Archives pour juin, 2010


Ancienne chaussée romaine

Ancienne chaussée romaine

L’accélération des découvertes scientifiques et l’omniprésence dans nos vies quotidiennes des objets qu’elles ont produits (Automobile, Télévision, Ordinateur) peut donner l’impression que le monde romain, comme celui de Sénèque auquel est consacrée l’exposition de la Bibliothèque de Soissons, est très éloigné du notre. Or la lecture des philosophes grecs ou romains nous montre une proximité de pensée qui nous surprend. Rien d’étonnant à cela : au sens de l’évolution biologique, les deux mille ans qui nous séparent de l’apogée de l’empire romain ou grec ne représentent qu’un instant infinitésimal.
Certes les informations accumulées dans les têtes de nos enfants ont une diversité et une étendue plus grande que celle des petits romains, mais l’aptitude au raisonnement, la réflexion, l’intelligence en somme, n’ont pratiquement pas évoluées.
C’est la raison pour laquelle la philosophie de Platon ou de Sénèque,  leurs enseignements sur l’économie ou la condition humaine nous semblent si proches et sont constamment étudiées encore de nos jours.
La raison en est que  les principales préoccupations humaines demeurent inchangées : le Bonheur, la Vie, l’Amour, la Richesse.

Je me souviens du village minier de l’ouest tunisien où je revenais régulièrement aux grandes vacances rejoindre mes parents après mes études à Tunis. Le lieu s’appelait Garn Halfaya, ce qui, en arabe, veut dire approximativement : « la pointe de l’alfa ». Ce nom provenait de cette herbe filamenteuse qui recouvrait la steppe semi-désertique, herbe qui ondulait au gré du vent comme des vagues de cheveux blonds parcourant les vastes paysages jusqu’aux confins du désert saharien.
A la sortie du village il y avait les restes d’une ancienne ville romaine. J’aimais me promener dans ses  rues. Les murs des maisons ne s’élevaient plus qu’à une cinquantaine de centimètres mais on devinait le plan des pièces et on repérait facilement le seuil des portes d’entrée à la grande pierre de taille qui le composait. Avec un peu d’imagination - mais quel enfant n’en a pas - on côtoyait les fantômes des anciens habitants vacant à leurs occupations.
Après les pluies je découvrais souvent des pièces de monnaie au milieu des habitations. Je les nettoyais au jus de citron et déchiffrais les noms des empereurs romains dont les noms étaient « Maximus » ou « Phillipus ». Je recherchais dans les dictionnaires leurs histoires, violentes et souvent courtes. Assis sur les vieilles pierres, dans le silence qui n’était rompu que par le chant des alouettes enivrées de soleil, je méditais sur la fragilité des empires. Cette proximité « physique » avec les restes de l’Empire romain m’a aidé par la suite à mieux pénétrer dans la lecture des récits anciens. Nous sommes plus sensibilisés aux évènements qui se passent dans un endroit qu’on connait. Ne vous sentez-vous pas plus concernés parce que c’est  au coin de votre rue que tel ou tel évènement s’est produit ? C’est l’impression que j’avais quand je lisais Sénèque ou Plutarque. Et que dire de Saint Augustin, né dans un village situé à quelques dizaines de kilomètres seulement de la mine de Garn Halfaya ? C’était quasiment un compatriote pied-noir !

Ainsi nous aimons ce que nous connaissons et à l’inverse nous repoussons ce qui nous est étranger. N’est-ce pas là la source de la xénophobie ? Je repense au thème de l’immigration, qui a donné lieu à une exposition récemment. Ce Sénèque, né à Cordoue et mort  à Rome, et Saint Augustin né à Souk-Ahras, mort à Sousse, illustrent mes propos d’alors : le goût de la découverte et la migration pour la satisfaire sont un désir fondamental  de l’Homme. Nos lois locales peuvent s’y opposer temporairement mais l’Histoire de l’humanité est aussi celle de ses migrations.

