Archives pour mars 29th, 2011

En écho à l’exposition sur les bateaux à la Médiathèque de Soissons, voici une histoire de voyage… sentimental.

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Juste un espace de vie,  cette ombre portée fut ma lumière…
Elle m’apparut pour la première fois en contre-jour, à l’angle du garage, mouvante, impatiente, hautaine. Un chapeau de feutre mou, ramassé, comme partie intégrée de son visage. Son regard s’en faisait plus mystérieux, sa bouche plus sensuelle, son nez plus concis. Pour compléter son air d’aristo, elle avait enfilé un long manteau de bure noir. Un foulard de soi rouge et jaune caressait sa peau.

Dans l’auto, elle ne quitta pas son chapeau. Ses yeux de dessous m’appréciaient, me jaugeaient, me nommaient. Elle se départissait rarement de son sourire, ouvert sur deux dents légèrement écartées, des lèvres charnues, mais si finement dessinées. Elle riait beaucoup, elle parlait beaucoup. Sans doute pour dédramatiser. Ses gestes étaient vifs, précis, déterminés. Ses bras, ses frêles épaules, ses mains, savaient ce qu’ils avaient à faire. Jamais l’esprit n’en était distrait.

Le restaurant lui seyait bien: le <Gros bouffon>, comme une invit’ à déguster la vie à  pleine langue. Pourquoi nous sommes nous tout de suite installés sur le même pays? Nos pâtures étaient pareillement closes,  nos chemins si encombrés, nos montagnes si rapprochées, nous parlions le même langage, notre mer était au ciel…

Entre la poire et le rosé, nos regards ne cessaient de s’attendre, de se retrouver, de s’impatienter. Sa main virevoltait au dessus des verres, ses doigts montraient sa pensée, osaient l’indécence. Je la saisie au moment qu’elle passait. Elle ne se déroba pas. Elle était chaude, nerveuse, caressante.  Et si petite! Ses yeux s’abandonnèrent en douceur, en volupté, en accord.

Je ne lâchais plus cette main rassurante de toute la nuit. Une nuit? Un jour? Combien d’heures? De minutes? Le temps n’existait plus, ni la conscience du concret. Nous étions fondus, confondus, perdus l’un dans l’autre, en chaleur, en torpeur, en extase. Une présence d’un instant qui se prolonge. Voilà: un instant qui se prolonge… La note tenue en harmonie pour un concert emporté. C’est l’aube assurément qui souleva le rideau bleuté de la pièce, ramenant la vie de dehors. Si le soleil ne s’était pas levé?

Ses excès d’accoutrement ressemblaient aux affres de sa vie. Son quotidien naviguait en mer calme où elle se perdait pendant des heures, oubliant toute autre contingence, étriquée et mesquine. Il voguait de même dans la tempête, laissant souffler ses paniques, ses angoisses de petite fille , sa demande en amour jamais satisfaite. Jamais - ou si peu - de points d’équilibre. Jamais de pose en bord de sable, juste pour voir un soleil se coucher, jamais de marche au port ou sur la jetée odorante.

Je quittais parfois le bateau, pour reprendre pied dans mon équilibre, Pour souffler sur la terre, pour poser le béret. Au bord du comptoir, au bord du trottoir, en amitié, en redécouverte du grand large, loin de sa mer. Elle n’était pas née femme de marin. Sa patience d’attendre passait par toutes les fureurs, par toutes les humeurs. Elle se contrôla une fois, deux fois, mais au chant de la troisième fois, elle me renia. Au petit matin, dans les bras d’un autre. C’était le jour que j’avais choisi pour m’amarrer au port.

Philippe

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