Archives pour juillet, 2011

La démarche était pourtant résolument contemporaine. Un contact repéré en ligne, une demande envoyée et transmise, et un message revient du destinataire visé, ancienne camarade de faculté.

Sous quelques amabilités, un silence dans lequel j’entends tourner la clef qui ouvre la porte sur les années écolières, lycéennes, étudiantes et leurs sentiments confus.

L’amour, le bonheur, la haine, la colère s’apprennent dans la famille, peuplée de ses personnages primaires. Mais c’est par la cohabitation scolaire que ces sentiments se compliquent, se nuancent, doivent se gérer. L’amitié et son contraire, l’ennui, la concurrence, la soumission ou la rébellion : l’apprentissage scolaire accompagne celui de la vie en société.

La leçon la plus aride est la résignation envers les déceptions, indifférences et trahisons. Quand elle n’a pas été entière, au moindre bruit elle s’agite dans son sommeil adolescent.

J’ai touché à ces préoccupations dans un récit en anglais. Rédigé pour mes contemporains irlandais (un camarade devenu médecin à succès à New York se souvient des couleurs des capucines du parterre qui y figure), il avait un accent qui ne se transmet pas. Voici ce qui a été forcé à travers le tamis de la traduction, devenant ainsi non pas moindre mais autre.

Les leçons de Wingfield

A part une seule matinée, dans des locaux temporaires pour les enfants évacués vers cette station balnéaire, et où je portais un gilet rouge (dont le ton exact est encore dans mes yeux, alors que je me souviens à peine de ce que je portais hier), Wingfield, un matin de septembre, constituait ma première expérience de l’école, ma première sortie non accompagnée hors de la vie de famille.

Wingfield était une grande villa dans laquelle une famille aisée avait vécu, les salons en bas et les greniers sous le toit. Nous chantions notre hymne chaque matin dans le grand salon, et la classe de 10e avait cours dans la salle à manger. Je n’ai jamais pu m’habituer aux établissements scolaires tout en longs couloirs et cloisons vitrées.

Comme la couleur du gilet, les souvenirs de Wingfield sont conservés moins dans ma tête que dans mon anatomie (sentir le bois du banc sur les jambes nues, tourner à toute vitesse en passant les paliers de l’escalier, courir dans la cour, me régaler de somptueuses envolées sur une balançoire bien trop haute pour la règlementation actuelle). Seules subsistent des bribes de cours. Je me souviens quand même d’un moment transformateur lorsque j’ai su épeler, une compétence qui a fait ma réputation toute ma vie et dans plusieurs langues. Je me souviens moins d’arithmétique et d’histoire naturelle que de leçons plus fondamentales : me faire des amis et des ennemis, bouillonner d’exubérance et donc être souvent écrasé, taquiner et me faire harceler, ressentir la fierté et la honte.

J’ai appris la portée de la fidélité. Alors que nous parlions en classe d’animaux domestiques, j’ai prétendu imprudemment avoir dans ma chambre un rouge-gorge en cage. La maîtresse m’a cuisiné mais, le cœur contracté, je m’accrochais à mon histoire. Mon meilleur ami a levé la main. « C’est vrai, maîtresse, je l’ai vu. »

J’ai fait la découverte de la brutalité. Une professeur de musique venue du grand lycée m’a giflé pendant une leçon de chant. Je ne lui ai jamais pardonné, et j’en suis devenu un défenseur féroce des enfants contre de tels abus.

Un parterre de fleurs circulaire divisait en deux le chemin qui menait à la porte principale de Wingfield. Il devait être de taille modeste, mais me paraissait si vaste que, s’il avait été un bois, j’aurais pu m’y perdre. Nous observions une loi qui l’emportait sur toutes les règles imposées par l’école, et l’enfreindre, même involontairement, mettait en péril sa réputation (un risque plus grave pour de jeunes enfants que perdre sa vie). Les garçons passaient autour du parterre par la gauche, les filles par la droite. Les amis, les frères et les sœurs se séparaient, pour se retrouver plus loin. Un parent en visite devait être dirigé vers le bon côté ; si son père et sa mère étaient ensemble - un événement heureusement rendu rare par la stricte frontière entre l’école et la famille - quelque fût leur choix on était en butte aux railleries : soit sa mère n’avait aucune pudeur du tout, du tout, soit la virilité de son père était mise en question. Ce parterre illustrait les rigides rôles masculins et féminins que nous imposait l’époque, aussi incontournables que de devoir haïr les Allemands. Des contradictions intérieures ne pouvaient qu’être refusées, ou traitées avec un maximum de discrétion ou, pour quelques téméraires, affichées effrontément. La camisole existe encore, mais je la vois moins serrer mes enfants, qui ont même pu s’en amuser.

