Archives pour juin 15th, 2008

tournois La nuit tombait sur la forêt de Retz. Aux abords de l’abbaye des moines de Prémontrés, située à Valsery, le silence était rompu de temps en temps par le hurlement des loups.

Guillaume de Pressigny avait du mal à s’endormir. Pourtant il le fallait car le jour qui se lèverait allait être un des plus importants de sa vie. Il aimait Guenièvre de Coucy et, jusqu’à ce jour fatal, tout semblait les destiner l’un à l’autre. Le père de Guillaume et celui de Guenièvre s’étaient rencontrés et avaient donné leur bénédiction. Une grande fête au château de Pressigny devait officialiser la future union. Au festin, qui avait commencé tôt dans l’après-midi et se prolongeait encore à la nuit venue, il y avait force boissons d’un vin blanc de la région de Champagne qui échauffait les esprits. Enguerrand de Pressigny avait pris violemment à parti Jehan de Coucy à propos de son alliance avec le marquis d’Estrées qui contestait ses droits sur le comté de Vic. Le ton en était si vif et la querelle s’était tellement envenimée que le père de Guenièvre avait fini par souffleter Enguerrand. Ce dernier lui en avait réclamé réparation et la fête s’était achevée aussitôt dans un silence glacial.

Or Enguerrand, une fois dégrisé, se rendit compte que le duel avec son adversaire était perdu d’avance. Ce dernier était rompu aux arts martiaux et participait régulièrement à des tournois qui l’avaient aguerri. Quant à lui, depuis son retour de la croisade de Louis le neuvième, qu’il avait entrepris sous le commandement de Robert d’Artois, frère du roi, sa santé était bien précaire et ses forces l’avaient abandonné. Il ne s’était jamais bien remis des fièvres intestinales contractées dans les marais des alentours de Tunis. Ce n’était pas l’idée de sa mort probable qui lui faisait souci mais la défaite en duel signifiait le déshonneur de sa lignée et l’abandon de ses visées sur le comté de Vic à l’origine de la dispute. Il s’était donc adressé à Guillaume en lui demandant de se charger de laver son honneur à sa place. Voilà pourquoi ce dernier avait du mal à s’endormir : il savait que son union avec Guenièvre ne se ferait point. Que le duel se terminât par sa mort ou celle d’Enguerrand n’y changerait rien.

Le jour s’était levé sur le monastère des prémontrés. Un écuyer s’était rendu au château de Cœuvres pour signifier à Jehan de Coucy que c’était Guillaume qui représenterait son père afin de réparer le déshonneur subi. Pendant ce temps Guillaume s’était confessé et avait assisté à la messe de matines où il avait communié. En tant qu’offensé il avait choisi le lieu du combat : c’était juste à l’extérieur de l’abbaye, dans une clairière située sur la route de Cœuvres. C’était les règles habituelles de ce genre de combat qui s’appliqueraient : les deux adversaires, montés à cheval, s’affronteraient d’abord à la lance, puis, si l’un des combattants tombait, poursuivraient par un duel à l’épée jusqu’à ce que l’un d’eux demande grâce.

Vers midi Jehan arriva accompagné de ses gens d’armes. Il était revêtu de son armure de plates marquée du blason des Coucy : un aigle serrant dans ses griffes un agneau. Son heaume d’acier étincelant était empanaché d’une plume de faisan et il portait sur le dos une cape couleur bleu nuit constellée d’étoiles d’or. A son bras pendait un lourd pavois qui devait le protéger des coups de lance de son adversaire.

Guillaume avait choisi une armure en cottes de maille et son bouclier était beaucoup plus léger donc plus maniable en cas de combat au sol. Ce choix s’avéra judicieux. En effet : après le premier assaut à la lance qui désarçonna Guillaume de son cheval et le jeta à terre, Jehan descendit de sa monture selon les règles courtoises de la chevalerie et attaqua à l’épée. Handicapé par son pavois, il s’en débarrassa et fut alors exposé aux coups de Guillaume sans possibilité de parade. Ce dernier porta alors un coup d’estoc qu’il savait mortel contre les armures de plates et son épée transperça Jehan de Coucy. Un moine recueillit sa confession et lui administra les derniers sacrements dans la clairière. Le soleil filtrant à travers les frondaisons comme à travers des vitraux donnait à la scène une atmosphère de cathédrale silencieuse et recueillie.

Le lendemain, un jeune page de Guenièvre vint apporter une missive dans laquelle elle disait :

« Cher Guillaume, Dieu et l’éternelle fureur guerrière des hommes n’ont pas voulu de notre union. Toute ma vie je resterai fidèle à votre souvenir et irai me retirer au Béguinage de Saint Quentin. Je prierai pour le salut de votre âme, en attendant que la Mort nous réunisse enfin dans la vie éternelle. Adieu donc mon cher amour. Votre Guenièvre. »

Guillaume se jeta à corps perdu dans les batailles que Philippe IV (dit « le Bel ») mena pendant plusieurs années contre la Flandre alliée de l’Angleterre dans ce qui n’était encore que les prémisses d’une guerre qui fut qualifiée plus tard « de Cent Ans ». Il y gagna de nombreux titres de gloire et sa réputation fut connue jusqu’à la cour du roi. Pour le remercier on lui attribua non seulement le comté de Vic que son père avait si violemment revendiqué mais en outre il reçu en prime le comté de Vermandois avec la ville de Saint Quentin où il entra en triomphateur à la tête de ses troupes.

Il se rendit seul au Béguinage où s’était réfugiée Guenièvre et implora son pardon. Celle-ci ne put retenir l’élan qui la poussait et le lui accorda volontiers. Comme elle n’avait pas prononcé ses vœux de chasteté elle épousa Guillaume et leur union fut célébrée par l’évêque dans la cathédrale de Saint Quentin.

Ainsi de temps en temps « l’Amour » l’emporte sur ce que les hommes appellent « l’Honneur », nom pompeux qui déguise leur orgueil. Cela est si exceptionnel que ces histoires parviennent jusqu’à nous, reprises et embellies par de multiples récits, parmi lesquels brillent des auteurs comme Shakespeare ou Corneille.

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