Archives pour mai, 2008

Je tue pour vivre. Je tue pour vivre.

C’est la tante d’une vache wallonne qui m’a rendu végétivore. Je remontais d’une gare dans la vallée de la Meuse, par une de ces après-midi belges où le gris paraît être la couleur nationale et le soleil, comme un sans-papiers, se fait discret pour ne pas être reconduit à la frontière. Des protestants de France, réunis dans un collège jésuite, attendaient mes remarques sur la tourmente de mon Irlande du Nord.

Deux vaches broutent derrière une clôture. Je m’arrête, arrache une touffe d’herbe de mon côté du grillage et la tends. Un museau l’effleure et se détourne.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais je vivais en ce temps ma propre tempête intérieure, d’extase et de trouble mêlés, et qui faisait sauter les certitudes comme des barreaux de prison. Du coup, des espoirs qui n’avaient jamais osé bouger étaient libérés, s’impatientaient même. Je ne vivais plus sous la loi mais sous la grâce. Sur ce chemin de vie je ne pouvais avancer que dans l’authenticité, avec des relations véridiques. Sinon, le soufflé allait retomber. Ces vaches méritaient plus qu’un geste a minima.

Je m’arrête alors, cherche plus loin des brins d’herbe verte tendre, délice pour bétail. La vache les accepte gracieusement et je repars, ému de cette justesse entre homme et bête.

J’arrive à l’heure du dîner, et pour la première fois me trouve devant un steak tartare. Je l’attaque, goûte la saveur un peu métallique lorsque, comme une feuille dans un ruisseau, le museau d’en bas me revient. « Tu t’émeus d’une relation avec une vache, et à peine une heure plus tard tu dévores peut-être sa tante hachée. »

J’ai fini le plat, car il était bon, mais c’était ma dernière viande. Il ne restait qu’à défendre la décision. Avec les années, vous ne réagissez plus aux remarques sur les poireaux qui hurlent quand ils sont arrachés, les patates qui pleurent de douleur, ni aux questions : « Les carences en protéines animales ? ». « Vous mangez bien du poulet ? Du poisson ? Même pas ? » Vous répondez seulement à celle qui se veut maligne : « Vous portez bien des chaussures de cuir. » Ah ha ! « Mais je ne mange pas mes chaussures. »

Parfois, en face de quelqu’un qui coupe son chateaubriand, la chair s’ouvrant comme un bras de femme que tailladerait une lame de rasoir, vous regardez cet animal qui ingurgite des bouts d’un autre animal, et vous risquez de rendre votre tofu rissolé. Ne dites rien, car il vous accusera d’écorcher vifs les oignons et ce sera reparti.

Le sens du végétarisme dans l’infinie aspiration vers la liberté ? Peu importe qu’une telle décision soit morale, religieuse, diététique, environnementale ou compassionnelle : ce qui compte est de respecter un principe qui ne vient ni d’une habitude ni d’une idéologie, mais d’un choix. La liberté se pratique non pas dans l’indiscipline totale mais en faisant des choix et en s’y tenant.

Et la question coup de grâce : « Vous êtes sur une île déserte. Il n’y a que des noix de coco à trente mètres au dessus, et des crabes à vos pieds…. » Réponse : je fais un feu sur la plage – je ne vais tout de même pas les bouffer crus.

Car après (et avant et pendant) tout, je tue pour vivre.

