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Ce matin là j’étais allé me promener, appareil photo en bandoulière, le long de l’Aisne, sur l’ancien chemin de halage. Près d’une écluse il y avait une vieille maison qui semblait abandonnée. Je la cadrais dans mon viseur quand j’eus l’impression que quelqu’un m’observait derrière la fenêtre du premier étage. Peut-être un simple reflet sur la vitre ?
Un peu plus loin il y avait un bar. Un de ces bars pour mariniers, où la bière du Nord (la gueuse) coule à flot, ainsi que le genièvre. Je m’adressai au patron et, en même temps qu’un café chaud, lui demandai :

- La maison près de l’écluse, elle est habitée ?

- Oh, ça non, pour sûr ! C’était la maison de Cri Cri, et … Mais vous n’êtes pas du coin? Vous n’connaissez pas Cri Cri et son histoire ? Par ici tout le monde l’connaissait le Cri Cri ! Y venait souvent là, tiens, dans l’coin là-bas!

Et le barman ne put résister au plaisir de raconter. Au fur et à mesure qu’il parlait, il devenait plus familier et son récit s’est émaillé de plus en plus de ces tournures et expressions « ch’tis » typiques de Picardie. Il parlait avec cet accent horrible qui donne l’impression que les gens parlent avec des patates chaudes dans la bouche…Je me suis efforcé d’en reproduire approximativement le contenu et les tournures pittoresques.

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…Il avait pas été gâté par la nature, Cri Cri! Y savait pas (ou y pouvait pas) faire grand chose, rapport à sa tête qu’était pas « normale » comme on dit… Heureusement sa mère, en mourant, lui avait laissé la baraque et un joli compte en banque. Alors y passait ses journées argarder passer les péniches. Les mariniers et les marinières lui faisaient des signes et ça le faisait sourire et aussi plaisir car il se sentait un peu moins seul de savoir qu’il était si connu…
Nanard, le responsable de l’écluse, le faisait un peu travailler, pour l’occuper. C’est qu’y se faisait vieux, le Nanard… C’était un peu comme son matériel! Quelquefois les portes de l’écluse, côté amont, elles coinçaient un peu… Alors Cri Cri, il aidait un peu à la manœuvre. Il amarrait aussi les péniches pendant l’éclusage. Mais en fait il n’avait pas d’amis. Il aurait bein voulu mais y n’osait pas… Et puis y a eu Juliette !

Juliette : c’était la fille à Dédé, le patron batelier qui faisait les graviers entre Venizel et Soissons. C’était un beau brin de fille, la Juliette! Blonde comme les blés en Août, une poitrine à damner tous les saints du paradis. Et des yeux! Des yeux si grands, et si bleus, qu’à trop argarder dedans on avait peur de s’y noyer! On voyait bein que le Cri Cri il en pinçait pour la tchiote! Chaque fois qu’eul Dédé y venait au bar, Cri Cri y rappliquait aussi sec. Y s’mettait là, dans l’coin, et y r’luquait Juliette! Elle lui disait, pour s’moquer gentiment : « Tu veux ma photo, Cri Cri ? » Et lui, qu’avait pas inventé l’eau chaude, y disait : « Ben oui, j’voudrais bein! » Et toute la salle riait, et ça f’sait chaud au coeur de Cri Cri qui voyait qu’les gens l’aimaient bien.
Et puis un jour, pendant l’éclusage de la péniche à Dédé, on a vu qu’la tchiote avait trouvé un gars! C’était pas un gars d’cheu nous. Un type aux cheveux et aux yeux  noirs, genre italien, quoi ! A la façon qu’ys avaient de s’toucher on voyait bein qu’entre eux y s’était passé quequ’chose qu’était plus qu’une amourette ! Je m’souviens que c’jour là, y pleuvait… Une de ces pluies de fin d’automne, qu’a vite fait d’virer en neiche par chez nous. En r’gardant Cri Cri, on voyait que son visage était tout humide, et on savait pas si c’était la pluie, ou aut’chose…

