Archives pour mars, 2009

Notes pour une mort

Je suis mourant. Je suis en train de mourir. « Généralisé » qu’ils disent, à voix basse.

Quand ils sont là, chuchotant, m’interpellant, m’encourageant, la voix ferme ou cassée par les sanglots qu’ils essaient de couvrir, j’ai envie qu’ils partent.

Ah ! Ah ! Ce mal qui, d’une partie de plus en plus grande de moi, est devenu ce dont je suis une partie.

J’ai envie qu’ils partent, me laissent, non pas en paix, mais en suspens. Mais, dès qu’ils s’en vont, le silence devient peur qui m’entoure, me provoque. Tout de même, ce n’est que la peur de la mort, de cette chute d’un avion haut dans le ciel, devant laquelle la chair n’est que refus. L’autre peur, celle qui est mon camarade depuis toujours, est pire. A tout moment l’idée que quelqu’un, quelque chose, puisse me happer dans le noir, me toucher, me montrer enfin le visage du mal. Le mal ? L’autre mal. Le mal au corps l’attrape comme un chien qui mord au fond des entrailles. Cet autre mal, qui me fait peur, vient, je l’ai appris ces jours-ci, de moi-même. Je me propose des images du mal, et ces propositions font se recroqueviller ma chair. Sachant cela, je pourrais désormais vivre en meilleure intelligence avec elle, la chambrer même. Alors que je meurs. Les grandes découvertes peuvent venir comme cela, trop tard pour les vivre, mais à temps pour mourir.

Le silence. Silence de la mort, dit-on. Ah, mal à en mourir.

Je voudrais une voix humaine qui ne se préoccuperait pas de moi. Une voix à la radio, qui passe par l’oreillette que je portais pour ne pas l’éveiller la nuit, elle. Elle. Mort, son corps qui faisait se tordre de désir ma colonne vertébrale. « L’homme est une ligne droite, la femme un cercle. » En murmurant cela, lèvres et langue distordues, j’ai connu l’érotisme, comme un timbre que je pouvais coller dans un album et regarder, preuve que je l’avais dans ma collection. Encore ici, mon corps brûlant comme un feu de vieux pneus, les mots me reviennent comme une personne qui passe dans la rue et me fait signe.

Une voix à la radio qui raconte les nouvelles chaque heure, le monde qui se répète ou se modifie minutieusement ou se révolutionne.

J’aimais la musique, mais elle est venue à m’ennuyer. Une voix claire ou assombrie qui porte une mélodie entraînante ou sublime, une clarinette qui, baroque ou jazz, me faisait croire en Dieu, seul capable d’enfiler les notes avec une telle certitude, puis les mettre sur les lèvres humaines.

Parti, ce plaisir - quel mot faiblard pour l’émotion qui me pressait alors le cœur, me donnait le vertige. A quoi ça sert ? La voix qui parle, de l’Afghanistan, de l’économie mondiale, de l’accident sur l’autoroute, du film qui sortira mercredi, me tient meilleure compagnie. La musique : ennui, répétition.

Voilà que le mal, et son ami l’inconscience, gonflent, saisissent mes pensées comme une meute de chiens tombe sur le renard. La clarté se brouille. C’est la mort. Je babille. Je voudrais trouver les mots finaux mais, comme toujours, les mots ne viennent que pour ce qu’ils ont envie de dire eux, les salauds, les talentueux. De toute façon, que dire ? L’homme ne peut regarder la mort en face, parce que l’être ne peut empoigner le non-être.

Le chat de mes enfants est devenu le mien après leur départ. Il tenait à moi - je ne dis pas « aimait ». A peine laissais-je traîner un vêtement, qu’il s’y lovait, dormait aux deux tiers, le laissant chaud derrière lui quand je le chassais. Dehors, il me regardait par la fenêtre, fixement, intensément. Comme j’envoie mon regard à travers cette vitre que, dans cinq minutes ou cinq heures, je fracasserai pour passer.

La vie part, comme quelqu’un qui prend dans les pièces d’une maison ce qui compte, bagages à emporter, ne laissant rien de valeur.

Le tourment ou le calme ? Aurai-je le loisir de me regarder sortir de la vie, ou vais-je me débattre, suffoqué par la douleur ?

Je meurs. Je suis en train de mourir. Quel spectacle, tout de même. Pas de bis, non merci.

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Un magasin d’antiquités, ici, là, ou ailleurs.. Secrets d’alcôve d’hier, senteurs de grenier, une méridienne aux tons passés pour belle alanguie. Quelques marches encore, accrochés aux murs des lithographies, dessins au fusain. Une commode ventrue, poignées dorées. Une vieille table, des couverts en argent, des cristaux de Bohême… Des verreries de Gallé, un vieux marbre fêlé.. Posé à même le sol, un trumeau Louis XVI, un chat, puis deux, puis trois, observent leur reflet. Douce patine du temps, et la teinte unique des glaces au mercure, chef d’oeuvre des maîtres vénitiens. Un chat d’albâtre,un de plâtre,un de bronze mordoré. Une cage à oiseaux, inventaire à la “Prévert”.

