Archives pour septembre 30th, 2010


Je ne suis pas né extra-terrestre, je le suis devenu. J’ai commencé sur la Terre comme tout le monde, mais j’ai pris mes distances – ou elles m’ont pris – et mon regard s’est éloigné, comme si mes yeux montaient sur de longues antennes.

Au tournant de la puberté, par exemple, je trouvais que les femmes, non seulement étaient d’un autre genre, mais habitaient une planète sur laquelle j’aurais été largué par quelque soucoupe de passage. Les autres garçons devisaient plaisamment sur les filles ; sur moi elles exerçaient une fascination dont je ne savais que faire. Ebloui et troublé, je les contemplais comme dans une vitrine.

L’entracte

Je rêvais de monter sur les planches, où je réussirais les rôles que je peinais à maîtriser en ville. Une relation de mon père m’a fait admettre dans les coulisses d’un théâtre, d’où je regardais les opérettes produites par une troupe amateur.

A l’entracte d’une mélodieuse japonaiserie, des bénévoles servaient une bonne tasse de thé, carburant local reconnu. Une des geishas, Rhoda, était blonde et grande (par rapport à moi), avec les dents légèrement proéminentes, ce qui la rendait irrésistible à mes yeux. Que faisais-je pour m’approcher de cette déesse fascinante, gentille de surcroît ? Je calculais, manœuvrais, manipulais, me dépêchais ou traînais, selon, pour être celui qui apporterait la grosse théière métallique à sa loge. J’entrais, la saluais timidement, buvais ses paroles comme elle buvait son thé, et partais avec de quoi rêver d’elle jusqu’au lendemain soir.

Il y avait des ratés, et j’étais envoyé à d’autres loges, même celles des hommes. Extra-terrestre, j’étais impressionné par leur force, leur grosses voix, leurs rires bruyants, mais il me manquait mes instants auprès de ma Terrienne nommée Rhoda.

La drôlesse

Ma cousine à la campagne avait une camarade de classe et amie, avec laquelle elle partageait un prénom et une passion pour les chevaux. Cette autre Rosemary*, blonde, grande (comme moi), portait un parfum de privilège. Son père était médecin de village et par là notable. Sans se donner d’airs, elle avait de la distinction. Ainsi ses priorités étaient différentes : elle attachait de l’importance à des choses qui nous importaient peu ; elle n’en attachait pas à d’autres qui comptaient pour nous. Ma cousine, plus à l’aise sur sa planète, faisait seulement plus attention à sa diction, mais moi, venu de l’espace, j’observais attentivement ces détails.

Elle me fascinait. Je la voyais rarement, mais j’attendais tant sa venue que j’avais du mal à jouer ensuite les adolescents indifférents. Elle est partie aux Beaux Arts en ville. Je prenais un ton faussement dépréciant pour m’enquérir de temps en temps de cette drôlesse. On ne devait pas soupçonner mon intérêt.

Le viol

L’époux de la blonde Renée (bien plus petite que moi) raccompagnait les autres invités, et elle faisait la vaisselle. Nous étions dans la cuisine. Avec ce couple j’avais l’impression de gambader dans une prairie, sans jamais venir à bout de ce que nous avions à partager. Je les aimais tendrement tous les deux.

Renée s’affairait à l’évier lorsque, comme une grenade qui explosait dans ma tête, l’idée m’est venue que je risquais (je choisis soigneusement ce verbe-là) de la violer. Peu importe que je n’avais aucune idée comment m’y prendre : aurais-je agi comme une de ces brutes de cinéma ou de fait divers, la plaquant sur le carrelage et fourrant dans ses vêtements ? Paniqué, je savais seulement que, si je restais agrippé à la serviette accrochée au mur, mon corps ne pourrait pas se mettre en branle. J’attendais le retour du mari. Voilà comment un extra-terrestre s’y prend avec les êtres d’ici bas.

Téléphoner

Enfin, je me suis rendu lentement compte – et ça c’est une autre histoire - que le long voyage spatial n’avait jamais eu lieu. Les yeux descendaient de leurs antennes ; la fascination s’avouait charnelle. Je n’étais pas originaire de la 3e galaxie de l’univers parallèle de Séléthéa. Je ne voulais plus téléphoner chez moi. J’étais chez moi.

* Elle figure déjà avec son poney dans « Une histoire de violence » de mai 2009.

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