Le l’endemain, la péniche à Dédé, elle est revenue à l’écluse et s’est présentée au bief aval. La Juliette, elle était toute seule! Ses yeux y paraissaient moins bleus, p’t être rapport au temps qu’avait viré à la neiche, ou p’t être qu’elle était triste d’avoir perdu son coquin! Elle restait là, sur le pont, à révasser pendant que Nanard s’occupait des vannes.
Et puis la porte du bief amont a coincé encore une fois! Nanard s’est mis à crier : « Cri Cri, viens un peu là, j’ai b’soin d’toi pour bouger ces sacrées d’portes! (Enfin y disait pas « sacrées » mais un mot plus vulgaire que j’ose pas répéter…). Mais point d’Cri Cri…
Alors Nanard argardé vers la fenêtre, et on l’a vu courir vers la porte de la maison …

Le reste, c’est Nanard qui nous l’a raconté… Cri Cri s’était pendu à la poutre de sa chambre du premier étage. Oui, celle où vous avez cru voir quelqu’un… Ses pieds tournaient comme une boussole qu’aurait perdu l’Nord : Ouest, Sud-Ouest, Sud… Et la vieille poutre qu’avait du mal à soutenir le corps faisait : « cri… cri… cri…cri… »

Bon, vous voyez maintenant pourquoi vous avez pas pu voir quelqu’un derrière c’te vitre ?

Mais j’vous ai ennuyé avec c’t histoire pas très drôle! Allez, v’s allez pas rester sur vot’ café ? Une tchiote gueuse vous réchauffera bein mieux, c’est moi qui vous l’offre!

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Je n’ai jamais aimé le football!

Lorsque j’étais jeune, à Tunis, les chefs de bandes me choisissaient en dernier dans le partage des joueurs, comme « bouche-trou », généralement comme arrière, voué aux gémonies dès que l’adversaire marquait un but et menacé aussitôt d’exclusion. Le souvenir que j’en ai gardé est celui d’un sport violent, opposant deux bandes de quartiers différents, ou bien pire, celles ségrégationnistes des « arabes » contre les « français », ce mot désignant en fait un ensemble hétéroclite d’italiens, de maltais, de juifs et de français « de souche » (sic), tous unis pour l’occasion. Il faut dire que nos actuelles banlieues dites « difficiles » apparaitraient comme de paisibles et riants quartiers résidentiels comparés à celui que j’habitais. La partie ne se finissait jamais sans une bagarre générale, provoquée par une faute ou un but contesté, les poteaux, de simples tas de vêtements, offrant une incertitude propice aux contestations. Ces batailles de fin de match avaient lieu à coup de pierres ou de frondes. Les belligérants s’éparpillaient dans les terrains vagues qui entouraient la cimenterie, s’abritant derrière les wagons qui y stationnaient en attente de chargement, puisant dans le ballast des voies de chemin de fer des munitions illimitées.

Je repensais à cette époque lointaine dans le taxi qui m’amenait de l’aéroport du Galeao vers mon hôtel Méridien de Copacabana et je maudissais encore ce football en entendant la radio du taxi qui hurlait, m’empêchant de savourer la vue sur la célèbre baie de Rio . Il s’agissait d’un match entre deux équipes locales et visiblement le chauffeur et le speaker avaient pris le même parti pour l’une d’elle car chaque fois qu’elle s’approchait des buts adverses le ton montait. Le conducteur se retournait alors vers moi pour que je participe à la joie collective. Le jeu habituel des chauffeurs de Rio qui consiste à essayer d’écraser les piétons traversant au feu vert par défi envers les automobilistes était corsé par les quelques secondes où le conducteur quittait la route des yeux dans ses moments d’intense excitation. Heureusement, la fin du parcours, sur la splendide avenida Atlantica, se termina dans le calme et la tristesse à la suite d’un but marqué par l’équipe adverse, ce qui me permit de regarder en toute quiétude les splendides garotas au corps de miel sombre se déhanchant le long de la route .