 

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Un vieil adage dit que « l’arbre cache la forêt ». On peut dire que notre question franco-française sur l’immigration, qu’elle soit évoquée par les gens ordinaires ou la classe politique, relève de cet aveuglement.  Obnubilés par la stigmatisation qu’on en fait : surpeuplement d’immigrés dans certains quartiers, abus ( ?) d’utilisation de nos prestations sociales diverses, comportements ethniques, nous refusons de voir que l’immigration est un phénomène sociologique profondément inscrit dans les comportements de l’humanité, voire dans ses gènes.

Le grand (l’immense) Fernand Braudel a écrit, bien avant que le mot « identité » ait été utilisé dans le sens étriqué que lui donnent nos hommes politiques, un ouvrage d’un millier de pages intitulé : « l’identité de la France ». S’étendant sur quatre millénaires, il montre l’extrême diversité qui a formé ce que d’aucun voudrait simplifier et regrouper sous le vocable « identité ».

Certes la couleur noire d’une peau est facile à distinguer et catalogue immédiatement son porteur dans la catégorie des immigrants africains mais qu’en est-il de celui-ci : peau blanche mais très mate, cheveux noirs profonds, nez allongé ? On peut imaginer que ces « arabes »de type « sémite » que notre Charles Martel (ce nom a été utilisé par des groupes xénophobes d’extrême droite) a vaincu à Poitiers ont du laisser quelque descendance.  C’est là une des premières formes d’immigration : celle des invasions consécutives aux conquêtes guerrières. Pas la plus ancienne toutefois… Il y a près d’un million d’années, lorsque les conditions climatiques de la vallée du Rift africain de sont durcies, les peuples d’hominidés qui vivaient paisiblement de la cueillette de baies dans la forêt ont du émigrer. Cette fuite les a amenés aux confins du monde, à des milliers de kilomètres. Cela peut sembler incroyable mais songez qu’un simple déplacement de 10 kilomètres par an vous fait faire plusieurs fois le tour de la terre sur l’étendue des temps préhistoriques (dizaine ou centaine de milliers d’années). L’homme de Neandertal, installé paisiblement en Europe, n’y a pas résisté. On ne sait pas encore aujourd’hui s’il y a eu éviction ou assimilation, car l’interfécondité entre « Homo sapiens » et Neandertal n’est pas démontrée. Ce qui est sûr c’est que les deux cent mille ans qui ont précédé leur « extinction » sont une durée immense comparée à notre temps historique ! Posez vous simplement la question : que sera le paysage français dans cent mille ans ? Y aura-t-il encore des « banlieues » ou la population noire est ghettoïsée, ou bien à l’inverse la population blanche s’y sera-t-elle réfugiée ?

Le « capitalisme » a inventé une autre forme d’immigration. Les « Etats-Monde » (je reprends le terme utilisé par Braudel) ont eu besoin de main-d’œuvre pour faire face à leur développement économique (Etats-Unis, Europe,  Russie tsariste). Pour répondre à ces besoins ils ont importé massivement des immigrés. Ce sont les restes de ces vagues qui nous perturbent aujourd’hui.

Je suis désolé de vous avoir ennuyés et amenés si loin dans l’espace et le temps pour vous parler d’un sujet somme toute aussi banal que celui de l’immigration. Vous auriez pu profiter d’une jolie nouvelle racontant comment mes ancêtres croates émigrèrent vers la République de Venise  dans le quartier ghetto des « Schiavoni », c’est à dire des Esclaves , puis en Afrique du Nord à la recherche d’un Eldorado qu’ils n’ont pas trouvé avant de se fixer en France ajoutant une facette supplémentaire à cette identité française… C’est que je suis fait comme cela : toujours je balancerai entre ces désirs complémentaires de la « grande » et de le « petite » Histoire, celle des hommes en général et celle d’un individu.

