Archives pour juin, 2011

misericorde1Les vieux démons ne meurent pas. Tu sais, c’est d’ailleurs pour ça qu’ils sont vieux. Planqués sous les rituels et les routines, les joies et les peines, ils attendent, accroupis. Les muscles des uns s’étiolent, et ils peuvent à peine se remuer. D’autres, à force de rester aux aguets, gardent du tonus dans les cuisses et les mollets, et peuvent surgir avec la force d’un camion lancé sur un chemin de terre.

Vivant dans le noir des failles imaginaires, ils n’ont pas de lumière propre. Pour apparaître, ils t’en prennent, s’en servent pour faire luire leur peau écailleuse, cirer leurs ailes de chauve-souris. Ils la boivent même à grosses gorgées pour s’éclaircir la voix.

Celui-ci prend un air de narrateur :

Vous êtes sur un fauteuil en rotin, sous un parasol de toile, dans le jardin d’une de ces maisons bretonnes de granit chaud à la fois augustes et modestes, avec sa tour, ses portes au linteau en arc de cercle, ses fenêtres éparpillées au hasard de la disposition intérieure, non pas alignées pour mettre les passants à leur place. Votre famille vous entoure. Vos fils vous haïssent pour l’autorité que vous exercez sur eux, vos petits-fils vous admirent pour cela, seul votre unique arrière-petit-fils ose la bafouer. Elle s’applique autant aux femmes, mais pèse à peine sur leurs épaules, car votre présence suffit. Elles se regardent en coin, pour dire « Ça, c’est un homme ! »

Celui-là reste caché par l’ombre qu’il fait en subtilisant ta lumière.

Je t’attends la nuit. Au tournant d’un couloir d’hôtel ou sur le palier chez toi, tu sauras ma présence sans me voir. C’est moi que tu penses apercevoir derrière toi dans un miroir. Vais-je tourner la poignée de la porte fermée alors que tu la regardes du lit ? Je suis le compagnon qui soudain, sous un réverbère, aurait un autre visage. Tu t’endors ? Alors là je règne en roi. Hélas, comme les vampires je ne supporte pas que l’aube allume le ciel. Seule ta lumière me laisse vivre. Je ne suis pas quelqu’un, je suis quelque chose.

Tout de vert vêtu le suivant s’amène :

Ah, la vie que t’aurais eue en restant au pays. Entouré des tiens, les vrais , enraciné dans la terre jusqu’au cœur. Tu aurais su de quoi t’es fait. Tu l’as abandonné dans sa beauté et ses tourments. Tes visites n’y font rien. T’es parti.

Une petite vieille proprette, robe à pois, voilette sur les yeux, adorable si ce n’était que ses doigts griffus dans ses mitaines de dentelle se tendent pour s’agripper à ta lumière. Sa voix est rauque :

Allez, sautez ! Au moins jetez votre appareil photo pour le voir voler. Léchez cette crotte de chien par terre. Cassez la mâchoire de la personne à côté de vous au café. Enfoncez cette aiguille à tricoter dans votre œil. Montez sur la scène et perturbez le spectacle. »

Un jumeau arrive goguenard, tout seul :

Déjà partis ? Sans toi ? Sans te demander de te joindre à eux ? Décidément, il te manque quelque chose pour être populaire ; le pire est que tu sais quoi.

Le plus ancien rayonne, lumineux de t’en avoir tant pris. Picador dans l’arène, il plonge sa lance dans ton épaule de taureau, y fouille, creuse le cratère de chair qui vire du rose au rouge.

J’ai percé ton corps à ta naissance, et je n’arrêterai que quand il sera mort. Toi un mec ? Mon petit, il faut plus que ça pour être un mec. N’oublie pas. Allez, assez parlé, où est ma pique ?

Plus ils arrachent ta lumière, et plus ta réalité s’aplatit en lamentable décor de théâtre, qui ne convaincra que des spectateurs distraits. Noir, tout est noir ? Non, l’assombrissement alterne avec l’éclaircissement. - Tiens, voici l’autre jumeau, qui se veut intime. Il se penche sur ton épaule, lit ce que tu es en train d’écrire, soupire :

Mmm, je vois ce que tu essaies de faire. Dommage, il te manque quelque chose pour être écrivain ; le pire est que tu ne sais pas quoi.

C’est comme une balançoire, toi d’un côté, les vieux démons agglutinés de l’autre. En haut, en bas. Tu ramasses une baffe, un insulte, une traîtrise, tu donnes deux coups de pied par terre et, dans un chaos de lambeaux de lumière agités par le souffle de l’univers, tu ascends vers l’éblouissement. Le temps que ça dure.

 

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La figure du Diable est, pour l’agnostique que je suis, d’un intérêt bien supérieur à celle de Dieu, son antithèse parfaite. Cette séparation entre deux mondes opposés – celui du Bien et celui du Mal- n’a probablement pas toujours existé. Elle s’est imposée en tout cas dans le monde Chrétien, mais existe aussi dans la religion « mère » du christianisme qu’est la religion juive et s’est aussi transmise à la musulmane dans laquelle le Diable, appelé Cheetan, occupe le même « créneau ».  Les Dieux anciens, qu’ils soient grecs, indiens, égyptiens ou Mayas ont des représentations aux caractères diaboliques comme Shiva chez les Hindous (destruction), Hadès (maître des enfers dans la Grèce antique), Kukulkan (le jaguar ou le serpent à plumes des aztèques et des Mayas).

A la différence des religions monothéistes méditerranéennes ces dieux anciens et exotiques étaient (ou sont) vénérés pour ce qu’ils sont : puissants, créateurs ou destructeurs.
Dans l’Europe médiévale les textes étaient copiés et recopiés par des moines qui obéissaient à l’ordre religieux dominant et il est probable qu’une censure stricte a effacé toutes traces écrites des pratiques « diaboliques » de l’époque.
Ces «diableries», qui ont du perdurer un certain temps dans les campagnes européennes, ont été l’objet d’une traque systématique, non seulement physique, comme en témoignent les nombreux cas relatés de sorcières brulées, mais d’un effacement de tous les textes y faisant allusion.

En revanche de nombreuses représentations du diable ont été crées lors de la construction des cathédrales et elles n’ont pas été effacées. Les tailleurs de pierre étaient alors des personnages très puissants et disposaient d’une assez grande liberté dans l’expression artistique. En dehors des gargouilles qui avaient une fonction utilitaire (celle de verser l’eau de pluie assez loin de la façade), ils ont crée les « chimères » et réparti des diables dans des endroits inattendus comme cette « miséricorde »de la cathédrale de Soissons. Dans certains cas, comme à Amiens, les artistes poussaient le « vice » jusqu’à parer ces diables des traits de bourgeois existant avec qui ils avaient un compte à régler !

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misericordeDécalée pour coïncider avec le Bac, voici l’image du mois. La petite console sculptée sous l’abattant d’une stalle de choeur s’appelle une miséricorde. Celle-ci se trouve dans la cathédrale de Soissons. Un choriste debout pouvait s’y appuyer pendant d’interminables offices chantés. Le diabolique soutenait alors les voix d’ange. Le mal côtoie le bien. Ce paradoxe, que déclenchera‑t‑il dans la tête et sur le clavier des auteurs ?

 


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