Archives pour septembre, 2010


Je ne suis pas né extra-terrestre, je le suis devenu. J’ai commencé sur la Terre comme tout le monde, mais j’ai pris mes distances – ou elles m’ont pris – et mon regard s’est éloigné, comme si mes yeux montaient sur de longues antennes.

Au tournant de la puberté, par exemple, je trouvais que les femmes, non seulement étaient d’un autre genre, mais habitaient une planète sur laquelle j’aurais été largué par quelque soucoupe de passage. Les autres garçons devisaient plaisamment sur les filles ; sur moi elles exerçaient une fascination dont je ne savais que faire. Ebloui et troublé, je les contemplais comme dans une vitrine.

L’entracte

Je rêvais de monter sur les planches, où je réussirais les rôles que je peinais à maîtriser en ville. Une relation de mon père m’a fait admettre dans les coulisses d’un théâtre, d’où je regardais les opérettes produites par une troupe amateur.

A l’entracte d’une mélodieuse japonaiserie, des bénévoles servaient une bonne tasse de thé, carburant local reconnu. Une des geishas, Rhoda, était blonde et grande (par rapport à moi), avec les dents légèrement proéminentes, ce qui la rendait irrésistible à mes yeux. Que faisais-je pour m’approcher de cette déesse fascinante, gentille de surcroît ? Je calculais, manœuvrais, manipulais, me dépêchais ou traînais, selon, pour être celui qui apporterait la grosse théière métallique à sa loge. J’entrais, la saluais timidement, buvais ses paroles comme elle buvait son thé, et partais avec de quoi rêver d’elle jusqu’au lendemain soir.

Il y avait des ratés, et j’étais envoyé à d’autres loges, même celles des hommes. Extra-terrestre, j’étais impressionné par leur force, leur grosses voix, leurs rires bruyants, mais il me manquait mes instants auprès de ma Terrienne nommée Rhoda.

La drôlesse

Ma cousine à la campagne avait une camarade de classe et amie, avec laquelle elle partageait un prénom et une passion pour les chevaux. Cette autre Rosemary*, blonde, grande (comme moi), portait un parfum de privilège. Son père était médecin de village et par là notable. Sans se donner d’airs, elle avait de la distinction. Ainsi ses priorités étaient différentes : elle attachait de l’importance à des choses qui nous importaient peu ; elle n’en attachait pas à d’autres qui comptaient pour nous. Ma cousine, plus à l’aise sur sa planète, faisait seulement plus attention à sa diction, mais moi, venu de l’espace, j’observais attentivement ces détails.

Elle me fascinait. Je la voyais rarement, mais j’attendais tant sa venue que j’avais du mal à jouer ensuite les adolescents indifférents. Elle est partie aux Beaux Arts en ville. Je prenais un ton faussement dépréciant pour m’enquérir de temps en temps de cette drôlesse. On ne devait pas soupçonner mon intérêt.

Le viol

L’époux de la blonde Renée (bien plus petite que moi) raccompagnait les autres invités, et elle faisait la vaisselle. Nous étions dans la cuisine. Avec ce couple j’avais l’impression de gambader dans une prairie, sans jamais venir à bout de ce que nous avions à partager. Je les aimais tendrement tous les deux.

Renée s’affairait à l’évier lorsque, comme une grenade qui explosait dans ma tête, l’idée m’est venue que je risquais (je choisis soigneusement ce verbe-là) de la violer. Peu importe que je n’avais aucune idée comment m’y prendre : aurais-je agi comme une de ces brutes de cinéma ou de fait divers, la plaquant sur le carrelage et fourrant dans ses vêtements ? Paniqué, je savais seulement que, si je restais agrippé à la serviette accrochée au mur, mon corps ne pourrait pas se mettre en branle. J’attendais le retour du mari. Voilà comment un extra-terrestre s’y prend avec les êtres d’ici bas.

Téléphoner

Enfin, je me suis rendu lentement compte – et ça c’est une autre histoire - que le long voyage spatial n’avait jamais eu lieu. Les yeux descendaient de leurs antennes ; la fascination s’avouait charnelle. Je n’étais pas originaire de la 3e galaxie de l’univers parallèle de Séléthéa. Je ne voulais plus téléphoner chez moi. J’étais chez moi.

