Regardez ce bel et grand oiseau ! Ses plumes sont d’un rouge éclatant. Pour l’instant il est au repos sur le sol et il forme, vu d’en haut, comme une grande fleur rouge éclose au milieu de la prairie.
Il déploie ses ailes et les secoue dans un simulacre d’envol pour s’assurer de leur force retrouvée.
La pluie a cessé, laissant derrière elle de petites flaques d’eau et dans l’air une odeur de forêt vierge.

Soudain, entre deux gros nuages, le soleil apparait, cercle d’or éclatant, éclaboussant de sa lumière le plumage de l’oiseau de feu.

Voila l’instant que je préfère dans ce mythe du Phénix : celui où l’oiseau vient de renaitre de ses cendres. Il est là, un peu maladroit encore, comme un nouveau né qui effectue ses premiers pas.
Il tourne sa tête vers l’astre solaire et se souvient de tout ! Il a vécu cette situation un nombre incalculable de fois. Il sait que, s’il garde ses ailes déployées, le soleil va sécher ses plumes encore humides. Alors il s’envolera vers Lui. C’est son But, son Rêve, son Destin, son unique ambition : atteindre cet astre qu’il sait pourtant inaccessible !

Le mythe du Phénix, comme celui de Prométhée (qui déroba le feu aux dieux) a fait beaucoup de petits en littérature depuis l’Antiquité. C’est le héros romantique par excellence, en révolte contre le sort qui l’accable. Comment ne pas l’aimer ? C’est Don Quichotte, le comte de Monte Cristo, Cyrano de Bergerac ou celui de Faust vendant son âme au diable. C’est un mythe qui nous rattache à la notion de sacrifice : celui où l’Amour l’emporte sur la Raison.
Ce qui rend admirable notre « oiseau-héros » c’est qu’il a conscience de ses actes. C’est pourquoi  il est un héros. Sinon il serait un fou qui n’aurait pas prévu la conséquence de son acte.

En matière de mythes on trouve de tout et chacun a son contraire.
Prenez celui de Sisyphe : pour une raison indéterminée, cet homme a été condamné à remonter un énorme rocher au sommet d’un colline, puis, après l’avoir fait dévaler la pente, recommencer «  éternellement ».
Albert Camus a rédigé un essai en 1942 intitulé « le mythe de Sisyphe ». Il décrit ce qu’on nommera après lui un « anti-héros », préfigurant le personnage qu’il mettra peu de temps après dans son célèbre roman « l’Etranger ».

« Aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas » dit Meursault au tout début du roman. Notre moderne Sisyphe a perdu la notion du temps, brouillée par la répétition et la banalité des actes de la vie quotidienne.

Ainsi le mythe de Sisyphe semble opposé à celui du Phénix : Héros romantique contre anti-Héros d’un monde absurde.
Personnellement je crois qu’il y a une similitude à peine cachée, en dehors du caractère répétitif de leur existence. J’en ai trouvé la confirmation dans la description de l’instant préféré par Camus. Il se situe pendant le retour vers le pied de la colline où l’attend le rocher. C’est là que Camus dit s’intéresser le plus à Sisyphe.

«Je vois cet homme redescendre d’un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin. Cette heure qui est comme une respiration et qui revient aussi sûrement que son malheur, cette heure est celle de la conscience. A chacun de ces instants, où il quitte les sommets et s’enfonce peu à peu vers les tanières des dieux, il est supérieur à son destin. Il est plus fort que son rocher.»

Car, en vérité, Sisyphe, comme Phénix, s’attache  à son idéal. Tous deux assument leur destin héroïque. L’un aspire au divin et à l’élévation, l’autre - plus humain - n’a d’ambition que d’accomplir son travail d’homme et remonter son rocher au sommet de la colline.
Ainsi en nous se manifeste tantôt l’un, tantôt l’autre de nos deux héros, chacun prenant tour à tour le dessus. Et c’est notre raison qui veille à un juste équilibre entre eux, entre Idéalisme et Matérialisme, entre Résignation et Révolte.

Jean

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5 réponses à “Le Phénix et Sisyphe : deux héros modernes !”
  1. Archie dit :

    quelle culture !
    c’est vrai : l’un remonte toujours, l’autre redescend toujours
    et ils sont condamnés à la répétition
    ce serait intéressant de philosopher plus loin sur les ascensions sociales et les déchéances, les spirales de réussite et d’échec

  2. Archie dit :

    et comment on peut s’en sortir ?

  3. Jean dit :

    En fait, Archie, ils ne sont pas très différents, nos forçats du mouvement perpétuel ! En tout cas c’est comme ça que je les voies.
    Je ne résiste pas à citer la fin du texte de Camus :
    —————————————————————————————————
    “”"”
    Je laisse Sisyphe au bas de la montagne! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un coeur d’homme.

    Il faut imaginer Sisyphe heureux.

    Je tire ainsi de l’absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion. Par le seul jeu de la conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort -et je refuse le suicide. …

    Ce qui précède définit seulement une façon de penser. Maintenant, il s’agit de vivre…”

    Albert Camus
    —————————————————————————————–

    “la lutte vers les sommets” … tiens, tiens, ça ne rappelle pas notre PHENIX ? Heureusement il y a en nous un peu du Phényx et un peu de Sisyphe, et cela nous aide à vivre…

  4. Jean dit :

    Archie,

    pourquoi n’iriez-vous pas plus loin en philosophant sur “les ascensions sociales et les déchéances, les spirales de réussite et d’échec” ? Je trouve le sujet très intéressant!
    Envoyez-moi votre texte et je le publierai …

  5. Denis dit :

    J’interviens entre Jean et Archie. Le texte m’a fait chercher quelques mots écrits en 2004 sur Sisyphe. Ils appliquent le mythe à un sujet qui me consume. Je n’utiliserais pas les mêmes mots aujourd’hui, mais garde l’image. L’affolement, l’étouffement persistent à chaque fois que je me mets à écrire.

    “Sisyphe était condamné à pousser au sommet d’une montagne un rocher qui roulait chaque fois jusqu’en bas, pour l’attendre le lendemain.
    Ecrivant, je reconnais son supplice. Chaque fois, il faut pousser une plume du haut d’une page jusqu’en bas, pour ne se retrouver chaque fois qu’en haut d’une autre page blanche.
    La seule solution : suivre Camus, reconnaître dans cette tâche jamais accomplie la condition humaine, et en être heureux. Le pire pour un écrivain, après tout (et le terme n’est pas un hasard), est de tourner la page, et n’en pas trouver une autre. La main reste suspendue en l’air, et les mots s’accumulent à étouffer. Écrire, c’est respirer par la parole.
    09/10/04″

  6.