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C’est dans l’étable que c’est arrivé.
Mais bon, certainement que celà aurait pu arriver n’importe où ailleurs.
Quelque soit le moment, ou le lieu, rien ne l’arrête, pas même les gens qui le regardent
Il n’en a rien à faire, il est tout entier à sa mauvaise humeur, sa colère , sa frustration et tutti quanti..
Il a encore cherché l’affrontement.
Il la regardait avec son drôle d’air. L’air de celui qui n’est pas content.
Déjà, il venait de chercher des noises à son père, à propos de la gestion de la ferme.
" Tu es trop vieux, tu ne comprends rien aux techniques modernes", qu’il lui avait dit.
Quest-ce qu’il connait des travaux agricoles, lui qui a refusé de travailler sur l’exploitation?
Lui, il ne voulait pas se lever à l’aube et rentrer tôt  pour traire les vaches. Lui, il s’était instauré une vie légère et sans contraintes.
C’est d’ailleurs dans une soirée un peu folle, la veille du nouvel an qu’elle l’avait rencontré.
Il pétillait comme une bulle de champagne, c’était un tourbillon de joie de vivre cet homme là ! ..et il maniait un humour décapant qui l’avait subjuguée, elle qui se torturait le cerveau depuis des décennies à chercher un sens à sa vie.
Elle avait cru quoi? qu’à fréquenter des fétards, la vie serait une fête?
Ben justement,elle n’avait pas été longtemps à la fête avec lui.
"Les apparences sont toujours trompeuses" pensait-elle.
Très vite, il avait montré son côté sombre, sa seconde nature, elle lui disait" tu n’es qu’un shizophrène"
Il s’enfermait des heures dans des bouderies, fumait cigarette sur cigarette; il ne lui parlait plus , il aboyait.
Il lui donnait des ordres:" apporte-moi un café".. " apporte m’en un autre"
Il la prenait pour sa boniche ou quoi?
Et puis, plus rien n’allait bien, à croire qu’en quelques semaines elle était devenue idiote car à l’entendre lui, elle n’était jamais à la hauteur de rien.
Et en plus, il ne la trouvait pas "marrante"
C’est vrai çà, ses reprohes constants ne la faisait pas se tordre de rire.
Tout çà l’empêchait de dormir depuis quelque temps.
Elle ripostait aux attaques de reproches, aux tirs de colère, puis elle s’épuisait à recoller les morceaux épars de leur relation moribonde.
Elle s’accrochait désespérément à son puzzle mais il lui manquait de plus en plus de pièces pour le reconstituer; d’ailleurs on ne voyait plus bien à quoi çà ressemblait ce truc..
Qu’est-ce qu’elle attendait au fond?
L’histoire était cuite! elle le savait, alors quoi!
Et puis, c’est dans l’étable que c’est arrivé, chez son père, avec qui elle s’attardait à discuter pendant la traite; elle, elle aimait bien les vaches, la ferme, l’ambiance.
Il a commencé à s’énerver, à la presser de partir :
" Bon, tu viens ou non? quest-ce que tu peux bien avoir à raconter d’intéressant à mon père?"
Elle a senti d’un coup son sang lui monter au visage, puis s’est mise à trembler.
D’un bond elle s’est jetée sur lui.
Son poing droit serré à blanc heurta avec une violence inouïe son oeil à lui.
Sous le choc, il recula d’un pas.
Hagarde, elle regardait son propre poing.
Puis la honte l’envahit.
"Mon Dieu, comment j’ai pu en arriver là?" balbutia t-elle.
Elle leva les yeux vers lui; il la regardait avec une lueur de satisfaction ironique.
"Tu es pire que moi!" lâcha t-il, avec mépris. 
La douleur lui tordit le ventre " alors voilà, c’est l’ultime humiliation qu’il voulait m’infliger" se dit-elle.
Il avait réussi à l’ emmener là où elle pensait ne jamais mettre les pieds.
Electrochoc!
Elle savait maintenant que c’était fini.
Terminé.
Elle était déjà partie.
Rideau sur l’amour vache!

 

CM

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( d’après la chanson de Line Renaud 1949 )

« - Ou vas-tu Basile de ta vache accompagné ?
Je vais à la ville la vendre au marché
Ta vache a la fièvre la vendre est bien compliqué

- Quoi ? ma vache a la fièvre ? Ah tu ne vas pas me refaire le coup de la chanson, toi le commerçant. Si je t’écoute tu vas me dire que Eglantine, ma limousine, est une  «  vache folle ». Passes ton chemin, et plus vite que ça, sinon elle va se venger, ma vache comme tu dis, elle va te filer un coup de pied ou un coup de corne comme elle sait le faire !!! »

Le marchand ébahi abandonne l’équipée et continue sa route sans demander son reste .