 

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Ils parlaient entre eux en anglais, d’un lourd accent de l’Europe centrale qu’un imitateur n’oserait pas reproduire, de peur d’être accusé de parodie cruelle. Ils n’avaient jamais bien appris le polonais de leur pays de naissance, et le yiddish s’était barré en chemin. David et Golda Goldstein.

C’étaient les parents d’un ami de Londres. Ils tenaient deux magasins d’habillement féminin dans des banlieues lointaines de Londres, cette ville où tout est lointain. Quand nous nous sommes connus, ils se préoccupaient exclusivement de ce commerce et leurs deux fils, mais la grande histoire avait bousculé le passé de chacun. David me racontait des bribes du sien, mon ami Bernard celui de sa mère.

Aux premières années du siècle dernier, David se trouve devant l’obligation de servir sept ans dans l’armée tsariste et décide de quitter la Pologne. Un passeur l’accompagne jusqu’à une haute clôture grillagée. Il l’escalade, saute, et arrive à pieds joints en Allemagne. Il continue jusqu’à chez un cousin à Berlin. Admis tard la nuit dans la cour de l’immeuble, il sonne, est rabroué par son parent furax d’être éveillé et, n’osant plus déranger le concierge, y reste jusqu’au matin.

Berlin n’est qu’une escale. Il continue jusqu’à la mer du Nord, et atteint l’Angleterre. A l’immigration – on a l’habitude – on regarde l’orthographe inextricable de son nom et tranche : il s’appellera désormais “Goldstein”.

Il s’établit marchand en plein air dans les miséreux quartiers Est de Londres, où les immigrés s’entassent. Des cousins font de même dans d’autres quartiers, un troisième exerce à Leeds. David affiche fièrement “Goldstein, habits à prix étudiés pour la femme élégante ; succursales à Poplar, Isle of Dogs et en province”.

Il épouse Golda, partie elle aussi de la Pologne avec deux sœurs, dont une a choisi New York et l’autre Paris.

Mais la guerre arrive, et les autorités britanniques mettent David devant un rude choix : servir sur le front, ou dans un régiment d’étrangers chargé – excusez du peu – d’écraser la révolution bolchévique en Russie. David se résigne à chasser les Rouges. Sous des officiers anglais, ils débarquent d’un destroyer à Archangel, où la situation est si chaotique que navire et encadrement déguerpissent aussitôt, les abandonnant sur le quai.

David part à pied à travers ce qui devient en cours de route l’Union soviétique. Il s’improvise boulanger itinérant. Trois ans plus tard il arrive à Constança sur la mer Noire. Il paie avec son pantalon de rechange une place sur un bateau en partance, tellement vétuste qu’il coule dans le port. David revient à la nage.

Pour retourner en Angleterre il a besoin de papiers. Il rejoint enfin sa femme sous les auspices de la reine Wilhelmine des Pays Bas, émue par le sort de ces réfugiés devenus apatrides.

La famille habite un appartement lilliputien dans l’East End. Deux fils naissent. Bernard racontait une vie faite de traditions et d’habitudes juives, religieuses et laïques (dans une salle de cabaret yiddish “tu devais faire attention, sinon quelqu’un pisserait dans ta poche.”).

Au prix d’un dur labeur, ils font très modestement fortune, et je les ai connus dans une petite villa d’une banlieue respectable. Le fils aîné Sam travaillait dans le commerce à Paris, Bernard gérait les boutiques. (Adolescent il avait été envoyé à Paris pour apprendre le français chez ses cousins. Il était rentré sans un mot supplémentaire de français, mais se débrouillait désormais en yiddish.)

D’un voyage en Pologne j’ai rapporté un livre d’images de Varsovie avant guerre. David les scrute, rappelle sa réputation de titi varsovien bien nippé. Golda rôde, ronchonne. Elle intervient. “La Pologne peut aller se faire voir !” Sa pure haine me revient lorsque des expatriés se délectent avec moi des satisfactions et des nostalgies de nos exils en douceur.

 

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