Archives pour novembre, 2008

A partir du premier étage, le style est vaguement Art nouveau. Non pas la structure, mais les festons, architraves, motifs censés relever sa banalité. Le rez-de-chaussée a été évidé, et seuls huit piliers carrés de béton portent les étages supérieurs. Il est dit qu’avant il y avait ici un café s’ouvrant sur la rue. Le Café Sourire.

Une fissure en forme de corps

De la roche, haute, grise, luisante. Il y a une fissure de bas en haut, irrégulière, mais elle épouse la forme de mon corps, qui y est coincé. Impossible d’avancer, impossible de reculer, impossible de tourner la tête, impossible de bouger un doigt.

Ce n’est pas raisonnable !

De cet angle, les jardins du château ont l’air d’être moyennement bien remis en état. Parmi les statues et les buis géométriques, seuls quelques pots, outils et touffes de mauvaises herbes déparent. Mais si l’on se retourne vers la façade du château, il est évident qu’il reste beaucoup à faire. Les pelouses sont négligées, les allées encombrées. Pourrions-nous habiter dès maintenant ce château ? « Mais non, ce n’est pas raisonnable ! »

A travers le miroir

Ce qui paraissait être un miroir remplissant l’alcôve du sol au plafond est en fait l’ouverture vers un couloir, avec des portes de chaque côté. La moitié sont ouvertes, et des hommes noirs sortent des chambres ou y entrent, et discutent aimablement.

Fibrociment

Dans une partie reculée du jardin, je retombe sur le bungalow, délaissé depuis trop longtemps. Les fenêtres béent, les pièces sont vides. La qualité de construction est médiocre : toit en fibrociment, cloisons d’isorel ballonnant. Mais il y a beaucoup d’espace, plus qu’à la maison tout près où nous sommes à l’étroit. Il ne reste qu’à le remettre en état.

Le sacré

Plus loin au-dessus des toits fleurit un bouquet doré de coupoles, flèches, tours. Ils sont arrondis, pointus ou carrés. Ils surmontent des temples, églises ou autres lieux de culte. Parfois la ville est différente, ce jaillissement d’architecture persiste. Cela reste à visiter quand il y aura le temps.

La petite ouverture

Il faut y aller, mais quel découragement à penser aux difficultés habituelles du chemin. Des champs, des haies à traverser, des murs à escalader, des regards à éviter (car la voie est en partie interdite). Surtout cette ouverture en haut d’une maison, difficile d’accès, et trop petite, mais un passage obligatoire. Derrière, il y a le grenier à affronter, avec ses horreurs. Mais c’est un autre lieu, une autre histoire.

Quels lieux ?

Le prix de location de ces locaux, maisons, paysages est le sommeil. Ce sont des lieux de rêve, s’imprimant avec d’autant plus de netteté déconcertante dans la banque d’images que l’esprit ne sait pas s’en écarter. Ils s’y sont fixés à jamais, alors que tant de lieux réels restent flous, simples endroits où se passe la vie.

Je propose aux lecteurs de déposer en commentaire leurs propres lieux de rêve, ces encadrements de la nuit qui pèsent sur le jour.

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Anne PHILIPE:  “Le Temps d’un soupir: ” Longtemps, j’ai su qu’à partir de notre amour, nous pourrions construire-une maison-des enfants….”

J’étais alors en quête d’une maison. La découverte d’une photographie, par le biais d’un site Internet, me renvoyait tout à coup à une foultitude de souvenirs. C’était la page blanche retrouvée de l’écolière et de la collégienne. C’était le libellé de la rédaction, qu’il fallait laisser mûrir à l’intérieur de soi, pour trouver tout à coup l’inspiration inespérée. C’était encore, la joie de griffonner à nouveau la page blanche. Les maisons sont comme des livres, elles sont comme nos vies: des maisons que l’on habite, ou l’on espère, des maisons pensées ou rêvées, des maisons habitées ou quittées…Elles sont des pages de livres écrites, présentes ou à venir, quelquefois perdues et qui ne reviendront plus.

