nain-de-jardin_mod

Le jour émerge de la nuit sur nos jardins, avale les ombres, et fait croire à la bienveillance lumineuse.

Aux yeux diurnes, les nains qui y habitent sont d’excellents petits bonhommes, petites bonnes femmes. Il ne nous veulent que du bien. Regardez celui-là qui met sa brouette à notre disposition, celui-ci qui ratisse les feuilles, même quand il n’y en a pas. Un brave monsieur, les bras croisés sous sa barbe, surveille son monde avec satisfaction,. Un nain astronome scrute au petit télescope les étoiles naines (les autres se cachent déjà derrière la lumière). Dans un coin, une naine fait commerce, assise sur son banc avec son panier rempli d’œufs de la taille d’une crotte de lapin, pondus par ses poules doublement naines. Un pêcheur sur un tabouret, les jambes croisées, fait preuve d’une patience géologique, depuis le temps qu’il attend de ferrer une carpe grosse comme une baleine. Sur un monticule vert vif, les sept frères entourent la géante Blanche Neige qui danse.

Les habillements sont d’un classique ! Rien ni personne n’est débraillé. Le jean troué, le pull difforme, les baskets douteux, le décolleté voyant ou le bling bling, ce n’est pas pour eux.

C’est un monde travailleur et heureux de l’être, d’une gentillesse sans limites – regardez seulement ce nain qui dorlote un bébé écureuil. La déprime, connais pas. On est frappé autant par la saine absence de ce trouble-fête, la concupiscence. Seule varie la largeur du sourire – même Grincheux ne boude que pour mieux obtenir un baiser sur son crâne dégarni. Qu’il vente ou qu’il gèle, que le soleil tanne ou que la pluie crache pendant trois jours, le bonheur est entier, immuable. Ca fait du bien, n’est-ce pas ?

La nuit regagne sa place, refait les ombres. L’obscurité ouvre-t-il le monde à la malveillance ?

Les yeux nocturnes regardent dans le noir. Près de la brouette abandonnée, d’un vigoureux coup de reins un nain culbute une naine pliée en deux devant lui – ou est-ce un nain ?

Las de la bonhomie implacable de jour, les nains s’adonnent à la méchanceté. N’étant pas des gradés du mal, les sorts qu’ils jettent comme des tomates pourries n’atteignent pas intégralement leur but. Les borborygmes d’un garçonnet humain n’annoncent pas la péritonite aigüe espérée, mais au moins rate-il la sortie scolaire à la mer qu’il n’a jamais vue. Rendre hideuse une jeune femme pimpante, peut-être pas, mais en partant pour son rendez-vous d’amoureux elle se voit dans une vitrine : son nez s’est offert un bouton, un véritable volcan nano-nain au sommet vert tendre. Bon, le camion passe deux secondes trop tôt pour écraser le cycliste, mais il tombe, voile sa roue avant, arrive en retard à la salle d’examen, est refusé l’entrée (“Mais Monsieur, on prévoit une marge pour ces choses”) et refait son année.

Passons sous silence les sept nains qui convergent vers Blanche-neige. Dans le vrai conte, loin d’être méchante la reine-mère se déguise pour sauver sa si belle fille de ces pervers – ah cette chair blanche comme la neige ! Des sept, Timide surtout est connu pour ses penchants dépravés et cruels.

Faire peur ? Les nains s’y essaient sans conviction. Quelques bruits sourds sous le lit, un rideau qui flotte devant une fenêtre fermée, une ombre mouvante dans la cuisine ou les buissons, mais pas la grosse artillerie de l’épouvante.

Le nain animalier se met nonchalamment à manger vivant l’écureuil, en commençant par une patte avant. Qui aurait crû une si petite créature capable d’émettre des hurlements rauques comme ça ?


Aucun tag pour cet article.

Ecrits relatifs

Les commentaires sont désactivés.