Enfin je découvris un jour la quintessence de la violence du jeu de balle chez les mayas lorsque je visitai le site archéologique de Chichen Itza au Yucatan. Voilà des gens qui avaient compris bien avant notre ère ce que ces jeux recélaient de cruauté et d’animosité refoulées entre les peuples. Portant au plus haut le suspense des spectateurs, ils pratiquaient ce que que le règlement du football moderne appelle « la mort subite » et dans leur cas ce n’était pas un vain mot! Cette règle ne s’applique de nos jours qu’à la période des « prolongations », après que les équipes n’aient pues se départager dans le temps réglementaire. Elle consiste à interrompre le match au premier but marqué et désigner aussitôt le vainqueur, ce que certains de nos commentateurs patentés considèrent comme cruel! Nos mayas, il y a plus de 2000 ans en avaient fait la règle unique du jeu de balle. Dès qu’une des équipes réussissait à faire passer la balle dans le but (un grand anneau de pierre situé à quelques mètres de hauteur) la partie se terminait. Le mot « mort subite » n’était pas alors, en l’occurrence, une simple figure de style! En effet : dans les minutes qui suivaient l’équipe perdante était sacrifiée illico et sur le champ avec des raffinements dignes des meilleurs films gore! Voilà une méthode expéditive que nos hooligans modernes apprécieraient certainement, bien que cet aller simple les privent du fameux « match retour » et des promesses de vengeances associées!

Mais, me direz-vous, pourquoi stigmatiser le football et oublier cet autre jeu de balle, ovale pour en rendre les rebonds plus diaboliques, je veux parler du rugby ? Je ne sais pas… Cela est du domaine de l’irrationnel sans doute, à moins que ce soit parce que ce dernier est un « jeu de voyous joué par des gentlemen » alors que le football serait plutôt l’inverse ?



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 Souillant la perfection d’un ciel uniformément bleu, une ligne de nuages blancs semblent courir derrière une flèche d’argent. Pour la plupart des gens ce n’est qu’un avion qui passe. Les images qui se forment dans leur tête sont celles des voyages qui les ont marqués : pour les plus favorisés la colline du Corcovado à Rio, les gratte-ciel de New-York et pour les plus modestes la découverte de la Corse. Pour moi c’est différent car j’ai passé vingt ans sur un aéroport à côtoyer ces avions. Dans ce grand livre de la vie dont j’écris le dernier chapitre, ils occupent la partie centrale : celle de mon activité professionnelle. Les souvenirs reviennent sans effort et plus particulièrement ceux des sensations des premiers jours.

C’était par un petit matin d’hiver froid et brumeux… J’avais garé ma voiture sur le parking du personnel de la compagnie, présenté mon laissez-passer tout neuf à un agent de la Police de l’Air et des Frontières et m’étais engagé dans la zone « strictement réservée aux personnels autorisés ». Mon cœur battait un peu fort car, pour rejoindre mon bureau, je devais traverser le « taxiway », mot qui désigne la voie de circulation des avions entre leur point de stationnement et la piste d’envol. Non, ce n’était pas la crainte qui accélérait mon cœur mais l’excitation de pénétrer dans un territoire encore inconnu!
Cinq ans auparavant, mon premier poste à la compagnie avait été l’un de ceux qu’on qualifie d’ « État - Major », qui vous donne l’impression que vous êtes important parce que vous rencontrez la Direction Générale mais n’offre aucune prise sur les réalités du terrain. Las de cette ambiance feutrée et glacée des bureaux, j’avais demandé à « aller au charbon », et c’est ainsi que je me retrouvai à Roissy pour y exercer cet emploi opérationnel souhaité en qualité de responsable de la Division « Avion », un service fort d’un millier de personnes travaillant nuit et jour.