Basile, ruminant sa colère, flatte son Eglantine :
« Toi ma douce, toi ma mignonne…
comment a-t-il pu dire des choses pareilles …Il voulait t’avoir, le vilain.
Tu es si belle dans ta robe acajou, avec tes lunettes autour des yeux.
J’en ai mal au cœur de me séparer de toi… J’en pleure comme un veau…

Cheminant sur la route poussiéreuse,
L’équipée passe à côté d’une pâture,
Où rumine un troupeau de laitières.
Eglantine meugle pour saluer ses congénères,
Les vaches accourent et passent leur mufle au dessus de la clôture.
« Laisse-les tranquilles Eglantine, dit Basile,
tu es bien plus belle qu’elles ; on ne voit que leur pis…
Toi tu es bien équilibrée, bien implantée sur tes quatre pattes…
Allez viens … »

Tout à coup, au détour de la route, une apparition :
«  Où vas-tu Basile de ta vache accompagné ?
Je vais à la ville Mad’moiselle Lili…
La ville est lointaine, viens chez moi te réfugier
Avec ton Eglantine nous ferons not’ beurre…

Basile ne se le fit pas dire deux fois,
Et en échange de sa dot, il gagna le cœur de Lili…

Quelques années sont passées,
Basile et Lili ont eu des petits…
Eglantine, couchée dans le pré, léchant son dernier-né,
les regarde danser la ronde autour d’elle …
Elle se met à sourire… la vie est belle…

«  De toute cette histoire la morale est celle-ci :
que sur notre plancher, les vaches ont été plus qu’honorées,
par les Dieux, elles ont été sacrées…
A notre époque, le mot « vache » est plutôt galvaudé …
alors Basile et Eglantine, ce n’est qu’un épisode, pour le reconsidérer…

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Haiku écrit ce  soir:

 

Fleur bleue de velours
Le printemps t’as fait renaître
Tes heures sont comptées

 

Haiku écrit ce matin:

 

Et les jacinthes rêvent
de se serrer dans un vase
Au bois de Concrois

 

                                   

                             C. M.

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oh-la-vache

Un jour mes parents décidèrent que les citadins chroniques que nous étions se devaient d’avoir une initiation aux joies de la campagne. J’avais 15 ans à cette époque là et je n’avais jusqu’alors connu que cette banlieue industrielle, sale et nauséabonde, où j’étais né.

Par une belle journée d’été, la voiture chargée au maximum, nous sommes partis très tôt pour éviter les embouteillages et rouler « à la fraiche ». Au milieu de l’après-midi nous sommes arrivés enfin dans le petit village jurassien d’Eternoz et avons trouvé sans difficulté la ferme du père H., dans laquelle nous étions logés pour un mois.

La ferme était assez vaste et hébergeait, en plus du propriétaire fermier, quelques ouvriers agricoles permanents ou saisonniers. Nous fîmes rapidement connaissance avec leurs enfants et ce sont eux qui nous enseignèrent les pratiques de la campagne. L’activité principale de la journée consistait à mener au pâturage une douzaine de vaches de race montbéliarde. Ce travail se révéla plus intéressant et plus ardu que prévu. L’absence de clôtures nous imposait un sérieux travail de surveillance car il ne s’agissait pas qu’elles aillent paître dans des champs de luzerne, herbe qui ballonnait leur ventre. Au bout de quelques jours nous nous étions distribué les tâches à tour de rôle et, pendant que le préposé du jour à la surveillance veillait, les autres jouaient dans les herbes folles.
L’un des garçons de la ferme avait « le béguin » pour ma sœur et nous nous en amusions beaucoup, jusqu’au jour où il lui proposa de lui faire « le coup du taureau ». Dans nos esprits de citadins nous n’y avons vu aucune connotation sexuelle et ma jeune sœur était dès lors terrorisée à l’idée d’une sorte de « corrida » dont elle serait la victime expiatoire.
Les matins où les nuages laissaient présager de la pluie, ma mère m’obligeait à partir avec un grand parapluie noir qui, replié, me servait de bâton de marche. Lorsque les gouttes de pluie se faisaient trop drues, un jeu que nous avions inventé consistait à construire un abri de fortune avec des branches sèches et des feuilles, puis de recouvrir le tout avec le parapluie. Nichés là-dessous nous étions au comble du bonheur en entendant les gouttes de pluie s’écraser sur la toile tendue du parapluie, isolés du monde extérieur. Le temps paraissait alors suspendu et me faisait entrevoir pour la première fois ce que devait être « l’Eternité ».
Un jour je me suis retrouvé seul dans l’abri avec Fanette, la fille d’un saisonnier, une « grande » de plus de seize ans, à la poitrine généreuse. Dans l’atmosphère confinée et humide de notre abri je retenais mon souffle, un peu pour masquer mon émoi, et aussi pour ne pas sentir la forte odeur corporelle de Fanette qui ne prenait qu’un bain par semaine, le dimanche avant la messe.

