tournois        Un amas de lianes et  volubiles passe en flottant sur la Mulamutha, comme une île tropicale en miniature qui pourrait héberger des tribus lilliputiennes. La fumée de leurs feux de camp ne monterait-elle pas au ciel ? Il est suivi d’un autre, et un autre, toute la brûlante après-midi. D’où, et jusqu’où ? En Inde l’imagination en surchauffe met chaque fois l’Himalaya au zénith coruscant et l’océan indien au suant nadir.

Nous démarrions notre vie de couple près de cette rivière, dans une cabane en bambou achetée à un précédent cascadeur de l’esprit. Nous l’appelions « la cathédrale gothique » pour l’arc brisé de son toit au dessus de nous, couchés sur notre matelas sous notre moustiquaire. Meublée ? Deux sacs à dos.

Les fenêtres crevées du mur de château sont comme des yeux arrachés par lesquels passerait étrangement la lumière, projetant sur un écran le souvenir d’autres murs, d’autres ouvertures, d’anciens lieux de vie.

La maison où je suis né. J’y ai assisté à une réception de mariage en temps de guerre, moi et une quarantaine de jambes qui me dépassaient d’une courte tête.

J’ai grandi dans une autre, avec un long couloir à l’étage, terriblement long lorsque, sorti en charpie d’un cauchemar, je rejoignais la chambre – le lit – des parents, contournant la gueule noire de l’escalier qui pouvait me happer au passage.

Un meublé à Londres, si compact que je pouvais, sans quitter ma place assise sur un poste de TSF pour les aveugles (au cadran en braille, voyons), cuisiner sur une plaque chauffante à mes pieds, prendre la vaisselle derrière mon dos, manger en face de mon invité(e) (seul(e) par nécessité dimensionnelle), puis faire la vaisselle dans le lavabo à côté. Il suffisait d’avoir les fesses rotatoires.

Un vieil appartement à Paris, aux craquements et couinements de parquet, aspirant sans conviction à paraître bourgeois et qui transmettait son odeur petite bourgeoise à tout ce qui s’y passait.

D’autres demeures, chacune traînant la trace des joies et remords que j’y ai vécus, comme une comète est suivie par sa queue : maison mauresque en Tunisie, prison (quelle histoire !), minuscule nid sous les toits de Paris.

A présent, et depuis longtemps, la vie de couple initiée sous le toit de cabane s’éternise dans une maison havre, où la vie est sensuelle et monacale. C’est comme un vieux tricot dont la belle laine et le dessin, même raccommodés ici et là, forcent encore l’admiration des passants (et même de nous), mais qui se laisse oublier au quotidien, tellement il a pris les formes du porteur.

Glissons de l’immobilier en pierre et brique pour arriver à l’image figurée. Nous avons notre adresse, mais avec les années qui s’accumulent depuis les îles flottantes nous avons élu domicile l’un chez l’autre, l’un dans l’autre. Seulement, cette image rend pertinente la tente, à peine dans le cadre mais prête à toutes les couleurs pour se faire remarquer, et qui rappelle malicieusement que tout campement humain devra un jour être levé pour le départ.

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