Archives pour août 31st, 2010

C’est un détail, mais crucial. Vaut-il mieux laisser la porte ouverte, et voir la forme prendre corps dans l’encadrement, ou la fermer, et voir la poignée se tourner ? Je choisis l’ouverture. La nuit finira-t-il un jour ?

Enfant, je n’ai jamais été touché par la religion. J’y croyais parce que… parce que ça se faisait ; mais je n’y voyais qu’une morale raide et inaccessible comme un poteau télégraphique, je n’entendais que des consignes d’abnégation. Au catéchisme je demandai « Je pourrai encore aller au cinéma si je choisis le Seigneur ? » On me répondit « Tu n’auras plus envie d’y aller. » Moi pour qui les films étaient la moitié de ma raison d’être, je conclus que j’étais damné, car jamais je ne m’extirperais de cette funeste dépendance.

J’allais donc à l’église où le Bien me sermonnait, et au cinéma pour m’acoquiner avec le Mal. L’authentique puissance surnaturelle, celle qui m’inspirait la sacrée crainte que devait susciter Dieu, était le Diable, matérialisé dans les monstres des salles obscures.

Ma mère nous proposa à mon frère et moi d’aller voir une version théâtrale de « Blanche Neige et les sept nains » arrivée d’Angleterre avec, disait-on, une scène tournante (il devait s’agir d’un décor mobile, tiré par des malabars recrutés sur place). Nous arrivâmes, les guichets étaient fermés. Alors ma pauvre mère nous laissa choisir un film pour compenser. « La maison de Frankenstein ! » réclamâmes-nous. Elle ne put que céder.

Le film rassembla la panoplie complète des affreux, Dracula, le loup-garou et le pataud Frankenstein en personne. J’en fus consterné, terrifié. A côté, un garçon venu avec sa grande sœur passa la séance accroupi derrière le siège devant lui. Moi, je ne pus pas détourner les yeux. Horreur suivit horreur. Un moment, une belle gitane dansait dans une clairière, et je m’accrochai à ce répit, me promettant de m’en nourrir lorsque les goules relanceraient l’épouvante. Las ! Elle tomba amoureuse du loup-garou, et la clairière fut du coup contaminée.

J’avais déjà des dispositions pour la frousse, mais cette expérience en fit une vocation. Mes cauchemars avaient enfin de quoi se multiplier, se diversifier, s’accentuer. Je m’en éveillais glacé d’effroi, pleurais pour alerter mon frère à côté, ou partais dans le long couloir vers la chambre de mes parents. J’ai encore ce trajet dans mes membres, le tapis, la gueule d’escalier qui pouvait me happer au passage, quatre marches, les derniers pas vers le lit parental sauveteur.

Pourtant, plus tard je courais seul les cinémas où Dracula avait un fils, une fille, Frankenstein une épouse, où les zombies n’avaient pas d’yeux. Je ne les ai abandonnés qu’avec l’arrivée du second degré et de la couleur qui évinçait les ombres grises. J’étais un adepte de l’épouvante nature en noir et blanc.

Bien sûr et évidemment, je n’y crois pas, je n’y ai jamais cru. Mais la conviction nerveuse est autre chose, se fichant de l’intelligence comme de la logique. Le Malin n’a pas besoin de croyance, tant qu’il s’arroge le pouvoir dans l’imagination.

Ainsi, quand je suis seul à la maison, je dois encore résoudre ce dilemme : la porte de la chambre ouverte, ou fermée ?

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Réflexions venues de l’exposition sur Sénèque à la Bibliothèque, ses citations qui éveillent l’esprit, ses photos des bords de la Méditerranée qui éveillent les sens.

Les gens se lient. Les liens sont de toutes sortes. Je ne les passerai pas en revue. Je parlerai de celui qui rapproche les quatre auteurs de Marque-pages Soissons.

C’est l’écriture qui fonde notre relation. C’est elle qui justifie nos échanges. Il y a des élans ; ils viennent d’elle. Des différends, parfois acerbes ; ils mettent en jeu nos idées sur l’écriture. Nous nous retrouvons avec plaisir ; c’est pour parler écriture.

Chacun dans ce quatuor a plusieurs cordes à son arc, en dehors de celle qui nous lie. Mais en partageant le goût des mots, nous jouons (je saute du tir à l’arc à la musique) sur une corde sensible. L’écriture nous fait rentrer dans les ombres et dans la lumière, elle est désir, elle est crainte.

Nos sujets divergent, ceux de Catherine, de Jeannine, de Jean, les miens. Les deux hommes, pourtant, ont l’obsession des racines, les siennes en Tunisie, les miennes irlandaises. Cette préoccupation a pu s’exprimer, s’explorer dans le blog. Comme un appât, elle attend que nous nous y laissions piéger. J’ai une camaraderie d’accroché pour cette autre dépendance.

Les images exposées pour Sénèque ne pouvaient que l’amener là-bas. Elles me font feuilleter aussi des souvenirs de mon séjour dans son pays natal. Jean y est entré dans le monde, y a grandi, le porte en lui. J’y suis passé en coup de vent – un coup qui a quand-même duré une année scolaire. Un ami et moi y avons été recrutés comme professeurs, lui de mathématiques à Tunis, moi d’anglais dans un lycée de jeunes filles de la grande banlieue.

