Archives pour septembre, 2009

marque-pages-09-09-copie21J’étais le soleil, tu étais la lune. Nous dansions dans la moiteur indienne, mes bras tendus en haut pour dominer le jour, les tiens en bas pour accueillir la nuit. C’était sublime, c’était ridicule. Nous avons commencé à rire, moins du ridicule que de ce que nous voyions promis dans les yeux de l’autre. Tu es passée à un autre soleil, moi à une autre lune, en suivant la ronde.

Je connais un pays où les trottoirs sont parfois verticaux, les réverbères à l’horizontale. Et ses citoyens blasés discutent, rêvent, ajustent le rétroviseur, en attendant que le pont redescende et qu’ils puissent traverser.

Les voies d’eau entrecroisent les Pays Bas, et la population ne montre pas plus d’impatience devant un pont, un bac ou une écluse qu’un consommateur qui attend son café. Mais plus que de la résignation c’est du pragmatisme. Bismarck a dit que si les Néerlandais avaient occupé l’Irlande, ils en auraient fait un jardin d’Eden ; que si les Irlandais avaient occupé les Pays Bas, ils seraient tous morts noyés. Un Irlandais interroge les couleurs de ses humeurs chaque jour – sont elles brillantes ou ternies ? Un Néerlandais se dit qu’il a encore la chance d’une journée à vivre, et s’y met placidement.

Le terme “paysage” ne convient guère. En haut il y a le ciel illimité, bleu ou gris, ou avec des nuages en tumulte ; en bas l’eau, sa surface agitée par le vent ou labourée par les vaisseaux qui passent ; entre les deux comme un horizon, les étroites bandes de terre où vivent près de seize millions de Néerlandais.

Une frontière intérieure sépare l’Est, qui resterait au dessus de l’eau sans les digues, de l’Ouest, qui serait sous les eaux. A Amsterdam comme dans d’autres villes anciennes, les canaux paresseux encadrent des maisons émergées du Siècle d’or, disposées en coin ou en courbe, sans la recherche de perspectives qu’affectionnent les sociétés aristocratiques. Alors qu’invisible, et inconnue des étrangers, la houle de la mer du Nord, tout près, dépasse même les toits les plus élevés.

Les Néerlandais ont appris à vivre avec cette situation comme toute personne sensée qui n’a plus pied : en gardant la tête froide. La discipline marque leur histoire, de la guerre menée pendant quatre-vingts ans pour se libérer de la domination espagnole à leur survie à tant d’invasions. Quand vous vivez au bord de la mer, les autres pensent qu’il est facile de vous faire tituber et y tomber.

Un nageur a besoin d’une autre qualité : la persévérance. Si une vague vous éloigne, il faut regagner la distance perdue. Déjà en 500 avant notre ère les Frisons au Nord construisaient des monticules artificiels pour leurs maisons et fermes. Après les trente-cinq graves inondations du 13e siècle, la destruction délibérée par l’armée allemande en 1944, ou la combinaison de marées hautes et de tempêtes qui a rompu les digues en 1953, les habitants ont repris la lente tâche de réparation, en assainissant, séchant, rebâtissant, améliorant les défenses. A Colijnsplaat en 1953, les villageois ont retenu la mer en appuyant leur dos aux sacs de sable.

L’imminence de ces catastrophes naturelles rend tout relatif. Qu’est-ce qui peut être permanent et sûr, si la terre même sur laquelle on se tient exige une vigilance constante ? Ici aussi, la réaction n’est pas la panique, mais l’acceptation de l’impermanence de toute chose. Les rebelles et les individualistes, Descartes ou les hippies, ont trouvé aux Pays Bas non seulement un refuge, mais la liberté et la tolérance.

Aux Pays Bas, il n’y a qu’une seule règle immuable : si vous trouvez un trou dans une digue, mettez-y votre doigt, ou votre pied, ou un sac de sable, et attendez de l’aide. Tout autre dicton n’est qu’une abstraction qui peut, à tout moment, ne plus s’appliquer à la quête de cette terre ferme fondamentale enfouie dans les profondeurs de l’être.

Nos rires se sont retrouvés deux jours après cette danse ensoleillée, lunée, et au fond ne se sont plus quittés. Rires scandés par tout ce qui fait un mariage, une famille. Nos vies se sont enchevêtrées. Ta famille est devenue ma belle-famille, ton pays mon beau-pays.