* Elle figure déjà avec son poney dans « Une histoire de violence » de mai 2009.

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Autour de la grande table au restaurant, le groupe de jeunes couples débordait de sociabilité – sauf entre époux. Là, le ton était sec, le geste impatient, le regard empreint d’un vague mépris. Un des hommes, aimable avec tout le monde, s’exaspéra en répondant à sa femme sur son portable.

Seule Jeanne fixait son mari Julien avec tendresse, se penchait pour mieux écouter ses histoires. Quand il tendit la main pour prendre le vin et lui toucha les doigts sur la nappe, elle respira voluptueusement, baissa les yeux pour cacher le trouble que cette caresse éveilla en elle. Autour, cette réaction énerva ou fit des envieux.

Pourtant, lorsqu’il l’avait abordée la première fois, elle n’avait pas apprécié sa démarche assurée, son invitation qui claquait comme un ordre. « Je suis et je reste une femme libre. » Elle voulait bien le fréquenter, mais l’épouser ? Jamais.

Seul nuage au ciel de cette liberté, un forfait, un crime mais pire que cela, qu’avait commis son jeune frère bien aimé et dont il ne parlait qu’à elle. La confidence pesa, parasitait ses nuits. L’amour fraternel ne faisait que voiler sa répugnance pour son acte.

Ce frère l’appela pour dire qu’il quittait le pays, puis ils prirent leurs dispositions pour gérer le lourd secret partagé. Jeanne baissa alors la voix, tout en sachant que Julien, sous la douche, n’entendrait pas ses mots.

Il vint derrière elle, lui prit l’épaule et dit « Nous allons donc nous marier, mon amour. » Elle éloigna sa main. « Mais si » poursuivit-il. « Regarde. » Son poing était fermé sur quelque chose qu’il ne montra pas. « Je t’ai entendue parler soudain plus doucement, alors j’ai récupéré la cassette dans le répondeur. »

La soudaine pâleur de Jeanne fixa le rapport des forces. Les conditions étaient implacables. Le mariage et, plus que cela, un comportement à tous moments soumis et sensuel. « Tu montreras combien tu es une femme comblée par son mari, ou l’enregistrement ira à la police. »

Jeanne s’y mit. Année après année elle s’employa à faire semblant. Le jour, elle était attentive, aimante, affectueuse ; la nuit elle se pâmait, criait sous le corps de Julien. Ce fut le prix à payer. Elle n’avait plus de contact avec son frère.

Hélas, elle tomba enceinte. « Ce n’est pas commode, mon amour » annonça Julien, qui exigea l’avortement. Elle assuma moins impeccablement son devoir ensuite, comme une actrice qui aurait des trous de mémoire sur scène.

Dans la voiture en route pour retrouver le cercle d’amis, diminué par des divorces, un décès et les charges de famille, Julien au volant tourna la tête. « J’ai trouvé une femme qui fait par sa nature ce que tu joues avec de plus en plus d’ineptie. Je vais donc te libérer de ton rôle, mon amour. » Il tendit son poing fermé, elle leva sa main, posée comme toujours sur la cuisse de Julien. Il ouvrit ses doigts. Rien. « N’avais-tu même pas pensé, mon amour, à regarder le téléphone ? Il n’enregistrait rien. Au fait, à qui parlais-tu ? »

Jeanne se dressa et, avec un long hurlement, mit un bras autour de la tête de Julien. La voiture se déporta, fit tambour sur tambour, s’immobilisa.

Jeanne ne bougeait plus. Léché par les premières flammes, Julien s’extirpa et fit quelques pas. Mais il s’arrêta, revint, saisit Jeanne, la tira à temps pour éviter la déflagration qui suivit avec un bruit de tornade. Il se roula par terre, essayant d’éteindre ses vêtements. Puis cessa de lutter.