Je fixerai quatre instantanés de ce dense film méditerranéen.

Les plages, les salines de Radès sont couvertes de milliers de flamands roses. Tapis lisse, agité par moments sans raison visible. A l’écart, un de ces grands oiseaux se débat. Il boite, tombe, se relève. Ses pattes aux absurdes et ravissants genoux roses ne le tiennent plus, se croisent, le lâchent, en une lutte qui ne lui enlève en rien sa beauté bizarre. Se rend-t-il compte que la mort espère le rejoindre sur le sable ?

Deuxième instantané. Le dimanche, nous dansons sur la plage, nous autres jeunes expatriés, en repos de nos écoles, nos ambassades, nos centres culturels. Plutôt nous twistons. D’où vient la musique de Françoise Hardy, de Cloclo (que je n’ai affectionnée que pendant ces pique-niques) ? D’un poste de radio, ou même d’un tourne-disque à remonter chaque fois ? La mémoire ne le dit pas. Entre les danses nous rentrons dans les eaux tièdes. L’ami et moi nous nous chamaillons, nous poussons, nous éclaboussons. Nous nous saisissons les bras, à la peau lissée par l’eau. Nous nous arrêtons de bouger. Erika l’Allemande nage à côté. Elle rit. « Mais que faites-vous là ? » J’apprends la lucidité et la tendresse avec lesquelles une femme peut traiter les hommes.

Troisième image. Une troupe venue de France joue une pièce de Giraudoux (ou autre) dans les ruines du théâtre romain de Dougga. Derrière les acteurs sur cette scène, trace d’une civilisation remplacée par une autre, les distants coteaux et collines de l’Afrique du Nord font le décor. La nature redimensionne l’art.

Enfin, les fleurs. Je visite un bout d’aqueduc, romain aussi. C’est le printemps. A la place de la frileuse renaissance qu’est cette saison en Irlande, il déclenche une déflagration de fleurs de toutes couleurs lesquelles, comme les flamands sur la plage, recouvrent tout. M’approchant des vestiges, j’écrase à chaque pas une douzaine de fleurs, chacune délicate, complexe, individuelle, entière. Je laisse derrière moi un sillon de destruction.

Comment communiquer cette prodigalité ? Peut-être en admettant que je m’y essaie depuis ce temps-là sans y parvenir. Cette floraison sert d’exemple : certaines expériences dépassent l’entendement et ainsi la capacité à les écrire. Notre quatuor le sait, et pourtant, au lieu de jouer sagement des partitions à notre portée, nous nous aventurons sur des pages où les notes dansent devant nos yeux égarés. C’est cela, écrire, n’est-ce pas ?

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L’expression « vendre son âme au diable » est encore très utilisée de nos jours.
Il est vrai que le spectacle de nos hommes politiques n’est pas prêt de nous la faire oublier !
Mais laissons là toute polémique et voyons pourquoi les hommes éprouvent soudain l’envie de pactiser avec un démon.

Un jour l’homme prend conscience qu’il est mortel !

Dans le silence de la nuit, le docteur Faust n’arrive pas à dormir malgré l’heure tardive. Le docteur Faust réfléchit. Il lui reste tant de choses à faire…
Ranger son laboratoire, revoir son frère qu’il n’a pas vu depuis des années, finir le tableau qu’il a commencé et qui traine depuis un mois sur son chevalet…

Et puis…

Il y a la jeune Marguerite, la serveuse du bar de la gare. Il aimerait bien la parer de bijoux… et même, la posséder… mais ne rêvons pas, il est trop vieux  et trop pauvre!

Et puis il est passionné d’astronomie. Savoir si une vie extra-terrestre existe, voilà une question essentielle. Aura-t-il le temps d’avoir une réponse avant sa mort ?
Alors c’est simple : concluons un pacte avec le diable.

Qu’a-t-il à y perdre ?

Pas grand-chose… son âme, c’est-à-dire une vie éternelle hypothétique au milieu d’Anges asexués.
En revanche : il y gagnera : la Gloire, la Richesse, la Connaissance et l’Amour. Comment hésiter ?

Chacun d’entre nous n’a-t-il pas eu à se poser la question ?
Le Moyen-âge a condamné Faust. Les romantiques -Goethe en tête- l’ont réhabilité.

Aujourd’hui il reste en France des centaines de « Ponts du Diable ». Tous ont été construits -selon les légendes- avec l’aide du Malin.  Je ne sais pas si les constructeurs rôtissent dans les flammes de l’Enfer mais ce qui est certain c’est qu’ils ont gagné la renommée de la postérité.

Il y a plusieurs façons de vendre son âme au diable… Il y a la théâtrale - avec un Belzébuth décoratif (cornes, queue fourchue, sabots, etc) et d’autres plus anodines.
Ici le « pacte » est moins clinquant et les termes de l’échange moins impressionnants : une Légion d’Honneur contre une place pour son épouse, un permis de construire accordé contre une bonne place sur une liste électorale, les exemples sont nombreux.  C’est pourquoi l’expression « vendre son âme au Diable » n’est pas prête de s’éteindre malgré la disparition apparente de son instigateur principal : le Diable.

 

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