Archives pour février, 2010

“Les feuilles sont retournées sur la blancheur, comme si un animal avait cherché de quoi manger sous la neige. Je les éparpille encore par un coup de pied. Tiens ! Sans avoir le temps de penser, une réminiscence surgit : « Tes ongles sont en deuil, alors ? Va me les laver cet instant. » Puis je me rends à la réalité de cette main qui sort des feuilles, et de son poignet. Les doigts ont dû gratter furieusement la terre, dans l’espoir d’éviter à un corps d’être enterré vivant.”

Un jour à l’école élémentaire j’ai su épeler. Jusque là, j’apprenais chaque mot mais, comme si une électrode avait été plantée dans ma tête, ou une secrète connaissance soudain impartie, j’ai saisi la vaste rigolade de l’orthographe anglaise. Plus tard, j’ai acquis péniblement les conjugaisons françaises, alors que les francophones nés, y venant par la langue parlée, ne prennent que rarement au sérieux les terminaisons. (Pour la prononciation, c’était autre chose. Invités à causer le français avec nos bouches irlandaises, c’était comme si l’on nous confisquait nos cuillers et nous obligeait à manger la soupe avec une fourchette – encore aujourd’hui, même si j’ai un joli coup de fourchette en parlant, mes origines se trahissent par les éclaboussures sur ma cravate.)

Les fautes d’orthographe sont comme de fausses notes en musique : elles attirent l’attention qui devrait se fixer sur les jolies cadences autour. Mais leur absence ne garantit pas la qualité. Maîtriser l’orthographe n’est pas maîtriser l’écriture, cette mystérieuse rencontre entre l’ambition de l’écrivain et les signes codés qui doivent la porter. Les mots ne sont pas que de beaux coquillages à ramasser, mais des grenouilles qui sautent à l’approche. Ecrire, c’est composer avec eux pour composer sa musique.

Ce texte commence par une idée venue un jour de neige et de feuilles sur la neige. En faire une histoire policière demanderait un labeur d’ingénieur pour construire l’intrigue, et de diplomate pour l’écrire. Au début, les mots sont très arrangeants. Après, ils auraient leur mots à dire. Pour l’instant ils aident, acceptent même des variations. Essayons :

Les feuilles sont retournées sur la blancheur, comme si un animal avait cherché de quoi manger sous la neige. Je les éparpille encore par un coup de pied. Les oiseaux et autres bêtes à quatre pattes ont dû gratter, creuser. Ici, je m’en aperçois avec un spasme inattendu d’entrailles, ils ont trouvé. Une main, un poignet émergent des feuilles. Deux des doigts sont déjà rongés jusqu’à la deuxième phalange.”

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