IMGP0219 « Un jour, aux environs de midi, en me dirigeant vers ma barque, une chose m’a formidablement surpris : j’ai vu une empreinte de pied humain nu sur le rivage, clairement dessinée dans le sable. »

A ce moment célèbre dans la littérature, la longue soif de contact humain de Robinson Crusoë, seul survivant d’un naufrage, rentre en collision avec sa peur de l’autre. Il se cache.

En posant son pied, l’inconnu venu de l’Océan avait créé la particule élémentaire d’un système complexe de communication. Si d’autres l’avaient suivi nombreux et souvent, il se serait formé, pas à pas, un chemin.

Autour de Villeblain, hameau dans la vallée de la Crise, les chemins qui partent vers les quatre points cardinaux sont comme des artères du système circulatoire de ceux – rares aujourd’hui – qui les pratiquent. Par le marais Haudrillier ou le champ de La Matrelle en bas, ou vers les bois du Phénix ou de Concrois en haut, ce sont les traces d’une intention collective durable : « Allons-y ».

Prendre le chemin qui monte à Terres Fortes . Passer devant les dernières maisons, en soutenant le feu roulant des aboiements de chiens, enfermés mais qui doivent rassurer leurs propriétaires en vous faisant croire qu’ils vous arracheraient la gorge s’ils pouvaient. Après, le silence marmonnant et gazouillant d’un chemin creux, entre champs à droite et bois à gauche. Une fourmilière paraît y avoir été déversée par un passant. Percevoir l’entrée de la carrière qui a donné sa pierre couleur crème pour construire le hameau, puis servi de chevrière et, pendant la dernière guerre, d’abri pour les soldats allemands – « avec un piano ! » dit-on pour impressionner les nouveaux. Longer le champ de Terres Fortes, au relief tout en courbes, et où le soc fait monter encore des cailloux dont on fait des tumulus pour les enlever. Entrer dans le bois de Concrois parsemé de creux, comme si des bêtes s’y étaient roulées, faits par des obus pendant la Grande guerre. Il y a même des tranchées à moitié gommées. Aucun endroit, si paisible qu’il soit, n’est à l’abri de l’histoire.

Sortir des bois sur les champs du plateau et atteindre le hameau de Taux, d’où part un second chemin qui redescend à Villeblain à travers les bois. Arriver au marais d’Haudrillier, où le chemin passe au milieu d’un grand champ. Avant, au centre de gravité de cette étendue, il régnait en monarque bienveillant et généreux un grand noyer, abattu pour avoir empêché les longs bras d’une machine agricole de virer librement. Des plantations de peupliers et d’anciens pâtures et vergers mènent à Villeblain, en face du « château » (dont le propriétaire dit « Une maison bourgeoise du 19e siècle, c’est tout. »)

Un chemin peut se développer, supporter une circulation importante, même des véhicules. A quel stade devient-il une route ? Sans doute lorsque deux voies sont établies sur la chaussée, établissant la séparation des voyageurs, au lieu de favoriser leur rencontre.

Car comme pour Crusoë, la question qui importe est de savoir, non pas où va un chemin, mais qui y va.

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