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Les chevaux et moi…
Je ne peux pas dire que je ne les aime pas
mais il persiste une certaine distance entre nous

J’ai connu les chevaux de labour, les bons gros balourds
J’aimais bien leur robe grise, ou rousse, avec des taches
ils avaient l’air gentil, un peu trop soumis à mon goût

Les autres, les plus fins, les racés, les rapides, me font peur
Je n’ai monté un cheval , à cheval, sur un cheval
qu’une fois seulement, et mes fesses s’en souviennent
J’aurais préféré sans selle, pour ne faire qu’un avec la bête
comme les indiens des westerns de mon enfance
Lucky Luke avec Jolly Jumper
maintenant le jeune Yakiri des dessins animés
Son cheval et lui se sont mutuellement choisis
une histoire d’amour entre l’homme et la bête

Aujourd’hui mon rapport avec les chevaux ?
Je les regarde courir au bar PMU
avant dans « la grande course » sur Canal +
(c’est fini, il faut s’abonner à Equidia)
J’en vois qui y consomment leur retraite, sinon leur santé
à petits coups de 50 euros

Moi je parie sur un beau nom, ou sur un chiffre
deux fois sur trois, j’en ai un de placé dans les cinq premiers
Mais je n’ai jamais joué au tiercé ou au quinté
je suis trop sûre de perdre

N’empêche : le jeu, c’est prenant
A La Capelle dans l’Aisne, dans les courses de trotteurs
je me suis surprise à crier avec les mordus : allez, allez !

Alors que la pauvre bête pour enrichir son maître se faisait cravacher



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Du temps où j’étais enfant, je devais étudier, fort
Le sport, j’en étais dispensée pour gagner du temps à faire fonctionner ma tête
Résultat  négatif : il fallait le savoir au départ, je n’ai pas de mémoire
Ce que j’ai retenu : à trop penser sur une chaise, on peut ne plus pouvoir marcher

A un moment, je me suis révoltée
Ils étaient là tous les deux, mon père et mon frère, à s’exciter devant un ballon rond à la télé
« corner » ils criaient, des trucs comme ça
Je n’y comprenais rien, je leur posais des questions
pas de réponse claire, c’était tout juste si ça n’était pas :
retourne à tes livres, ou va aider ta mère à la cuisine

Mon sang a bouilli, j’ai décidé de leur en remontrer
il a fallu attendre les premiers salaires, la liberté financière
J’ai adhéré à l’association sportive des PTT
(je n’étais pas PTT mais j’ai été bien accueillie dans l’équipe des femmes)

Ha ça, j’avais la rage pour taper dans le ballon
mais pour marquer des buts, il faut aller de l’avant
et je me suis vite retrouvée à l’arrière
parce que pour taper, d’accord, mais dans le cadre, le machin, vous comprenez…
il faut d’abord courir sur toute la longueur du stade ou du pré
j’arrivais devant le but, complètement essoufflée
pour envoyer une pichenette dans la boule, le ballon rond

Vous vous doutez bien que je n’ai pas joué longtemps
la gardienne s’en est pris un, de but, en plein dans les incisives de devant
et moi, suite à un tacle (qui ne figure toujours pas dans le dictionnaire)
je me suis tapé une entorse, grave de grave

Maintenant, le foot, je le regarde dans les grandes occasions
le jeu, je ne cherche plus à le comprendre
et c’est toujours avec effarement que j’observe le comportement des spectateurs



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Ce matin là j’étais allé me promener, appareil photo en bandoulière, le long de l’Aisne, sur l’ancien chemin de halage. Près d’une écluse il y avait une vieille maison qui semblait abandonnée. Je la cadrais dans mon viseur quand j’eus l’impression que quelqu’un m’observait derrière la fenêtre du premier étage. Peut-être un simple reflet sur la vitre ?
Un peu plus loin il y avait un bar. Un de ces bars pour mariniers, où la bière du Nord (la gueuse) coule à flot, ainsi que le genièvre. Je m’adressai au patron et, en même temps qu’un café chaud, lui demandai :

- La maison près de l’écluse, elle est habitée ?

- Oh, ça non, pour sûr ! C’était la maison de Cri Cri, et … Mais vous n’êtes pas du coin? Vous n’connaissez pas Cri Cri et son histoire ? Par ici tout le monde l’connaissait le Cri Cri ! Y venait souvent là, tiens, dans l’coin là-bas!

