C’est un détail, mais crucial. Vaut-il mieux laisser la porte ouverte, et voir la forme prendre corps dans l’encadrement, ou la fermer, et voir la poignée se tourner ? Je choisis l’ouverture. La nuit finira-t-il un jour ?

Enfant, je n’ai jamais été touché par la religion. J’y croyais parce que… parce que ça se faisait ; mais je n’y voyais qu’une morale raide et inaccessible comme un poteau télégraphique, je n’entendais que des consignes d’abnégation. Au catéchisme je demandai « Je pourrai encore aller au cinéma si je choisis le Seigneur ? » On me répondit « Tu n’auras plus envie d’y aller. » Moi pour qui les films étaient la moitié de ma raison d’être, je conclus que j’étais damné, car jamais je ne m’extirperais de cette funeste dépendance.

J’allais donc à l’église où le Bien me sermonnait, et au cinéma pour m’acoquiner avec le Mal. L’authentique puissance surnaturelle, celle qui m’inspirait la sacrée crainte que devait susciter Dieu, était le Diable, matérialisé dans les monstres des salles obscures.

Ma mère nous proposa à mon frère et moi d’aller voir une version théâtrale de « Blanche Neige et les sept nains » arrivée d’Angleterre avec, disait-on, une scène tournante (il devait s’agir d’un décor mobile, tiré par des malabars recrutés sur place). Nous arrivâmes, les guichets étaient fermés. Alors ma pauvre mère nous laissa choisir un film pour compenser. « La maison de Frankenstein ! » réclamâmes-nous. Elle ne put que céder.

Le film rassembla la panoplie complète des affreux, Dracula, le loup-garou et le pataud Frankenstein en personne. J’en fus consterné, terrifié. A côté, un garçon venu avec sa grande sœur passa la séance accroupi derrière le siège devant lui. Moi, je ne pus pas détourner les yeux. Horreur suivit horreur. Un moment, une belle gitane dansait dans une clairière, et je m’accrochai à ce répit, me promettant de m’en nourrir lorsque les goules relanceraient l’épouvante. Las ! Elle tomba amoureuse du loup-garou, et la clairière fut du coup contaminée.

J’avais déjà des dispositions pour la frousse, mais cette expérience en fit une vocation. Mes cauchemars avaient enfin de quoi se multiplier, se diversifier, s’accentuer. Je m’en éveillais glacé d’effroi, pleurais pour alerter mon frère à côté, ou partais dans le long couloir vers la chambre de mes parents. J’ai encore ce trajet dans mes membres, le tapis, la gueule d’escalier qui pouvait me happer au passage, quatre marches, les derniers pas vers le lit parental sauveteur.

Pourtant, plus tard je courais seul les cinémas où Dracula avait un fils, une fille, Frankenstein une épouse, où les zombies n’avaient pas d’yeux. Je ne les ai abandonnés qu’avec l’arrivée du second degré et de la couleur qui évinçait les ombres grises. J’étais un adepte de l’épouvante nature en noir et blanc.

Bien sûr et évidemment, je n’y crois pas, je n’y ai jamais cru. Mais la conviction nerveuse est autre chose, se fichant de l’intelligence comme de la logique. Le Malin n’a pas besoin de croyance, tant qu’il s’arroge le pouvoir dans l’imagination.

Ainsi, quand je suis seul à la maison, je dois encore résoudre ce dilemme : la porte de la chambre ouverte, ou fermée ?

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2 réponses à “Le Diable dans la tête”
  1. Archie dit :

    BOUOUHH !
    que la porte soit ouverte ou fermée, le diable s’infiltre sous la porte ou la traverse, il est passe-muraille
    vous êtes seul ? vous ne le voyez pas mais cette nuit c’est lui qui partage votre lit
    Ah, qu’il est bandant le gôut de la peur, quand on sait que le héros va s’en sortir à la fin du film

  2. Denis Mahaffey dit :

    Cette nuit au moins, Archie, je partage mon lit avec une vivante, fameuse ghostbuster qui plus est.
    Un banal cambrioleur pourrait être plus pratiquement dangereux qu’un fantôme, mais mes craintes sont suscitées par ce qui me voudrait du mal sans motif, et qui me le ferait par un moyen que ma condition humaine m’empêche de concevoir. Je réfléchis à cela en vous répondant, en ayant la folle idée que l’écriture y changera peut-être quelque chose.

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