Je venais de mettre en vente une maison que j’avais aimée. J’étais en chasse d’un autre lieu. Ce n’étais pas simple, j’avais visité quelques endroits, mais aucune encore ne correspondait à mes attentes. Et puis…

C’était un jour de Novembre, comme il en fait souvent en Picardie déjà froid et ce brouillard humide.L’hiver semblait déjà s’installer. J’entrais dans le jardin d’une maison que je convoitais depuis quelques semaines. Au sol les feuilles étaient racornies, bordées d’une dentelle de froid blanche, tandis que le potager au loin affichait la triste silhouette des choux  de Bruxelles roidis sous les assauts du gel précoce. Mes chaussures crissaient dans cette allée, bordée d’arbres qui devaient être si beaux au printemps et à l’automne.

J’entrais enfin dans cette maison… c’était surprenant… tout de suite, cette chaleur des parquets anciens en chêne, et le soleil déjà qui semblait timidement vouloir percer au travers des grands volets. La maison n’avait pas encore été vidée totalement de ses meubles. D’instinct, je me dirigeais dans un salon bibliothèque ou dormaient encore des livres, qu’une jolie propriétaire avait dû parcourir nonchalamment. Un fauteuil crapaud, d’un bleu délavé par un ciel de lune, semblait m’attendre. Je ne pu résister à l’envie de m’assoir, comme pour prendre possession de cet endroit. Il est des maisons ou d’instinct, on se sent bien comme si l’on ya avit toujours habité, comme si les murs tot à coup protecteur, vous faisaient oublier quelque peu la vie du dehors, en vous berçant d’une langueur originelle. Les maisons ont une âme, pour qui sait être à l’écout, pour celui qui cherche au delà de notre temps humain. Sont elles des lieux de vie? sont elles déjà l’ébauche de nos tombeaux?

Je veux croire en des lieux de vie, même si celà me paraît éphémère. Installée dans ce fauteuil, je rêvais à une jeune femme… une robe bleue, évanescente… je me pelotonnais dans mon grand châle, la rêverie s’était emparée de mon corps. Il flottait encore dans l’air un parfum de femme, une fragrance de Chamade de Guerlain qui samblait envahir encore l’atmosphère.

Je me laissais envahir par les bruits ténus de la maison. Des enfants avaient joués là, et je me souvenais avec exactitude du dernier Noel. On avait dressé un sapin immense dans le salon, il y avait eu des rires, et des jeux sans fin. On s’était poursuivi dans la maison, les cousins en renfort avait grossi cette meute joyeuse et tumultueuse déguisée en lutins facétieux, en indiens bariolés, chevauchants pour les plus petits d’éternerls chevaux à bascules. On s’était émerveillé d’un temps qui semblait ne pas devoir s’enfuir, ni s’échapper…

Puis, un jour le bruit des enfants s’en était allé.

Je sortais de ma douce torpeur, pour accéder à l’étage. C’était plus surprenant encore, un lit Gustavien sous un ciel de lit en toile de Jouy bleue, trônait dans cette superbe chambre.Je m’en voulais tout à coup de déranger une intimité si présente. C’était un lit d’amoureuse, un lit ou l’on avait aimé, un lit de chuchotements, et de soupirs de volupté.Je n’avais à cet instant même plus besoin d’aller plus loin dans ma visite. V’était dans cette maison que j’allais vivre. Elle saurait me donner encore du bonheur, et je saurai lui rendre vie pour des années encore.Un jour, une jeune femme viendrai à son tour, en quête peut être d’un endroit unique…

Elle ferait sienne, cette maison à pas de moineaux. Les arbres du jardin abriteraient les déjeuners d’été, tandis que le feu crépitera dans la cheminée dés l’automne. Le piano résonnerait d’une Marche Turque ou d’un air mélancolique de Satie.

De la cuisine s’échapperait des effluves sucrées et toujours des rires d’enfants. IL y aurait des goûters d’anniversaire et des repas de fiançailles…

Des rires, des joies et des larmes, encore et toujours. Et la vie qui passe, nous prend et nous emporte.

Je me suis réveillée ce matin, et j’avais fait ce rêve…

Une maison en Picardie, peut être un jour… peut être à nouveau…

Avec cette lumière et l’éclat des forêtes d’automne. Avec mes aieux qui dorment là bas.

Avec mes racines profondes ancrées dans les plaines Picardes. Une maison m’attend…une maison de famille. Mon rêve me l’a dit.