Jeanne revint à elle. La forme noircie à côté ne brûlait plus, mais était encore parcourue de petits spasmes. Elle prit la tête de Julien sur ses genoux et couvrit les yeux, d’autant plus brillants que ses paupières avaient disparu. En y mettant une ironie de circonstance, elle dit « Mon amour. »

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Le golfe d’Ajaccio, une des plus belles baies du monde, est composé de quatre sous-ensembles, chacun d’eux comportant un cap sur lequel se dresse la sentinelle d’une ancienne tour génoise. En partant d’Ajaccio on trouve successivement Porticcio, Isolella, Castagna et Muro, ce dernier cap fermant au Sud un grand golfe dont l’entrée Nord est constituée par les iles Sanguinaires.

Le cap d’Isolella est un amas de blocs granitiques qui ressemblent à des navires échoués, ce qui l’a fait surnommer « la punta delle sette nave » car la légende raconte que sept navires d’envahisseurs mauresques y ont été pétrifiés par la Vierge Marie.
Lorsque le Mistral souffle, venant du « continent », des promeneurs viennent se hisser sur les grands rochers, le regard vers l’horizon, comme hypnotisés par la répétition des grandes vagues déferlantes. Dans leur tête remontent les souvenirs de poèmes anciens : « Homme libre toujours tu chériras la mer » ou ceux du terrible « oceano nox » de Victor Hugo.

Laura habitait le petit port niché entre le cap d’Isolella et la grande plage d’Agosta qui attire plus les touristes que les austères rochers des Sette Nave. Elle avait vingt ans. Son teint hâlé par le soleil corse mettait en relief ses cheveux blonds et ses yeux bleus. Tous les jeunes de Porticcio la connaissaient. Lycéens à Ajaccio, ils avaient fréquenté « Le Club » à Porticcio, dégustant des glaces italiennes à la sortie des cours et, plus tard, dansant au night-club « U Paradisu ». Beaucoup de garçons lui faisaient la cour mais elle ne se fixait avec aucun, papillonnant de l’un à l’autre avec son sourire éclatant. Puis vint un jour où elle cessa de fréquenter le groupe des copains de Porticcio. Un corse de Bastia, Xavier, avait conquis son cœur. Le couple semblait heureux. On les voyait quelquefois se promener sur le cours Napoléon à Ajaccio ou attablés « au Glacier du Port », en face de la Citadelle. Xavier possédait une moto et c’est avec elle qu’il emmenait Laura sur les routes de la région, vers le vieux pénitencier de Coti ou les plages de Propriano.
Xavier avait un défaut : il aimait boire ! Il avait ce qu’on appelle « le vin mauvais », c’est-à-dire qu’il devenait violent et incontrôlable. Une nuit pendant laquelle il lui avait semblé que Laura avait dansé un peu trop souvent avec le même garçon, il avait entrainé la jeune fille chez lui et une violente dispute avait éclatée. Ivre d’alcool, de jalousie et de rage, il l’avait frappée à mort.

La foule qui se pressait devant la petite église de Porticcio témoignait de l’affection que les gens portaient  à Laura et aussi l’horreur pour le crime commis. Le procès eu lieu sur le continent, aucune juridiction locale n’ayant pris le risque de voir se dérouler un procès à haut risque sur le sol corse.
Xavier fût condamné à 10 ans de prison. En réalité, compte tenu d’une loi non écrite mais toujours très présente en Corse, Xavier était condamné à mort en vertu de la coutume ancestrale de la « vendetta ». La seule question était : « quand » et « par qui » ?

A sa sortie de prison, après cinq ans passés aux Baumettes, Xavier s’était installé dans le nord de la France, à Soissons. Un retour sur sa terre natale équivalait à une mort certaine. Il avait fait une demande de changement de nom  mais la procédure semblait anormalement longue.

Un soir, en rentrant du travail, il trouva dans sa boite aux lettres un colis postal. De nombreux timbres  et cachets semblaient attester qu’il s’agissait d’un banal colis déposé par le facteur. En réalité l’expéditeur, qui  avait longtemps travaillé à la Poste d’Ajaccio, avait agrémenté le colis de tout ce qu’il fallait pour lui donner un air authentique. Toutefois ce colis n’était jamais passé par le circuit postal. Son expéditeur n’aurait jamais pris le risque de tuer un brave collègue postier !

