En ce temps là, je revenais fillette sautillante, du marché de Soissons, épuisette à papillons à la main, telle Diane chasseresse. Ma grand-mère avait fait ses emplettes, et m’avait acheté au marchand à “cent balles” cette épuisette au milieu d’une quincaillerie, objets en tout genre qui n’étaient vendus pas cher.

C’était un temps, ou le quartier Lamartine, et la plaine Maupas étaient encore un formidable terrain de jeux,royaume des papillons, des sauterelles et des fourmis. J’avais les champs à portée de mollets solides, les arbres et les pâtures m’entouraient. Ma grand-mère, bonté faite femme, me gâtait de milles attentions. Mon enfance sentait la tarte aux pommes cuite au feu de bois, les quatre heures avec de magnifiques tartines de confiture, les tasses de chocolat brûlant,l’odeur des crêpes sucrées et la magie des gaufres…

Au jardin de ma grand-mère se dressaient rouges et flamboyantes de somptueuses pivoines. Elles refleurissaient, tous les ans. Et pour moi enfant, j’imaginais qu’il en était ainsi depuis la nuit des temps.Ces fleurs étaient particulières. Elles fleurissaient, autrefois dans un autre jardin… celui de mon arrière grand-mère. C’était impressionnant et rassurant cette filiation, ces racines qui s’inscrivaient dans ces simples fleurs. Ma grand-mère me parlait ainsi de sa mère, en surveillant la floraison. Ce n’était pas triste, puisque les pivoines étaient toujours vivantes et belles.

Le temps est passé…Moi, partie dans d’autres lieux, ma grand-mère vieillissant… Un placement en maison de retraite, à la suite d’une chute, fût décidé par ses enfants. Je ne pouvais rien, je n’étais que sa petite fille. Les premières semaines, les premiers mois, elle me répétait sans cesse:”Je ne sais pas quand je vais pouvoir rentrer, dans ma maison” Elle me parlait de son jardin et de son chien, entourée de vieux séniles répétant, hurlant toute la journée , l’une ” je veux rentrer, chez mes enfants” l’autre: “maman”…je la vis décliner…parlant bien elle aussi un peu toute seule… je sentais, que son esprit devenait confus, que les événements étaient mélangés. Les morts étaient prés d’elle, tandis qu’elle ne se souvenait plus que j’avais des enfants. Je me décidais un jour à rencontrer une soignante qui s’occupait d’elle:” C’est de la démence, dont souffre votre grand-mére me dit-elle”.

Je la retrouvais sommeillant:” Ah! c’est toi, celà va faire la Une du Journal l’Union!” pour me taquiner d’une absence trop longue. Elle avait changé, recrocquevillée, les cheveux un peu plus blancs. De la démence m’avait-on dit là haut. Je prenais la main de ma grand-mère, et les années n’étaient pas passées. J’étais toujours sa petite fille, et celà elle le savait toujours. Le vent agitait au loin la cime des arbres, et celà semblait l’inquiéter. Il y avait au centre de la table, un joli bouquet de pivoines rougeet je tentais de faire surgir des brumes de sa mémoire, cette douce évocation de notre histoire. Elle regarda les fleurs, ne sachant à cet instant si celà était bon à manger, à regarder, et pourquoi celà se trouvait ici.

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2 réponses à “Les Brumes de sa Mémoire”
  1. Jean dit :

    Votre récit, avec ses parfums de confitures, la couleur somptueuse des pivoines ancestrales, chante comme une petite musique qui nous entraine dans une douce torpeur, faisant de nous ces éternels voyageurs du temps qui passe…

  2. FENIOUX Jean-Louis dit :

    L’atmosphère de la maison de retraite est bien ressentie. Dans ces lieux,le mot “retraite” n’est plus synonyme de plus grande liberté mais équivaut à adieu à la vie quotidienne. Merci Christine.

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