Et le barman ne put résister au plaisir de raconter. Au fur et à mesure qu’il parlait, il devenait plus familier et son récit s’est émaillé de plus en plus de ces tournures et expressions « ch’tis » typiques de Picardie. Il parlait avec cet accent horrible qui donne l’impression que les gens parlent avec des patates chaudes dans la bouche…Je me suis efforcé d’en reproduire approximativement le contenu et les tournures pittoresques.

«

…Il avait pas été gâté par la nature, Cri Cri! Y savait pas (ou y pouvait pas) faire grand chose, rapport à sa tête qu’était pas « normale » comme on dit… Heureusement sa mère, en mourant, lui avait laissé la baraque et un joli compte en banque. Alors y passait ses journées argarder passer les péniches. Les mariniers et les marinières lui faisaient des signes et ça le faisait sourire et aussi plaisir car il se sentait un peu moins seul de savoir qu’il était si connu…
Nanard, le responsable de l’écluse, le faisait un peu travailler, pour l’occuper. C’est qu’y se faisait vieux, le Nanard… C’était un peu comme son matériel! Quelquefois les portes de l’écluse, côté amont, elles coinçaient un peu… Alors Cri Cri, il aidait un peu à la manœuvre. Il amarrait aussi les péniches pendant l’éclusage. Mais en fait il n’avait pas d’amis. Il aurait bein voulu mais y n’osait pas… Et puis y a eu Juliette !

Juliette : c’était la fille à Dédé, le patron batelier qui faisait les graviers entre Venizel et Soissons. C’était un beau brin de fille, la Juliette! Blonde comme les blés en Août, une poitrine à damner tous les saints du paradis. Et des yeux! Des yeux si grands, et si bleus, qu’à trop argarder dedans on avait peur de s’y noyer! On voyait bein que le Cri Cri il en pinçait pour la tchiote! Chaque fois qu’eul Dédé y venait au bar, Cri Cri y rappliquait aussi sec. Y s’mettait là, dans l’coin, et y r’luquait Juliette! Elle lui disait, pour s’moquer gentiment : « Tu veux ma photo, Cri Cri ? » Et lui, qu’avait pas inventé l’eau chaude, y disait : « Ben oui, j’voudrais bein! » Et toute la salle riait, et ça f’sait chaud au coeur de Cri Cri qui voyait qu’les gens l’aimaient bien.
Et puis un jour, pendant l’éclusage de la péniche à Dédé, on a vu qu’la tchiote avait trouvé un gars! C’était pas un gars d’cheu nous. Un type aux cheveux et aux yeux  noirs, genre italien, quoi ! A la façon qu’ys avaient de s’toucher on voyait bein qu’entre eux y s’était passé quequ’chose qu’était plus qu’une amourette ! Je m’souviens que c’jour là, y pleuvait… Une de ces pluies de fin d’automne, qu’a vite fait d’virer en neiche par chez nous. En r’gardant Cri Cri, on voyait que son visage était tout humide, et on savait pas si c’était la pluie, ou aut’chose…

Le l’endemain, la péniche à Dédé, elle est revenue à l’écluse et s’est présentée au bief aval. La Juliette, elle était toute seule! Ses yeux y paraissaient moins bleus, p’t être rapport au temps qu’avait viré à la neiche, ou p’t être qu’elle était triste d’avoir perdu son coquin! Elle restait là, sur le pont, à révasser pendant que Nanard s’occupait des vannes.
Et puis la porte du bief amont a coincé encore une fois! Nanard s’est mis à crier : « Cri Cri, viens un peu là, j’ai b’soin d’toi pour bouger ces sacrées d’portes! (Enfin y disait pas « sacrées » mais un mot plus vulgaire que j’ose pas répéter…). Mais point d’Cri Cri…
Alors Nanard argardé vers la fenêtre, et on l’a vu courir vers la porte de la maison …

Le reste, c’est Nanard qui nous l’a raconté… Cri Cri s’était pendu à la poutre de sa chambre du premier étage. Oui, celle où vous avez cru voir quelqu’un… Ses pieds tournaient comme une boussole qu’aurait perdu l’Nord : Ouest, Sud-Ouest, Sud… Et la vieille poutre qu’avait du mal à soutenir le corps faisait : « cri… cri… cri…cri… »

Bon, vous voyez maintenant pourquoi vous avez pas pu voir quelqu’un derrière c’te vitre ?