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Le cerveau humain est un mystère. Les souvenirs qui s’y inscrivent ont des importances différentes selon des critères qui échappent à l’entendement. Pourquoi ce rayon de soleil qui s’insinuait entre les lamelles des persiennes et transperçait d’une lance de feu l’obscurité de la chambre où on me forçait à faire la sieste, reste-t-il gravé dans ma mémoire ? Il n’avait pourtant pas le caractère dramatique des larmes de mon père quand son jeune frère est mort à 18 ans d’une péritonite. Pour un enfant de trois ans il est normal que cela s’inscrive de manière indélébile : son père, l’homme le plus fort de la création, peut donc pleurer ? En revanche, pourquoi se souvient-on qu’il y avait 22 marches à gravir pour accéder au palier ?
C’est dire que la maison natale occupe dans notre esprit une place tout à fait privilégiée. Avez-vous revu votre maison natale ? Moi je l’ai revue 2 fois « en vrai » et une fois en imagination. En imagination ? Oui, et cela aussi est resté bizarrement dans ma mémoire ! J’étais en 4ème des collèges au Lycée Carnot de Tunis, et le professeur de français nous avait donné comme sujet de rédaction : « évoquez un souvenir d’enfance ». Je m’étais alors projeté dans un avenir rêvé : émigré en France, devenu médecin (ce désir était consécutif à une récente hospitalisation) je revenais sur les lieux de mon enfance et redécouvrais ma maison. J’effectuais ainsi une sorte de double voyage dans le temps : vers le futur pour me situer en train de me souvenir et, une fois rendu là par mon imagination, vers le passé pour y retrouver ces souvenirs qui constituaient le sujet de la rédaction ! Quand je vous dis que le cerveau a des mystères insondables !
J’ai effectivement « émigré » en France. Je ne suis pas devenu médecin mais ingénieur. Un jour j’ai décidé de refaire le voyage que j’avais décris dans ma rédaction de 4ème (voyez : je m’embrouille, je dis « refaire » comme si je l’avais déjà fait !) L’usine dans laquelle ma maison était située avait cessé de fonctionner. Il y avait un gardien tunisien qui veillait sur les installations industrielles dont mon grand père avait été le contremaître. Elles ont étés mon premier terrain de jeu : l’atelier de mécanique de mon grand père, son bureau dans lequel il procédait aux analyses chimiques de l’huile d’olive, les grandes chaudières à vapeur que des hommes noirs de suie chargeaient en permanence, tels des conducteurs de locomotives, le visage éclairé par les flammes du foyer quand ils ouvraient la trappe d’alimentation. A Tunis, en hiver il pouvait faire très froid et il n’y avait pas de chauffage central. Ces jours là le « chauffeur » plongeait une grande pelle dans la chaudière et nous remplissait un seau de braises que nous ramenions à la maison.
Le gardien, très gentiment, m’a autorisé à entrer dans « ma » maison qui était maintenant la sienne. J’étais très ému. Des détails anodins qui étaient restés assoupis dans mon cerveau refaisaient irruption sans préavis : la frise du sol en carrelage sur lequel je jouais, constituée de losanges étrangement familiers, l’évier en ciment de la cuisine, dans lequel on me lavait, jeune enfant, avant qu’on utilise une grande lessiveuse en zinc de la buanderie située sur le toit terrasse. Enfin je vérifiais qu’il y avait bien les 22 marches inscrites dans mon souvenir.
Bien des années plus tard, peu de temps après la mort de ma mère, mon père, qui avait alors plus de 80 ans, voulut aussi revoir sa Tunisie. Bien sûr la visite de ma maison natale, qui avait été aussi importante pour mon père car il y avait passé sa jeunesse, faisait partie du circuit. Cette fois il n’y avait plus de gardien, et pour cause : il n’y avait plus rien à garder, l’usine étant en voie de démolition. L’escalier aux 22 marches était impraticable et même s’il l’avait été je ne serais pas monté. Je préférais garder intact le souvenir de « ma » maison. Le vieil atelier de mon grand père était encore là, avec le vieux tour sur lequel il usinait les pièces de dépannage, et d’immenses toiles d’araignées lui tissaient comme un linceul mortuaire dans la sombre crypte où il repose maintenant pour l’éternité dans le lit de ma mémoire.
Aujourd’hui, grâce à « Google Earth », ce logiciel qui affiche des photos de la Terre vue de satellite, on peut se rendre à peu près n’importe où en quelques clics de souris, de la muraille de Chine aux temples mayas de Mexico en passant par le village où vous vivez. Je suis revenu voir le lieu de ma naissance. La démolition a été achevée. On distingue, vue du ciel, un gros tas de gravas qui est tout ce qui reste de « ma » maison.
Alors, quand je vois ce panneau « à louer » sur cette maison je ne peux m’empêcher de penser à un enfant, devenu grand, qui la regarde et qui se souvient… « c’est là que je suis né », « c’est là que j’ai grandi », « s’il vous plait… préservez-la! ».

