Je vis dans un brouillard permanent. Je vogue dans ma maison en frôlant les meubles. C’est au son de leur voix que je me dirige vers les visiteurs. Les parcours en auto me donnent mal au dos : car ce brouillard m’empêche d’anticiper les virages, les accélérations, les freinages, les arrêts…

Vous l’aurez compris, je suis aveugle !

Je n’avais pourtant pas ce handicap à la naissance. C’est par un excès de diabète qu’il m’est arrivé, en pleine force de l’âge, à cette période où mes enfants, adolescents, avaient besoin de mon affection, de ma présence…

Inutile de vous dire que ce fut le noir total en moi ! Je restais des heures prostrée dans le canapé… A tel point que, Jean-Charles, mon mari, me retrouvait le soir dans la même position qu’il m’avait quittée le matin …Prostrée ! oui ! tel est bien le mot… Imaginez cette infirmité qui s’installe en vous…sans pouvoir y porter remède… Perdre la vue… c’est perdre la lumière, la couleur, les fleurs, les paysages, les visages…

Il m’a fallu du temps pour admettre, pour accepter cette non-voyance. J’en voulais à la terre entière, à Dieu lui-même ! Pourquoi moi ? Qu’avais-je fait pour que m’arrive ce malheur ? Pas de réponse ! seules les paroles éplorées des proches, des voisins… qui vous font autant de mal que de bien, car elles vous enferment dans un monde que seul, vous connaissez …

Mais la rencontre de personnes vivant ce même enfer m’a appris à vivre avec… Vivre avec c’est se dire qu’on ne peut pas laisser ses proches, son mari, ses enfants avoir pitié de leur femme, de leur mère. Il faut qu’ils en soient fiers…

C’est ainsi que j’ai appris à lire le braille… que j’ai réappris à refaire le lit sans un pli dans les draps… je me suis réorientée dans ma cuisine pour continuer à préparer les plats quotidiens et les desserts pour nos invités… sentir avec les doigts si il y avait de la poussière sur les meubles… apprendre à tricoter des pulls avec des motifs de couleur en différenciant les laines par le toucher et en comptant le nombre de mailles… j’ai appris à vivre dans un univers à moi, rien qu’à moi !

Mais j’ai voulu sortir de cet univers et retrouver des amis non-voyants. J’ai donné des leçons de braille. Je me suis inscrite dans des associations où j’ai rencontré par exemple un pianiste…, une chef de chœur en chorale…, des non-voyants bien intégrés chez les voyants.

J’ai voulu à travers ce témoignage vous faire découvrir mon quotidien brumeux. J’espère avoir réussi. Si vous rencontrez des non-voyants, je vous en prie, soyez simples…, ne détournez pas votre regard… adressez-vous directement à eux !

Gisèle.


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