Un homme vêtu d’un pantalon sombre et d’un chandail vert émeraude, sans veste, dépourvu d’un quelconque papier d’identité, muni  juste d’un sac de toile en bandoulière s’avança un peu plus profond dans le bois.

Gérard mit la main dans son sac de toile et serra la corde. La réalité palpable du chanvre ranimait ses arguments. En arrivant devant le parterre de jacinthes sauvages, il ne put s’empêcher de sourire : oui cet endroit était vraiment idéal. L’attention des éventuels promeneurs ne manquerait pas d’être attirée par les fleurs plutôt que le gros chêne sombre en arrière plan. Peu de chance qu’ils ne le retrouvent avant longtemps. Juste ce qu’il voulait…Disparaître discrètement de cette vie en laquelle il ne croyait plus.
Des semaines qu’il cherchait son arbre. Contrairement à ce que l’on croit, la pendaison n’est pas simple, surtout pour un quinquagénaire de quatre vingt kilos !
Il passa au dessus des jacinthes en veillant à laisser le moins de trace possible et atteignit le chêne. Il s’assit quelques minutes sur le tapis de mousse qui se répandait au sol. Dans un frémissement le buisson de buis le plus proche sembla s’animer. Une silhouette qui paraissait humaine mais au visage indistinct, flotta devant lui. Gérard eut du mal à maintenir ses yeux dans cette direction tant la lumière qui émanait de la forme était forte.
Il entendit des mots se former dans son esprit et ressentit instantanément une sensation de paix extrême comme s’ils dégageaient des ondes fulgurantes de bien être. En fait ce n’étaient pas des mots qu’il recevait mais plutôt un flot d’images et d’émotions que son cerveau conditionné cherchait à nommer. Contrairement à ce qu’aurait fait n’importe quel être humain l’apparition ne posait pas la question fatidique du « pourquoi » à Gérard. De toute façon puisqu’elle avait accès à son esprit,  elle devait bien « savoir » les nombreuses raisons de son choix.
L’être lui offrait des images de paix et de beauté du monde : le bleu métallique inimitable du plumage de certains oiseaux, la beauté d’un quator à corde,  l’émotion à la vision des premiers pétales de l’année à la sortie des perce neige, le parfum de Marguerite, la finesse du flot des bulles d’un Dom Pérignon, le velouté de la peau du nouveau né, le courage et l’abnégation dont l’homme sait faire preuve en Amour, la générosité en Amitié….
Que cherches-tu à me dire ? Questionna muettement Gérard…
L’être se rapprochait de lui, éclatant de lumière
Les images continuaient de se déverser en vagues ininterrompues : La main d’un petit enfant qui se tend, la chaleur d’un rayon de soleil sur la peau, le goût du sel d’un baiser amoureux en méditerranée, l’arôme d’un civet de lièvre, la force du brâme des cerfs dans le brouillard du petit matin, la puissance du désir au frôlement de la peau nue d’un premier amour, la beauté d’une tulipe qui s’exhibe aux premières lueurs du printemps…
Impossible de quitter ce monde qui recèlait de tant de trésors.
Gérard n’eut plus du tout envie de mourir…
Etait ce Marguerite ? Son épouse adorée morte bien des années auparavant, qui se manifestait ainsi à lui ?
Impossible de déterminer le sexe de cette silhouette. Sans doute un ange, pensa Gérard. je communique avec un ange! S’émerveilla-t-il.
Et c’est ainsi, dans cette extase et dans cette volonté énorme et soudaine de vivre, qu’il sentit la corde se serrer autour de son cou par ce qui n’était malheureusement qu’une des nombreuses apparitions du diable. La lutte fut terrible et la souffrance de Gérard délectable pour le démon.
 

Un homme vêtu d’un pantalon sombre et d’un chandail vert émeraude, sans veste, dépourvu d’un quelconque papier d’identité, muni juste d’un sac de toile en bandoulière, pendu à la branche d’un vieux chêne, fut retrouvé par des chasseurs. La vision du visage tétanisé par la terreur hantera longtemps leur mémoire.

 
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