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1900 :

Jules tenant son âne par la bride, arrive près du moulin. Jacquet, passant par là l’interpelle :
« Hé Jules, tu vas faire moudre ton grain ?
Eh oui répond l’autre
Sais-tu brave Jules que ce moulin est hanté !
Hanté ? que me chantes-tu là ?
Si, si la sorcière qui y habitait, y revient de temps en temps. D’ailleurs elle a fait pousser une haie de buis pour qu’on ne la voie pas venir… Et tiens-toi bien pour la noce du garçon, il y a une quinzaine, elle avait dit au marié : « même si tu ne m’invites pas, je serai là quand même… » Eh bien ! Tu me croiras si tu veux, lorsqu’on a fait développer les photos, le visage de la sorcière apparaît, on la voit en train d’embrasser le marié !
Ah ben ! si c’est ça marmonne Jules, je vais aller faire moudre mon blé au moulin de Rémy. J’ai pas envie que ma farine soit ensorcelée !

1920 :

Louiset revenu vivant de la « der des der », a épousé Marguerite, et il vient habiter dans la maison qu’on appelle le Moulin des Robert
«  C’est pas une sorcière qui va me faire peur, a-t-il dit. Dans les tranchées j’ai frôlé d’autres fantômes autrement plus dangereux ! »
La roue à aubes du moulin tourne toujours, mais c’est une scie à ruban qu’elle fait fonctionner maintenant .
Louiset s’installe comme scieur de long.

1940 :

L’ancien combattant est désespéré, la guerre est revenue sur les terres de France…
La maison, il l’a rehaussée, car avec Marguerite, ils ont huit enfants, il faut bien les loger. En ces temps troublés, des réfugiés du Nord sont venus s’abriter chez eux. La maison pleine, bruisse de toute part. Elle se réveille très tôt le matin et s’endort tard le soir …
A côté, si la rivière continue de chanter, le moulin, lui, s’est tu, la fée électricité l’a remplacé pour faire tourner la scierie.

1960 :

Louiset malade s’est retiré des affaires. C’est son fils Etienne qui, avec sa sœur Margot a repris le flambeau. Tous les deux sont revenus, avec leur famille, vivre auprès des parents. Il a fallu démonter la roue à aubes pour faire place à l’habitation. Au total dix enfants, leurs parents et les anciens, la maison ressemble de nouveau à une ruche…

1980 :
La maison, le Moulin des Robert, est silencieuse. Louiset est parti vers d’autres cieux. La scierie a été délocalisée, l’espace ici n’était plus suffisant… Au foyer, il y a toujours Marguerite. Margot est restée près d’elle, avec Maurice son mari, et ses cinq grands enfants.
Il fallait aménager l’ancienne habitation, l’adapter à la vie moderne… Marguerite refusant, Maurice a décidé de reconstruire un nouveau logement dans d’anciennes dépendances. L’ancienne demeure s’est ainsi, à nouveau agrandie.

2000 :
J’arrive au Moulin des Robert. Une annonce dans le journal, m’a appris qu’il était en location.
La Grand-mère, et sa fille Margot, ayant rejoint Louiset, les enfants installés, Maurice est tout seul. Il a trouvé asile dans d’autre lieu.
Quatorze pièces ? Cette maison est un vrai château, une vraie caserne !… Mais c’est bien, j’ai de quoi l’occuper …
La rivière qui continue de chanter, me raconte les baignades, les batailles d’eau qu’elle a vécues. Elle me semble dire : «  Viens, j’ai besoin d’entendre rire les enfants, tu verras il fait bon vivre ici ! Sinon, ça deviendra sinistre… comme du temps de la sorcière !… »

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La poussière est-elle soluble ?…



