Nota : après la visite chez Salim, une foule de souvenirs de mon enfance tunisienne ont refait surface dans ma mémoire, réveillés par les images et les mots du peintre. Le texte qui suit n’est donc pas une biographie de Salim Le Kouaghet mais la traduction de mon état d’esprit à l’issue de la visite.

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Hier j’ai reçu un groupe de personnes venues me rendre visite et me questionner sur ma peinture.
Quand ils sont partis, seul dans ma grande maison picarde, j’ai regardé derrière moi. Mon passé, mes racines…Comme le disait Gauguin dans un de ses plus célèbres tableaux, perdu au milieu du Pacifique, loin de sa terre natale : « d’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? »
A la sortie sud de la ville où j’habitais il y avait un panneau routier qui fascinait l’enfant que j’étais. Il indiquait les distances de villes africaines qui étaient pour moi comme des mirages lointains et attirants : Tombouctou 2634 kms, Le Caire 2537 kms.
Lorsque le « hamzin », ce vent du sud soufflait, mon esprit s’évadait vers ces lieux mythiques, à la rencontre des caravanes de sel. Les murs des maisons de la ville prenaient alors cette couleur ocre que l’on voit dans certains de mes tableaux.
Notre maison était grande. Elle s’organisait autour d’un « patio », grande cour carrée à ciel ouvert, sur laquelle donnaient toutes les pièces. Le soir, quand l’air frais des montagnes de Kabylie envahissait la ville, nous nous retrouvions autour du bassin d’eau et nous écoutions mon grand père nous raconter « la France » qu’il avait connue pendant la guerre de 14-18.
Ma mère avait un métier à tisser et, avec ma sœur ainée, travaillait à un grand tapis qui devait orner sa chambre. La mémoire est étrange… je ne sais plus où j’ai mis les clés de l’atelier mais les motifs du tapis sont gravés à jamais dans mon cerveau ! J’ai montré aux visiteurs ce grand tableau où figure ce tapis de ma mère, mais peuvent ils comprendre ?
Il y a la musique aussi, et le rythme un peu hypnotique du achwiq, le style musical kabyle, que ma mère chantait pour bercer mon petit frère. C’est ce rythme que j’essaie d’imprimer à ma main lorsque je couvre ma toile de ces motifs calligraphiques tous différents. Ils sont comme la musique qui m’a bercé, riche de variations mais pourtant composée de quelques notes seulement !
Un jour je suis parti. Non vers ces villes mirages dont je rêvais mais vers la France.
Je me suis installé sur cette terre picarde martyrisée par la folie guerrière des hommes. Mon grand-père, qui repose maintenant dans la terre de son pays, avait combattu ici. Les récits qu’il nous en faisait étaient pleins de bruit et de fureur et pourtant baignés de la nostalgie de sa jeunesse. Dans quelques unes de mes toiles j’ai essayé de peindre cela : des maisons dévastées. Je ne sais plus si ce sont celles de la Picardie après la guerre ou bien celles de mon quartier en Algérie, aujourd’hui livré à la destruction planifiée ?
J’entends la porte qui s’ouvre… ma fille rentre de l’école ; je reprends pied dans la réalité, le voyage est terminé mais les cailloux du Petit Poucet qui jalonnent le chemin de mes souvenirs sont toujours là car ils remplissent aujourd’hui mes toiles pour toujours.

 

 

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