Ma toute première impression fut une odeur : celle du kérosène brulé dans les réacteurs qui imprégnait l’atmosphère. Cette présence olfactive ne m’a plus quittée pendant les vingt ans qu’il me restait à faire. Puis ce fut le bruit, à la limite du supportable, lorsqu’un avion passa en roulant à quelques pas de moi pour aller se ranger devant un « satellite » de l’aéroport.
Des manutentionnaires (l’une des catégories de mes nouveaux employés) s’étaient précipités et avaient ouvert le ventre de l’avion pour en extraire les bagages et le fret. Un homme à l’uniforme blanc, un « mécanicien avion », faisait le tour de l’appareil, une lampe torche à la main, et examinait les réacteurs et les pneus pour voir s’ils n’avaient pas eu de blessure. D’autres vidaient les toilettes ou les restes des « plateaux-repas » avec des camions aux formes particulières. Je pris soudain conscience que j’étais dorénavant le nouveau maître du ballet complexe qui se déroulait sous mes yeux ! Il m’appartenais d’en choisir les moyens en hommes et en matériels, d’améliorer les procédures existantes ou d’en découvrir de nouvelles. Ma finalité (je veux dire celle de mes équipes…) était de traiter ce bel oiseau de métal quand il arrivait au sol, puis de le préparer pour le vol suivant
Pour la plupart des gens l’avion n’est qu’un « moyen » de transport, certes un peu plus prestigieux que les autres, mais qui ne sert qu’à rejoindre une destination. Pour moi c’était devenu le but, l’alpha et l’oméga de mon activité.

J’ai appris peu à peu à le connaître plus intimement. J’ai pénétré dans ses soutes, manipulé les systèmes de chargement des conteneurs à bagages ou des palettes de fret. J’ai appris à répartir les charges pour que le centrage soit à la fois sûr et économique. Avec de gros et puissants tracteurs qui paraissaient pourtant tout petits sous le ventre des grands Boeing 747, je me suis attelé à sa roue avant et j’ai tracté l’avion pour qu’il dégage de son point de parking. Au sein de la petite équipe qui aide au départ j’ai agité la main pour saluer le pilote pendant que le mécanicien levait le pouce en l’air pour signifier que la voie était libre…
A l’étage de l’aérogare, se trouve le niveau « Passage », ainsi appelé parce que c’est là qu’on s’occupe des passagers. Ce n’était pas mon domaine. En contraste avec la « Piste », tout ici n’est que lumières scintillantes, parfums et sourires de femmes. Le bruit des avions, paraît lointain et étouffé. Il est interrompu de temps en temps par un carillon, suivi de cette incroyable et sensuelle voix d’hôtesse : « Ding - Dong !…Départ du vol AF 001 à destination de Rio, embarquement immédiat porte N° 5 » . Changez de ville, changez d’aéroport, tout est affaire de décor mais pour la plupart des gens c’est à cela qu’ils pensent quand ils évoquent un aéroport.
Au ras du sol : c’est la « Piste » et c’est très différent ! En distance, elle est très proche du « Passage » mais un monde sépare les deux services. La Piste est un univers essentiellement masculin et rude. Il fait trop chaud l’été et froid l’hiver sur son sol entièrement bétonné. La neige et la glace tiennent longtemps parce qu’il est interdit d’y déverser du sel, trop corrosif pour l’aluminium des avions. Le hurlement de sirène des réacteurs suspend régulièrement toutes les conversations.. En Piste, il règne l’atmosphère bruyante d’un port, avec ces manutentionnaires conduisant des engins de chargement, les bagages aux étiquettes multicolores et les marchandises exotiques qui évoquent les pays lointains. Dans les salles de repos du personnel les uniformes des diverses catégories forment une palette de couleurs vives illuminées par les bandes réfléchissantes de sécurité. On raconte son dernier voyage en « G.P » (terme qui désigne les billets à prix très réduits offerts par les compagnies aériennes à leurs employés) et les rires fusent de toutes parts. La brise qui s’infiltre dans les bouches d’aération apporte l’odeur du kérosène et le bruit des réacteurs. Ici, rien n’est climatisé mais en toutes saisons il y a la chaleur humaine, la fraternité d’une équipe et la satisfaction du devoir accompli quand l’avion part à l’heure. Mais stop ! Il me faut vite endiguer ce flot des souvenirs qui m’envahit. Aujourd’hui, allongé sur cette chaise-longue de ma maison de Picardie, est venu le temps de contempler en simple spectateur ces traces dans le ciel sans que je pense à ces avions que j’ai fréquentés pendant vingt ans!

