Archives pour décembre, 2008

Longtemps je sentais une tristesse obscure en voyant marqués sur une pierre tombale un nom étranger et un lieu de naissance dans un autre pays. L’obscurité était celle qui teinte une émotion simple lorsqu’elle en éveille d’autres, plus troublantes, non admises. Je vivais déjà à l’étranger : s’agirait-il alors de trouver pire de mourir que de vivre loin de son pays ? Même pas mourir, mais rester sous terre « ailleurs » ?

J’ai été élevé dans un pays d’émigration. La misère, la faim, le chômage, mais aussi l’ambition et la tradition voyageuse, éloignaient les gens de leur terre natale. Ils partaient chercher fortune. Ceux qui traversaient seulement la mer d’Irlande rentraient pour les fêtes. Mais le départ aux Amériques, en Australie et en Nouvelle Zélande était sans retour. On accompagnait les partants jusqu’à l’embarcadère, et dans l’ombre du ferry pour l’Angleterre, première escale du grand voyage, ou du bateau qui rejoindrait le paquebot transatlantique au large, leurs père et mère, frères et sœurs, s’en séparèrent à jamais. Un dernier geste de la main de la coursive, et c’était fini. La relation ne se vivait plus que par lettres et dans les souvenirs.

Certains exilés ayant fait carrière et pris leur retraite pouvaient rentrer au pays en visite, mais devenus étrangers, habillés différemment, parlant avec un autre accent. Les seules retrouvailles avec la génération de leurs parents, qu’ils avaient connue dans la force de l’âge, avaient lieu au cimetière. Leurs propres tombes seraient creusées au pays d’adoption.

J’ai plongé à ma façon dans ce courant. Insensible à la poésie de Dublin, entendue de notre Belfast qui vivait en prose, j’étais plus attiré par ce Londres qui flamboyait comme un mirage, tant l’idée de toutes ses possibilités paraissait irréelle, et qui était pourtant réel. Dans les journaux anglais, arrivés en Irlande tard dans la matinée, je m’émerveillais à chercher une petite annonce avec une adresse dans la capitale. « Cette rue, ce numéro existent donc, un jour j’y irai sur mes deux jambes ! » Mon imagination s’y soûlerait d’une réalité à sa mesure. Au fait, j’ai vécu à Londres seulement le temps de connaître une vie de paumé et d’en avoir assez, puis j’ai traversé la Manche.

En partant à l’aventure, mon vague mépris pour ce que je laissais en Irlande cachait mal le fait que je fuyais autant. Quoi et pourquoi ?

Je tournais d’abord le dos à un amour qui n’allait nulle part, pour entrer, je pensais, dans un deuil indéfini (à vingt-deux ans, âge des grands espoirs mais non moins grandes désespérances).

Mais il y avait pire. J’étais mal armé pour gérer la truculence de caractère des Irlandais du Nord, dont ils étaient fiers – alors qu’un charme suspect dégoulinait de ceux du Sud, pensions-nous. Enfant pourtant expansif et vif, je ne savais pas me défendre (les répliques cinglantes resteraient sans effet sur la solidité locale, j’en étais sûr). La pugnacité était physique aussi. Sur la route de l’école un garçon plus jeune saisit un jour la poignée de ma sacoche. Je fus tellement glacé qu’il abandonna ce combat inintéressant, me laissant terrorisé chaque fois en passant devant son jardin. Comment de tels persécuteurs discernaient-ils ce qui m’empêcherait de les envoyer au sol, ou au moins au diable ? Grandi, j’avais une voix doucereuse pour éviter de franches confrontations. Je la croyais éteinte ici, mais elle est restée tapie en moi. Rentré récemment, et face à un individu qui me rudoyait à table, avec une agressivité qu’il pensait peut-être salutaire, j’ai entendu avec horreur ma voix s’adoucir, mes phrases se faire lénifiantes.

Qu’arriverait-il si je me dressais sur mes terres natales, la voix rugissante, poings en avant, un défi fait homme ? Je ne sais pas, et l’ignorance de ce qui m’en empêche fait que la vie ici restera en partie un exil, jusqu’à pouvoir enterrer pour l’éternité et à l’étranger ce qui m’a fait fuir, c’est-à-dire le ton de ma propre voix.

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11 novembre 1918 - C’est en octobre 1914, le 25 , que les «  fedwebel » sont venus apprendre à Maria, que Ludwig son mari avait été tué, en terre ennemie, en France. Depuis, elle espérait que les troupes allemandes occuperaient ce pays, comme en 1870, et qu’elle pourrait retrouver sa tombe. Elle avait bon espoir de ramener son corps reposer au village, à Wasmanroth, près de Francfort.

Eduard, leur fils, va sur quatre ans. Elle entretient  avec lui, le souvenir de ce père qu’il n’avait jamais connu. Avec la signature de l’armistice, elle sait qu’elle ne retrouvera pas son aimé, son chéri, qu’elle ne pourra jamais plus retrouver le creux de son épaule, pour y reposer sa tête.

Elle devra continuer à conduire, toute seule, la ferme où ils se sont installés en 1910. Au pays, la révolution a chassé le Kaiser, l’avenir est sombre.