Ce miroir, qui m’attire… Les chats.. et ce miroir entre ombre et lumière, entre rêve et réalité. Suis je déjà entrée, dans ce miroir?  de l’autre côté? dans un autre lieu? une autre vie? Ce chat l’oeil en coin mystérieux, était il dans une autre époque? est-il vraiment la réincarnation d’une personne que j’ai connu, voire aimé? et ce sentiment de vécu, attaché à un lieu que je ne connais pas. Et ce livre, qui je sais m’avait appartenu autrefois. Ce Littré, qui était sur ma table de travail. Es ce un “jeu” de miroir ou un “je” de miroir? et sans craindre les anachronismes, j’ai le souvenir du jardin de Ronsard, et du siècle des Lumières. J’étais autrefois saute-ruisseau au temps d’Alexandre Dumas. Bien plus tard, j’errai à Paris au service presse de le rue Sébastien Bottin… Dans une autre vie j’ai aimé un Dandy, me perdant dans l’odeur de sa chemise à jabot. Constance et inconstance. Ce qui est moi, et ne le sera plus la seconde d’aprés. Ce que j’essaie d’écrire, et qui déjà m’échappe, comme la “Branloire Pérenne” de Michel de Montaigne.

Dix ans déjà, forte d’un premier manuscrit, je tentais l’envoi dans une grande maison d’édition. L’éditeur avait prit soin de me répondre: ” vous dîtes, qu’il y a deux personnes en vous… alors ce serait la troisième qui écrirait..” Ombre et lumiére. Dualité toujours. Vie et ténébres. Reflets et apparences. Jeux de je. L’écrivain au chat semblable, avec ses multiples vies. Et me voici entre ” Splenn et Idéal” “La belle Dorothée” et souvenir d’une chanson d’aprés midi “tes hanches sont amoureuses- de ton dos et de tes seins- et tu ravis les coussins- par tes poses langoureuses.” Charles Baudelaire.

Je peux d’un mot facile brosser un portrait, me laisser porter par l’imaginaire, me travestir entre mensonges et vérités.. je peux, d’un trait de crayon changer de prose en poésie. Osciller entre le Yin et le Yang. Et je peux être belle, autant que laide. Aimante et perfide. Je peux être douce et soyeuse, et d’un coup de griffe lacérer un joli coussin de soie… pour un mot qui ne vient pas.


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Tututt, oui ! c’est mon nom
Qu’a donné Margoton
Fillette coquine,
Cinq ans, la mutine.

Encore endormie
Près de moi se blottit.
Moment du gros câlin,
Dès le petit matin.

En milieu de journée
Je sors me promener
Cachez-vous, les mulots
Vous aussi les moineaux !

Je surveille mes proies
Dans le pré, accroupi
Lorsqu’elles sont près de moi
Vif argent, je bondis !

Margoton ! vois mes prises…
En colère, elle s’est mise
De son pied à frapper
Mon cul et j’ai miaulé …

La nuit, quand elle dort
Je retourne au dehors.
Le temps d’une amourette
Elles sont belles les minettes…

Lassé, au canapé
Je reviens m’allonger
En attendant Margoton
Et son nez si mignon !

vous dormiez ? Alors chut !
Excusez ce Tututt
Qui s’est trop bien réjoui…
Continuez votre nuit !


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On attribue aux chats toutes sortes de pouvoirs étranges, comme la télépathie, la prédiction du temps, la capacité de renaitre 9 fois, etc.  Il est souvent le « familier » d’une sorcière et je vais vous conter une expérience unique que j’ai vécue : celle d’un exorcisme, avec sorcière et chat noir à la clé !

Dans les années 50 mon père travaillait dans une mine de l’ouest tunisien. Comme il n’y avait pas de Lycée au Kef (la ville la plus proche) je faisais mes études à Tunis, au Lycée Carnot. Mes parents m’avaient mis en « pension » chez la sœur de ma grand-mère. Elle était italienne, vieille fille et bigote. Tout le monde l’appelait « Nanuzza » ce qui était un mystère puisque son prénom à l’état-civil était « Carmela ».

Elle recevait de temps en temps une amie qui lisait l’avenir dans les cartes. J’étais fasciné par ces cartes qui n’avaient rien des simples cartes à jouer. C’étaient de vrais tarots divinatoires, avec des personnages colorés et fantastiques, dont certains représentaient le diable, avec ses cornes, sa queue et ses sabots, ou la Mort avec sa grande faux poursuivant des hommes terrorisés. La vieille tireuse de cartes s’appelait Bertha. La description la plus simple que je pourrais en faire et de vous rappeler la vieille sorcière qui vient pour empoisonner Blanche Neige pendant que les 7 nains sont au travail dans la mine : mêmes nez crochu, menton proéminent, verrue sur la joue et bouche édentée !

