Archives pour octobre 31st, 2008

A mi-chemin du cours du Mississippi, long a faire trébucher une imagination européenne, s’y jette le Meramec. En amont, je suis planté dans les eaux de cette rivière. Elles ne recouvrent mes jambes que jusqu’aux chevilles. Mais la lame d’eau, épaisse feuille de verre lisse, exerce une force à peine résistible, formant un « V » affirmé derrière chaque mollet.

L’épagneul breton pourrait initier un discours sur la chasse, sa beauté ou son horreur, ou sur le paysage poétiquement flou du fond. Mais je cède à une force qui me jette dans le fleuve des souvenirs fondateurs, long comme le Mississippi.

Ma cousine et moi nous voulions pénétrer par effraction la nuit dans un manoir abandonné depuis peu par une famille au nom germanique (une histoire de maître à danser allemand et de jeune fille de bonne famille, à remplir un roman sentimental). Il côtoyait un fleuve (encore un) aux eaux roussies à sa source dans les tourbières irlandaises.*

Comme à chaque sortie, nous amenons les deux chiens, un colley énergique et un vieux « lurcher » (croisé d’un lévrier avec un colley, connu pour être le chien des braconniers). Ce Monty avait été recueilli après de si mauvais traitements qu’il se mettait à trembler si une voix s’élevait, même si elle ne le visait pas. J’avouerai, ici, avoir parfois crié quand nous étions seuls, rien que pour le voir s’aplatir obséquieusement. Pourtant j’étais toujours partant pour le porter au retour de nos promenades trop longues, grosse masse glissante dans mes bras.

Une lampe de poche à la main et un creux dans la poitrine, signe d’une exultation teintée d’appréhension que reconnaîtront d’autres adeptes de la transgression, nous traversons les pièces vides.

Après un demi-palier l’escalier se scindait augustement en deux volées. A la redescente la lampe tombe, une panique hilare pointe, et Monty dérape sur ses griffes allongées et dévale les marches, en ayant la peur de sa vie (nombreuses, certes, celles-là).

Pour sortir, nous passons une porte et entrons dans une serre, appentis altier au toit courbe. Un camélia, échappé à la discipline jardinière, avait proliféré jusqu’à tout remplir. A chaque pas, nous devons écarter une multitude de fleurs blanches aux pétales épaisses. Les chiens nous suivent, le colley bondissant, Monty ventre à terre. Dans la nuit, nous rentrons.

L’image d’opulence, de prodigalité naturelle, ne m’a pas quitté. Je lui donne forme ici, en éveillant Monty un instant de son long sommeil enfin apaisé.

J’y gagne, j’y perds. Le souvenir, devenu récit, s’éclaire. Mais les brumes qui l’entourent ne résistent pas au vent des mots. Monty, les camélias, même ma cousine, vous étiez plus riches que dans ma frugale histoire.


* Devenu ensuite maison de retraite austère, et maintenant hôtel de luxe dans un golf, là où broutaient les boeufs.

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