Vers 6 heures du soir nous devions rassembler les vaches qui paissaient dans le pré et les guider sur le chemin du retour à la ferme. Les animaux avaient leurs habitudes et faisaient gentiment semblant de nous obéir. L’entrée dans l’étable se passait généralement bien, sachant que la difficulté était que la porte relativement étroite ne permettait le passage que d’une vache à la fois. Une sorte de préséance établie entre elles facilitait les opérations. Seules une ou deux perturbatrices – toujours les mêmes – compliquaient quelquefois les choses.

Il fallait ensuite les attacher par une chaîne à leur emplacement dédié. Là aussi les « perturbatrices » mettaient quelquefois la pagaille en s’installant à la place d’une autre, entraînant des permutations en cascade. Lorsque le calme était revenu c’était l’heure de la traite. L’opération était le domaine exclusif des femmes de la ferme. Là aussi les vaches ont leurs habitudes et ne se laissent pas traire par des inconnus sans rechigner (queue fouettant, coup de pieds dans le seau, crottes, etc…) Fanette était la plus jeune trayeuse de la ferme.

La veille de notre départ Fanette trayait « la Coquette » (au bout d’une semaine nous avions appris les surnoms des douze vaches). Je m’approchais d’elle, admirant le jeu de ses doigts sur les pis. Comme d’habitude Fanette était légèrement vêtue et sa position, jambes écartées, penchée vers l’avant laissait découvrir largement ses seins et ses cuisses. J’étais moi aussi assez légèrement habillé et mon short de toile laissa facilement entrevoir une monumentale érection d’adolescent. Fanette me jeta un regard amusé et me promis d’un air entendu qu’elle s’occuperait de mon cas dès qu’elle en aurait fini avec la Coquette.

Pendant tout le temps que se poursuivi la traite je restais là, comme fasciné par les mains de Fanette. Je pensais à ces serpents qui commencent par hypnotiser leur future victime. J’étais comme l’une d’elle, attendant d’être dévoré.
Puis Fanette ayant rangé soigneusement son seau saisit ma main et m’entraina en dehors de la stalle, vers une botte de paille fraiche. Ses doigts, qui sortaient à peine de la traite, étaient tièdes et doux. Je n’osais pas la regarder et fixais obstinément mon regard sur la tête de « la Coquette ». Lorsque mon plaisir atteignit son paroxysme je vis la vache retrousser ses babines dans une sorte de sourire qui découvrait d’énormes dents jaunes.
Ainsi se termina en apothéose ce séjour initiatique à la campagne.

Il me fallut de nombreuses années et quelques partenaires pour que, dans ces moments « fatidiques », j’oublie de penser aux doigts de la Fanette et au sourire de la Coquette.

 

Jean

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Bluebells comédie

 

Violettes de cobalt  anémones de terre
jacinthes de parme haut perchées 
sur leurs tiges de verre
renouveau renouvelé Mois d’avril sans faille 
la boucle est bouclée

Violettes de cobalt  anémones de terre jacinthes  
racoleuses à l’oeillade en biseau
jacinthes qui se montent le cou très au-dessus 
des coucous
jouant des campanules aux rebords fardés d’un excès bleu
de pacotille
Jacinthes de parme trop haut perchées aguichant 
le client innocent promeneur d’un dimanche 
fleuri : je suis à prendre mon chou mieux balancée 
plus délurée que le coucou cueille-moi 
et n’oublie pas surtout
n’oublie pas mon petit cadeau…

Jacinthes forget-me-not haut perchées 
sur vos talons de verre Le tapin des sous-bois
ne nourrit plus sa fleur Les temps sont difficiles et les retraites 
minces  Désargenté le promeneur progresse 
regard levé vers les mouvantes cimes ignorant 
sous ses pieds la troupe des Bluebells aux formes 
rebondies

Corolles en folie clochettes effilochées aux vibrantes 
nuances Jacinthes au fard trop mauve à l’oeillade 
assassine Retombez sur vos tiges baissez 
vos prétentions 
Cueillies vous êtes cuites 
ne criez plus aux lauriers à couper Sautez de vos échasses 
collez vos oreillettes au plus près
de la mousse 
La forêt est bruissante c’est une usine à sons 
un concert underground Ne rêvez plus d’être emportées 
dans un morne bouquet par un prince 
en jogging
Restez sur pied le pied léger à défier
le temps Le joli temps d’avant 
les vendanges

 

Manoleta, mai 2008

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