« Qu’allons-nous devenir, se dit-elle ? Et Eduard comment va-t-il grandir sans toi ? Où est ton épaule Ludwig ? ton sourire, ta chaleur, ta force, tes bras me manquent ! »


1942 - C’est de nouveau la guerre. Mais cette fois l’Allemagne a envahi la France. Elle est à Paris depuis deux ans.

Maria, aidée de Eduard, a réussi à la ferme. Le fils devenu grand est d’un bon secours à sa mère. C’est un vrai soutien de famille. Il y a quatre ans, il a épousé Thérèsa qui lui a donné un beau petit garçon Hans Pieter. C’est tout le portrait de son Grand Père Ludwig.

Mais Eduard a du rejoindre la Wehrmarcht. Depuis six mois il est stationné en France. Sur la demande expresse de sa mère, il s’est mis à la recherche de lieu de sépulture de son père. Il a enfin trouvé, c’est à Parcy-Tigny !

Depuis qu’elle le sait, Maria supplie qu’on la laisse y aller…Mais Eduard, lui déconseille. Les trains sont souvent bombardés, les chemins de fer sont régulièrement dynamités… C’est trop dangereux ! D’ailleurs, elle n’obtient pas le sauf-conduit et Eduard doit rejoindre le front russe.

Maria pleure, désespérée… Pourra-t-elle, un jour, venir prier sur la tombe de Ludwig ?


C’est pour son soixante-dixième anniversaire que son petit-fils et sa belle-fille lui ont payé le voyage. En 1964 l’Allemagne et la France sont enfin réconciliées !

Grâce aux notes laissées par Eduard, qui à son tour a été tué à Stalingrad, Hans Pieter et Thérèsa ont pu faire cette surprise à Maria.

Elle est enfin là entre les croix de bois, son cher Ludwig à ses pieds. Elle lui murmure : «  70 ans d’âge et seulement 4 ans de vie commune. J’aurais vécu plus de temps avec une ombre, qu’avec toi en chair et en os ! Tu vois maintenant c’est la paix et c’est heureux ! Mais toi pourquoi es-tu venu verser ton sang ici ? Pourquoi ? Pour qui ? Warum (pourquoi) la guerre ? ».

Maria, appuyée sur ses enfants pleure… et, sur cette terre apaisée, ses larmes vont rejoindre le sang de Ludwig !


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Avant propos:  C’est ici, le souvenir d’une balade sur les chemins de  la première guerre mondiale, que je veux vous conter. C’est le souvenir d’entendre presque un siècle plus tard, les âmes qui hantent encore  la Picardie, quand le vent s’engouffre entre les croix des cimetières militaires, et  sur le plateau de Californie.

Sans oublier ce triste refrain, qui m’a accompagné tout au long de l’écriture: AUTEUR INCONNU “  La Chanson de Craonne”

Enfin, ERICH MARIA REMARQUE “A l’OUEST RIEN DE NOUVEAU:”
“Pardonne moi, camarade: comment as tu pu être mon ennemi? Si nous jetons ces armes et cet uniforme, tu pourrais être mon frère.”

Karl ou Walter
Etrangers a cette terre
Sans vie, face écrasée
Les vivants gueules cassées.

A Parcy Tigny, ailleurs, ici,
Au plateau de Californie
Et le vieux Craonne
Plus de maisons, plus personne.

Avant cette pluie d’obus,
Te souviens-tu?
Les rires d’Adelaîde et Victoire
Chemin de Dames devenu si noir.

J’avais là bas,
Une belle, que je prenais dans mes bras.
J’avais de l’autre côté du Rhin,
Une mère rongée de chagrin.

Dans le matin blême,
Le souvenir de Brême,
Et Berlin,
Et ses putains.

Quatre ans déjà,
Comme aux Eparges, là bas.
Le feu, la mitraille,
L’odeur des entrailles.

Que restera-t-il?
Un chant, un hymne.
Croix de bois, Croix de fer,
Et ces cimetières.

Passant anonymne,
Ecoute de l’abîme,
Ce chant lugubre de nos jeunes années,
Mortes avant d’aimer.

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Friedhof



Vous qui voyez ma triste tombe,
Sous ce ciel lourd de Picardie
ne pleurez pas !
Car je ne suis plus là !

Depuis ce jour de 1917 où un obus français
A découpé mon corps,
J’ai quitté ce Monde de terreur
Pour celui d’un rêve éternel.

Je suis maintenant partout :
Dans la pluie qui mouille votre visage,
Comme les larmes de ma mère
Quand elle a vu mon nom écrit sur cette médaille,

Dans ces flocons de neige,
Qui effleurent votre bouche d’un baiser
Comme jadis les lèvres de ma mie
Dans les nuits d’été de Vienne.

Je suis dans ces beaux nuages blancs
Qui viennent d’on ne sait où
Par delà les mers et les montagnes
Apportant le parfum de pays lointains,

Je suis dans l’eau transparente
Du lagon de Bora Bora,
Chevauchant les grandes raies
Qui glissent silencieusement.

Oui, je veux oublier.
Oublier la fureur et la haine,
L’aveuglement et la bêtise humaine,
Pour ne voir que la Beauté

De cette Terre que j’ai si peu connue.





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