le « monde d’avant », ce sera le printemps, l’époque où la nature revit. C’est maintenant la question qui me hante. Elle m’importe plus que celle de manger, plus que celle de mon propre sort. Le monde survivra-t-il ? Chaque jour je parcours le paysage dévasté en quête de nourriture et j’observe le sol pour y déceler des traces de végétation. Il fait sans doute encore trop froid.


Jour J+365
Voilà exactement un an que l’Apocalypse s’est abattue. Claire est moi formons maintenant un vrai couple. Au départ il y avait cette méfiance qu’éprouvent deux animaux affamés qui se retrouvent en compétition sur le même territoire de chasse. Maintenant c’est fini et nous allons jusqu’à nous céder les meilleurs morceaux de nourriture. Dehors, au soleil enfin revenu, il fait presque bon. Demain je pousserai jusqu’à la lisière du bois de Concrois, sur le versant sud le mieux exposé.

Jour J+366
Dieu soit loué. Je suis tellement ému que je n’arrive pas à rassembler mes pensées. Lorsque je suis arrivé à l’orée de la forêt j’ai découvert un tapis de verdure ! J’avais oublié la couleur verte de l’herbe tendre. Et, suprême miracle, sur le tapis végétal il y avait une multitude de petites fleurs violettes et jaunes : des jacinthes sauvages. Je suis tombé à genoux, le front touchant le sol, et j’ai remercié Dieu. La vie est revenue. Peu m’importe maintenant que je meure puisque l’humanité survivra.


Je suis retourné dans l’après-midi avec Claire pour lui montrer la merveilleuse découverte. Sa figure était baignée de larmes et elle a caressé les fleurs, résistant à l’envie d’en cueillir une. Finalement elle m’a demandé mon cahier et plusieurs crayons.Voici le dessin qu’elle a fait des nouvelles jacinthes du bois de Concrois. Elle me l’a offert et jamais je n’ai eu de plus beau cadeau.

jacinthe4

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12 avril 2030 : Moscou. Centre de Recherches Historiques pour l’Europe Occidentale.

Le journal se terminait ainsi. Les chercheurs avaient encore beaucoup de travail pour dépouiller l’ensemble des documents qu’ils avaient rassemblés. Jean sortit de l’institut et se dirigea vers son appartement. En chemin il traversait, comme chaque jour, un parc aménagé au coeur de la ville. L’allée qu’il empruntait serpentait dans un sous-bois. Soudain, son regard fût attiré par des petites tâches de couleur qu’il remarquait pour la première fois : c’était des jacinthes sauvages ! Etait-ce un clin d’oeil de l’inconnu du bois de Concrois ?

Jean : chercheur au CRH-EO

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