J’ai appris à écrire à Wingfield, et la démarche n’a pas beaucoup changé depuis ces premiers essais. Une composition intitulée « Quand je serai grand » se terminait, à ma surprise autant qu’à celle du maître (il l’a bien notée, mais en la transmettant au proviseur et en demandant à voir mes parents), par les mots : « et alors je passerai le coin de rue et me pendrai avec mes bretelles. »

L’écriture n’a jamais cessé de m’intriguer et de m’intimider. Je prends le stylo ou le clavier, les mots sortent (bien orthographiés), mais ils ne disent jamais ce à quoi je m’attendais. Les quelques rappels que je devais dresser ici sont devenus une visite, main dans la main avec moi-même enfant, à Wingfield.

Comme d’autres garçonnets, je portais une ceinture élastique avec une boucle en forme de serpent. Depuis le message initiateur et jusqu’à ces derniers mots, mon index trace ses courbes, lovées contre mes entrailles.

 

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« L’école est finie » 
Chanson de Sheila : 1963

C’était le dernier jour d’école. En fait vraiment LE dernier car il n’y aurait pas de reprise en septembre 2015.
Jean, le vieux Maitre d’école, regardait la fin du spectacle qui était organisé régulièrement à la fin de chaque année scolaire. Tous les parents n’étaient pas venus. Ils trouvaient le spectacle « ringard ». Il faut dire que le temps était maussade. Il l’était souvent depuis que le climat s’était réchauffé. Paradoxalement, cet hiver le petit village de Dommiers avait été isolé plusieurs jours après de grosses chutes de neige. Comme le disaient les anciens paysans survivants : « y a pu de saisons ».
Jean avait remarqué dans l’assistance une jeune femme qu’il ne connaissait pas. D’une blondeur éblouissante, elle était habillée tout de blanc. Une couleur si pure qu’on l’aurait dit inventée pour une publicité sur les lessives. Sa tenue était impeccable. La pluie qui s’était mise à tomber semblait répugner à se poser sur elle.
- Je ne vous connais pas. Êtes-vous la mère d’un écolier ?
- Non. Je suis là pour vous.
Jean sentit son cœur se serrer. Il avait oublié depuis longtemps cette espèce de morsure douce qu’on éprouve quand le désir s’éveille.
La femme poursuivait : « je m’appelle…attendez, pour simplifier disons Assia ».
- Vous avez l’air d’un ange.
- Je le suis. En fait mon vrai nom, difficile à prononcer est « Hahasia » Je suis aussi un « annonceur ».
Jean eut alors la révélation que son heure était venue. Cet ange, connu dans la Kabbale comme l’Ange du septième ciel chargée de la Miséricorde, était venue lui annoncer sa mort prochaine. Il se remémora les histoires où les gens qui mouraient voyaient leur vie passée se dérouler en un instant comme un vieux film accéléré.
Il allait mourir en même temps que son école. C’était l’une des dernières à résister.
Un ministre de l’éducation avait joué les anges exterminateurs et inscrit la mort de l’école primaire dans son budget. Ce ministre était un multirécidiviste du retournement de veste : droite, gauche, re-droite, re-gauche. Pour utiliser un mot qui était à la mode, il incarnait en politique un courant « alternatif » au sens propre !
Beaucoup de choses avaient changé. L’époque était au « numérique » et au « virtuel ». Ainsi l’école s’était dématérialisée grâce ( ?) à Internet. Les élèves se connectaient quand ils voulaient, généralement pas avant 10 heures du matin, et faisait un petit « coucou » à leur maitre virtuel à travers la webcam, en faisant attention à ne pas renverser leur bol de céréales sur le clavier de l’ordinateur.
Autrefois, quand les parents venaient accompagner les enfants à l’école, il discutait avec eux pendant que les élèves attendaient sagement en rang (enfin pas trop…) devant la porte de la classe.
Un jour l’un de ces parents lui avait dit avec émotion qu’il lui était reconnaissant de lui avoir fait aimer l’école et que c’était grâce à lui qu’il avait échappé à son avenir de paysan pour devenir médecin de campagne.
L’école avait été toute sa vie. Maintenant qu’elle allait fermer, c’était dans l’ordre naturel des choses qu’il disparaisse aussi.
« Adieu Maitre, l’école est finie »

 

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ecole-copieLes écoles ferment pour les vacances. A la rentrée, beaucoup seront amputées d’une classe, d’autres ne rouvriront pas. Derrière les arguments démographiques, administratives, économiques avancées par ceux qui décident, cela porte un coup de dague à la vie d’une communauté. Après le départ des petits commerces, des artisans, de la Poste, la fermeture d’une école, en éloignant les jeunes enfants, privera les habitants de cette promesse de renouvellement de la vie de village que sont leurs cris et rires à la récré.

Alors nostalgiques, pamphlétaires, poétiques, sociologiques : quels écrits suscitera cette image de combat proposée par Jean Sudarovich ?

 

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