Jean

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Kalimshi : guerrier nain du clan de Fiara

Je m’appelle Kalimshi, nain du clan de Fiara. Au loin, fermant l’horizon vers l’occident, se détachent les pics de Grimwall , couverts de neige toute l’année qu’on appelle aussi la « muraille venteuse ». Je forge des armes et des armures réputées dans le monde entier. Ces objets de grande valeur sont très recherchés et font l’objet de commerce entre toutes les races de la lumière. Ces équipements extraordinaires sont forgés par nous, les forgerons nains, une race qui, si elle est petite par la taille, est dotée d’une force exceptionnelle et d’un courage indomptable. Comme les elfes, les nains sont une race ancienne ayant survécu au règne des dragons en se cachant dans les cavernes labyrinthiques dissimulées au plus profond de la muraille venteuse . Notre réputation a depuis longtemps franchi les montagnes à tel point qu’un humain du nom de Wagner nous a dédié une œuvre  monumentale qu’il a nommée «l’anneau des Nibelungen».

Aujourd’hui les nains sont enfin sortis des puits obscurs creusés sous les pics de Grimwall pour créer d’imposantes cités où ils commercent avec les autres races de la lumière. Il y a Fasthome, construite au pied des anciennes mines des monts Grimwall et Windhome, une cité majestueuse bâtie au milieu des cimes enneigées de la muraille venteuse et qui offre protection contre les tempêtes venues du sud. On y entend le chant inlassable du marteau des maîtres-forgerons et c’est là que des marchands de toutes les régions de Fiara viennent s’approvisionner en produits de fer et d’argent de grande valeur. Quand la guerre s’annonce, c’est aussi de là que partent en rangs serrés les guerriers nains équipés de leurs armures indestructibles et de leurs terribles haches, toujours prêts à venir en aide à leurs frères de la lumière.

Demain, avec mes frères, je partirai par delà les monts vers une terre lointaine et barbare que les humains appellent « Picardy ». Il paraît qu’en ces contrées sauvages, des humains à la peau laiteuse et au visage glabre, ont assujetti nos frères nains. Après les avoir transformés en pierre par un sortilège horrible, ils disposent nos frères tels des trophées dans les jardins autour de leurs maisons. En outre, ces humains semblent tirer une grande gloire à exhiber leurs trophées et se livrent à des surenchères entre voisins pour savoir qui en exposera le plus grand nombre. La nuit, pendant que ces porcs d’humains dormiront, nous emporterons tous nos frères ensorcelés. De retour dans notre beau pays, nous érigerons ces statues colorées dans nos villes, tels des monuments funéraires stigmatisant la cruauté des humains et la gloire du peuple nain.



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Dans les années 50, la Tunisie était un « protectorat » français. Entendez par là que la France dirigeait le pays sans que le mot de « colonie » n’ait besoin d’être prononcé. Officiellement le pouvoir était dans les mains d’un roi d’opérette, à la tenue chamarrée et à la barbe fleurie, qu’on appelait « sa majesté le Bey » en référence au lointain passé où l’empire ottoman régnait en maître avant que la France ne prenne la relève. En réalité son rôle se bornait à signer sans rechigner les papiers que le « Résident Général de la France » lui présentait, et à décorer les personnages importants de l’ordre du Nisham Iftikar, beaucoup plus imposant que notre légion d’honneur. On trouve aujourd’hui encore ce colifichet  en vente sur le site de eBay (clin d’œil au nom de sa majesté ?)  mis à prix pour la modique somme de 130 euros !