L’année de mes 13 ans (encore un nombre magique !) j’ai eu quelques problèmes de santé. Plusieurs rhumes, dus probablement à mes escapades dans les montagnes du bled tunisien pendant les vacances de Noël, et surtout deux « orgelets » consécutifs avaient persuadé ma tante que quelqu’un m’avait jeté le « mauvais œil ». En italien on dit : « il mal’occhio » et le fait de l’envoyer se dit « la jettatura ». Elle soupçonnait la voisine du premier étage, qu’elle détestait, et dont les sourires hypocrites qu’elle m’adressait lui faisaient craindre le pire ! Dans de telles circonstances une opération de « désenvoûtement » s’imposait. Or, justement, la vieille Bertha ajoutait à ses compétences de cartomancienne celles de savoir enlever le mauvais œil.

Je me souviendrai toute ma vie de ma visite chez la vieille sorcière ! Bertha était pauvre. Ses talents ne devaient pas lui rapporter gros. Elle habitait sur la terrasse d’un petit immeuble, au centre de Tunis, dans une « buanderie » que le propriétaire avait du lui concéder à l’issue de quelque tractation secrète et dans laquelle la main du diable avait du intervenir. Beaucoup de maisons en Tunisie (et en Afrique du Nord en général) sont surmontées de toits en terrasse. C’est généralement le domaine des femmes (et des enfants), consacré aux lessives, au linge qui sèche au soleil, et aux confidences que les femmes se chuchotent à voie basse pour que les enfants n’entendent pas, sur leurs amours passées ou à venir.

La buanderie qui lui tenait lieu de chambre, de cuisine et de cabinet de travail, était petite. En fait il n’y avait de la place que pour un lit et une table. Je me souviens d’un détail incongru : sur le sommier du lit étaient posés au moins trois matelas superposés, ce qui donnait au lit une hauteur considérable et devait transformer le coucher en opération d’escalade. Sur ce lit trônait un gros chat noir dont les yeux vert et jaune se fixaient sur moi comme pour m’hypnotiser.

Avant de procéder au désenvoûtement Bertha voulait s’assurer de la réalité du besoin. N’allez pas croire qu’on peut effectuer un exorcisme à la légère ! Il ne faut opérer qu’à bon escient et après un diagnostic sûr ! Pour ce faire, Bertha prit une assiette, y versa un peu d’eau puis quelques gouttes d’huile. Comme les « yeux » qui surnagent sur un bouillon de poule au pot, les taches d’huile se promenèrent au hasard sur la surface du liquide, et s’agglomérèrent en formes arrondies irrégulières. Après examen de leur dispositions relatives Bertha assura ma tante qu’elle avait bien fait de venir car « ce petit a reçu le mauvais œil ». C’est là que commença l’opération proprement dite de désenvoûtement.

Bertha prit d’abord un couteau, ce qui causa ma première frayeur. J’étais à la fois terrorisé et curieux de savoir. Elle promena le couteau au-dessus de ma tête, sans doute (c’est du moins l’interprétation que j’en fis) pour couper les fils invisibles qui me reliaient au destin funeste que les taches d’huile lui avaient révélées. Ce faisant elle psalmodiait quelques mots incompréhensibles dans une langue qui ne ressemblait pas à de l’italien. (Je suppose que c’était un dialecte sarde aux étranges sonorités). Lorsque la litanie avait commencé le chat avait manifesté sa mauvaise humeur en soufflant rageusement et s’était enfui sur la terrasse !

Après de longues minutes qui me parurent interminables et pendant lesquelles j’essayais d’avoir un comportement digne et courageux, Bertha s’empara d’une aiguille à coudre ! Je fus pris d’un accès de terreur. Un instant j’imaginai que cette vieille folle allait me crever mon orgelet pour en extraire le pus ! Je repense rétrospectivement à cette scène et je m’imagine dans la peau de quelqu’un qu’on soumet à la torture ! Si on m’avait demandé d’avouer que j’avais volé la Joconde je l’aurais fait immédiatement ! Les mains de Bertha brandissant l’aiguille brillante s’approchèrent de mon œil. Je crois que j’ai hurlé.  On me rassura. On ne me voulait aucun mal ; au contraire ! La mélopée étrange recommença pendant que l’aiguille dessinait des croix incessantes devant mon orgelet, dangereusement prés ! Le rituel se poursuivit ainsi pendant un temps qui me parut très long.

Bertha assura ma tante que tout allait rentrer dans l’ordre. Pour faire bonne mesure elle lui offrit quelques gousses d’ail que ma tante devait accrocher derrière la porte de l’appartement, juste à coté des rameaux d’oliviers bénis à l’époque de Pâques (précisément aux Rameaux).

Au moment où nous nous dirigions vers la petite porte qui donnait accès à l’escalier de l’immeuble, le chat noir réapparut comme par enchantement et, après m’avoir jeté un dernier regard sournois, regagna la buanderie de la vieille sorcière. Je ne sais pas pourquoi je pensais soudain à ce conte dans lequel une sorcière avait transformé un beau prince en chat noir.
Et si ?…



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