Mais j’vous ai ennuyé avec c’t histoire pas très drôle! Allez, v’s allez pas rester sur vot’ café ? Une tchiote gueuse vous réchauffera bein mieux, c’est moi qui vous l’offre!

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Il y en a dans mon jardin
des traces rousses d’herbe brulée
par les délestages de kérosène
à l’approche de Roissy
Ils sont déjà assez bas, les avions
qui laissent des traînées blanches dans le ciel
Quand ma grand-mère en voyait un
c’est tout juste si elle ne criait pas : à la cave !
Elle avait peur qu’il ne s’écrase sur la maison :
l’expérience de la guerre…
Côté fenêtre, une amie a vu le réacteur en feu
désormais, elle n’ira plus au bout du monde qu’en bateau
J’y ai eu droit aussi en rentrant du Mexique
Le pilote nous a averti que pour une raison technique
nous allions revenir à l’aéroport de départ
On a tourné, tourné en descendant
le temps de délester, les hôtesses étaient livides
Le musulman récitait des versets du Coran
la religieuse égrenait son chapelet
je priais à ma manière
Les pompiers nous attendaient
fin prêts à  éteindre nos corps racornis
mais nous avons bien atterri
Je n’ai pas repris l’avion depuis
mais si Dieu me prête vie, je le referai
A tout moment on court un risque
rien qu’à traverser la rue
Le plus difficile, c’est d’être prêt

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Je l’avoue : je n’ai jamais manifesté
ni adhéré à aucun parti, bien que tentée, et pas déçue par la suite
Je me rappelle d’une place au Pérou :
nous étions quelques touristes, assis sur un banc
tout à coup des hommes en armes ont surgi
ils nous ont fait déguerpir
une clameur montait de la ville en bas
ce jour là il y a eu des morts
Le lendemain, nous étions partis
pour poursuivre un circuit touristique
Bravo et merci à ceux qui osent et s’exposent
En France ça nous a rapporté, entre autres bénéfices,  les congés payés
la reconnaissance de l’aptitude de la femme  à voter
Aujourd’hui, ici, pas comme en Iran, en Birmanie, ou ailleurs
on peut manifester sans trop risquer sa vie
pour la préservation de ses droits, parce qu’on en a déjà
Certains en profitent pour se faire du bien
une manif à Paris organisée par la Fédé, ça fait toujours un buffet
sans parler des casseurs et des politicards qui récupèrent
En attendant, en toute liberté, sans me recommander de quiconque
je revendique  le droit à ne pas me coller un mobile sur l’oreille
pour polluer l’environnement  avec mes problèmes perso
à ne pas lire et envoyer texto sur texto
Le droit de refuser de répondre aux enquêtes qui  m’embêtent
à ne pas vivre avec les gens seulement par mails interposés
Refuser le progrès, non, il n’en est pas question
mais  pour préserver le contact humain
qu’on trouve encore dans les manifs
peut-être serai-je de la prochaine ?

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Quel nain ! T’as vu ce nain ?
Qu’est-ce que j’ai entendu !
Ils se moquent de nous, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat
Nous sommes considérés comme des sous-hommes, des asservis
toujours présentés en tenue de travail
en bleu ou en vert, sans col blanc s’il vous plait
avec un outil sur l’épaule
La hache, il faut la porter
avec la lampe, on fait le pied de grue
Sur l’épaule on nous prête un petit écureuil
pour faire gentil mimi, pour ne pas dire cucul la praline
Au point qu’une association s’est créée
pour nous enlever, nous libérer de notre servage
ça a marché : notre absence remarquée a révélé notre importance

Parce que ça fait du bien
d’avoir sous la main un plus petit que soi
ça élève, ça rassure
De notre côté, s’ils savaient… ça nous a manqué
parce que nous, on épie les dessous, on voit sous les jupes
on suit de près les parties de jambes en l’air
à  l’ombre des sous-bois
et on ne rend pas compte aux média
Parfois ils nous regardent d’un air soupçonneux
Ils devinent, ils imaginent des choses
et nous, on leur sourit niaisement
Alors, hein ? Qui fait marcher l’autre ?

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