La dernière vision de Xavier dans ce monde fut la photo de Laura, placée juste sur le dessus de la boite où se trouvaient les deux kilos d’explosifs.  Sur la photo il y avait écrit en lettres d’un rouge qui rappelait le sang : « non scurdiamo mai » : nous n’oublions jamais…

 

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Frères Humains qui passez devant ma cage vitrée, ayez pitié de moi !

Pourquoi suis-je là, devant cette femme en plastique, exposé à vos regards craintifs et dégoutés ? C’est une longue histoire que je vais vous conter, ou plutôt vous transmettre, car je suis un expert en transmission de pensées.

Vous voyez les deux bosses sur le devant de mon crâne ? C’est à cela que ça sert !
Vous ne connaissez pas ce mode de communication, ou alors vraiment rudimentaire, au niveau de celui de nos nouveaux nés, tout juste capables de transmettre la crainte, la peur ou la joie…

Bon… résumons ! Il y a deux années de votre calendrier terrestre, je parcourais ce bras de la Galaxie qui abrite votre Soleil, quand mon vaisseau se trouva à court de carburant.
La région est assez pauvre en planètes habitées. On est loin de la richesse des mondes d’Andromède ou Cassiopée ! Mes indicateurs de bord signalaient que seule cette vilaine planète aux couleurs bleue, appelée Terre,  possédait des êtres vivants. Obtenir quelques kilogrammes d’uranium dans les mondes du Centaure, à quelques années lumières d’ici,  aurait été l’affaire de quelques jours, mais ici sur Terre c’est une autre histoire. On me demande d’ACHETER ce carburant, et ceci en violation avec les règles habituelles de savoir-vivre galactique ! Bien sûr j’ai tout de suite été une vedette, passant à la télévision, interviewé par les journalistes du monde entier (enfin ceux de la Terre…) Il y a eu même un dénommé Spielberg, producteur de films, qui est venu me rendre visite et qui m’a montré un film sur un de mes congénère. Le film s’appelle E.T- je crois-  et raconte les mésaventures d’un collègue égaré comme moi sur cette planète xénophobe. Enfin, le film se termine bien, mais pour moi je ne suis pas encore tiré d’affaire !

La somme que je dois réunir pour acheter l’Uranium est énorme ! Après m’être fait rémunérer pour les émissions de télévisions qui ont suivies mon arrivée, la curiosité a diminué et les rétributions correspondantes aussi. Comme je ne sais rien faire de mes huit doigts (oui je suis DIFFERENT…), j’ai été obligé de miser sur la vente de mon « image ».

Il y a des tas de bizarreries sur ce Monde.
Entre autre la MODE ! C’est un concept inconnu chez nous. Il consiste à imposer au plus grand nombre des habitudes conçues par un petit groupe de « publicitaires » excentriques. J’ai été contacté par l’un d’eux, un italien dont j’ai oublié le nom : « Panzani » ? … je ne suis pas sûr… peut être « Armani » ? En tout cas il m’a fait un pont d’or pour m’exposer dans cette vitrine de New-York.
Avec cet argent je pourrais avoir mes dix millions de dollars à la fin de l’année.

En attendant, tous les matins j’intègre ma vitrine dans laquelle est exposé un mannequin en plastique habillé par les vêtements hors de prix  du modiste italien, paré par les bijoux d’un autre artiste français et chaussé par un bottier américain.

Devant la foule des badauds ébahis je bouge vaguement, désignant l’icône de la Mode de mon doigt, clignant des yeux quand éclatent les flashes des photographes.
C’est qu’on  vient de loin pour me voir ! Tenez cette jeune fille, là… avec son tee-shirt noir et les mots «  Imc900432600 NYC » écrits dessus… elle vient de SOISSONS, de l’autre côté de l’océan !
Allons, courage ! Je redresse la tête, cligne des yeux et grimace un sourire à cette Maëva venue de si loin.

Je suis heureux parce que dans exactement 153 jours j’aurais enfin l’argent pour acheter le carburant.

 

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