Notes pour une mort

Je suis mourant. Je suis en train de mourir. « Généralisé » qu’ils disent, à voix basse.

Quand ils sont là, chuchotant, m’interpellant, m’encourageant, la voix ferme ou cassée par les sanglots qu’ils essaient de couvrir, j’ai envie qu’ils partent.

Ah ! Ah ! Ce mal qui, d’une partie de plus en plus grande de moi, est devenu ce dont je suis une partie.

J’ai envie qu’ils partent, me laissent, non pas en paix, mais en suspens. Mais, dès qu’ils s’en vont, le silence devient peur qui m’entoure, me provoque. Tout de même, ce n’est que la peur de la mort, de cette chute d’un avion haut dans le ciel, devant laquelle la chair n’est que refus. L’autre peur, celle qui est mon camarade depuis toujours, est pire. A tout moment l’idée que quelqu’un, quelque chose, puisse me happer dans le noir, me toucher, me montrer enfin le visage du mal. Le mal ? L’autre mal. Le mal au corps l’attrape comme un chien qui mord au fond des entrailles. Cet autre mal, qui me fait peur, vient, je l’ai appris ces jours-ci, de moi-même. Je me propose des images du mal, et ces propositions font se recroqueviller ma chair. Sachant cela, je pourrais désormais vivre en meilleure intelligence avec elle, la chambrer même. Alors que je meurs. Les grandes découvertes peuvent venir comme cela, trop tard pour les vivre, mais à temps pour mourir.

Le silence. Silence de la mort, dit-on. Ah, mal à en mourir.

Je voudrais une voix humaine qui ne se préoccuperait pas de moi. Une voix à la radio, qui passe par l’oreillette que je portais pour ne pas l’éveiller la nuit, elle. Elle. Mort, son corps qui faisait se tordre de désir ma colonne vertébrale. « L’homme est une ligne droite, la femme un cercle. » En murmurant cela, lèvres et langue distordues, j’ai connu l’érotisme, comme un timbre que je pouvais coller dans un album et regarder, preuve que je l’avais dans ma collection. Encore ici, mon corps brûlant comme un feu de vieux pneus, les mots me reviennent comme une personne qui passe dans la rue et me fait signe.

Une voix à la radio qui raconte les nouvelles chaque heure, le monde qui se répète ou se modifie minutieusement ou se révolutionne.

J’aimais la musique, mais elle est venue à m’ennuyer. Une voix claire ou assombrie qui porte une mélodie entraînante ou sublime, une clarinette qui, baroque ou jazz, me faisait croire en Dieu, seul capable d’enfiler les notes avec une telle certitude, puis les mettre sur les lèvres humaines.

Parti, ce plaisir - quel mot faiblard pour l’émotion qui me pressait alors le cœur, me donnait le vertige. A quoi ça sert ? La voix qui parle, de l’Afghanistan, de l’économie mondiale, de l’accident sur l’autoroute, du film qui sortira mercredi, me tient meilleure compagnie. La musique : ennui, répétition.

Voilà que le mal, et son ami l’inconscience, gonflent, saisissent mes pensées comme une meute de chiens tombe sur le renard. La clarté se brouille. C’est la mort. Je babille. Je voudrais trouver les mots finaux mais, comme toujours, les mots ne viennent que pour ce qu’ils ont envie de dire eux, les salauds, les talentueux. De toute façon, que dire ? L’homme ne peut regarder la mort en face, parce que l’être ne peut empoigner le non-être.

Le chat de mes enfants est devenu le mien après leur départ. Il tenait à moi - je ne dis pas « aimait ». A peine laissais-je traîner un vêtement, qu’il s’y lovait, dormait aux deux tiers, le laissant chaud derrière lui quand je le chassais. Dehors, il me regardait par la fenêtre, fixement, intensément. Comme j’envoie mon regard à travers cette vitre que, dans cinq minutes ou cinq heures, je fracasserai pour passer.

La vie part, comme quelqu’un qui prend dans les pièces d’une maison ce qui compte, bagages à emporter, ne laissant rien de valeur.

Le tourment ou le calme ? Aurai-je le loisir de me regarder sortir de la vie, ou vais-je me débattre, suffoqué par la douleur ?

Je meurs. Je suis en train de mourir. Quel spectacle, tout de même. Pas de bis, non merci.

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