Une maison véritable accueillante comme une niche, une carapace, une cabane avec table ouverte, un atelier où pouvoir s’étaler, un repli capitonné où faire chanter les instruments, des coins et recoins où se déployer, se réfugier, rire en cascade avec les autres, se lover, pleurer en cachette, s’aimer, ne plus se supporter, s’isoler délicieusement pour lire, coller des papiers ou gratter sa plume avant de retrouver la bande. Une maison, un lieu de partage où concocter à plusieurs un festin ou simplement griller des tartines, un décor insolite et joyeux fait d’objets chinés, récupérés, transformés, où chacun trouverait ses aises sans empiéter sur la fameuse liberté de l’autre. Un renouveau d’espaces dont les murs soudain dépliés comme des fleurs japonaises permettrait tout cela, et tout resterait à recréer, imaginer, aménager au prix d’une belle somme d’inventivité…


Des pièces en enfilade aux tentures poudreuses, encombrées de meubles obsolètes, des salles inexplorées se découvrant, s’ouvrant l’une sur l’autre comme des poupées russes, de telles visions d’horizons prometteurs hantent depuis des années les nuits de Claire qui vit à l’étroit dans un studio. Elle les reçoit émerveillée comme autant de cadeaux dans une perspective de déploiement qui la transporte tout en la rassurant. Les matins qui suivent sont légers, le souvenir du rêve exempt des mites et des poussières suffocantes n’engendrant que pensées optimistes et décisions de mieux-être. Claire se dit alors que tout est possible.


La poussière, la peur moisie, l’odeur âcre des caves, elle les a remisées avec l’enfance, avec ces années de guerre dont elle garde bien enfouies des impressions intactes, comme ce retour des abris où la famille découvre deux façades d’immeubles voisins défoncées par la masse tranchante des rails de chemin de fer, redoutables barres d’acier redressées à la verticale, ayant achevé leur folle trajectoire encastrées au coeur des appartements. Plus avant, au-delà d’une brèche qui troue la rue, un amas de décombres fume encore à la place du pavillon aux glycines, leur vis-à-vis du versant Est. Tous ses occupants sont saufs, le père de famille ayant pris l’initiative de faire sortir les siens dans le jardinet, leur enjoignant de s’étendre à plat ventre et les bras en croix. Ainsi, dans cette position couchée sur le sol que la petite assimile dans ses jeux à  “je suis mort“, il est possible de sauver sa peau ! Ce monde est décidément une mine d’étonnantes découvertes.


De retour à l’appartement, Claire s’élance en sautillant au long du couloir qui dessert les chambres, traverse le vestibule, foule de ses pieds nus la douce mousse  laineuse du salon où sont restés le landau et la poupée. Puis elle caresse le velours frappé du cosy-corner qui la déçoit chaque fois, toujours aussi rugueux au toucher que prometteur au regard. Dans le noir, elle s’efforce de revoir en pensée la nuance bleu pâle irisé du tissu rasé au poil déboussolé, contrarié, peigné en tous sens par la seule volonté esthétique d’un décorateur. Puis elle regagne sa chambre, nullement gênée que la lumière ne soit pas encore revenue : elle connaît sa maison par coeur. On la met au lit ce soir-là sans lui raconter d’histoire car il est trop tard. Le mi-Russe, personnage magique du poêle à fantasmes, a dû s’endormir d’épuisement. Serrant sa poupée, elle entreprend de lui expliquer qu’il lui faut parfois quitter l’endroit très vite sans prendre le temps de rassembler ses joujoux. En cas d’alerte, seuls les grands peuvent juger de ce qui est important et décident en conséquence. Elle ne trouve pas le sommeil et doit l’apprivoiser en s’inventant un rêve léger comme bulles de savon.


A ouvrir les vannes de la mémoire, à donner du présent au passé, le danger est grand de lâcher tout en bloc, comme les avions larguaient leurs bombes. D’un seul coup, par grappes entières vidées en plein sur leur cible. Menace de tous les instants. Le silence ne s’installe pas. Le vrombissement peut resurgir à tout moment et les pruneaux tomber dans les plus hospitalières demeures, sur le toit, sur les têtes, même dans un appartement suspendu entre terre et ciel, dérisoire repaire surmonté de dômes friables couverts d’une carapace d’ardoises cassantes comme du verre, abri précaire, de loin plus précaire que le bunker de la tortue du petit Paul. C’est ainsi que l’on vivait en 1942,  à la lisière de Paris, au creux d’une boucle de la Seine.


Manoleta, novembre 2008

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