Tout allait ainsi dans le meilleur de ce qui constituait mon monde si quelques trublions indigènes ne s’étaient mis dans la tête de secouer le joug magnanime de la France et réclamer l’indépendance de leur pays. Certes, le premier des opposants, Habib Bourguiba, avait été promptement mis en résidence surveillée dans une île, mais il ne manquait pas de lieutenants sur place pour entretenir l’esprit d’indépendance. Je n’avais que treize ans à l’époque mais je m’intéressais à tout cela car j’avais le sentiment, qu’en cas de victoire des opposants, j’allais être privé de « mon » pays. Devant moi se dressait le spectre flou qu’ont dû connaître tous ceux que le destin a forcé à l’exil.

Lors d’une manifestation dirigée par un leader syndical tunisien, une organisation secrète française (version anticipée de la future et redoutable O.A.S) tua le syndicaliste. Il en résulta  une gigantesque réaction populaire. Moi, je continuais ma petite vie de collégien au Lycée Carnot, situé à quelques rues de la maison de ma tante Nanuzza dont j’ai parlé récemment. Le lendemain de l’évènement, en sortant du Lycée à midi, je me dirigeai vers l’avenue de Paris, une des artères principales de Tunis que je devais traverser pour rejoindre ma maison. Là je fus paralysé par la surprise : une foule immense envahissait l’avenue dans toute sa largeur et à perte de vue dans toute sa longueur. Il n’émanait de cette foule aucun cri distinct. Seul une sorte de grondement grave s’en dégageait. Je restais là près d’un quart d’heure sans que rien ne semble montrer une évolution dans l’écoulement continu des gens. Or le temps passait et je ne voyais pas comment j’allais rejoindre mon logement. Traverser la foule : il n’en était pas question ! Je m’en approchais, espérant entrevoir une faille, mais elle était si compacte qu’avec ma petite taille je n’arrivais même pas à apercevoir l’autre côté de la rue. Des drapeaux rouges frappés du croissant étoilé étaient brandis à bout de bras, semblant défier le drapeau français au fronton des bâtiments publics. Soudain, de ce grondement sourd, s’éleva un cri perçant : le « you you » traditionnel des femmes arabes, qui éclate dans les cérémonies, qu’elles soient joyeuses ou funèbres. Ce cri strident venant du fond de la gorge me paraissait  inhumain et terrifiant. Il transforma ma simple peur en véritable panique. Je voulais fuir dans le sens opposé mais mes jambes tremblantes refusaient d’obéir.  J’avais du mal à respirer.

La foule mit deux heures à s’écouler. J’aurais dû alors rejoindre le Lycée car j’avais cours l’après-midi mais j’en étais incapable. Je retournai chez moi où ma tante m’attendait en proie à l’angoisse.

A partir de ce jour là, je développai un syndrome d’agoraphobie, c’est-à-dire une terreur de la foule. Heureusement la vie que j’ai mené par la suite  ne m’obligea pas à affronter de nouveau les foules redoutées, même en Mai 68, période pendant laquelle l’arrivée dans un tout nouvel emploi me fit passer à côté des grandes manifestations sans que je m’y engage, de peur de perdre mon poste.


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On attribue aux chats toutes sortes de pouvoirs étranges, comme la télépathie, la prédiction du temps, la capacité de renaitre 9 fois, etc.  Il est souvent le « familier » d’une sorcière et je vais vous conter une expérience unique que j’ai vécue : celle d’un exorcisme, avec sorcière et chat noir à la clé !

Dans les années 50 mon père travaillait dans une mine de l’ouest tunisien. Comme il n’y avait pas de Lycée au Kef (la ville la plus proche) je faisais mes études à Tunis, au Lycée Carnot. Mes parents m’avaient mis en « pension » chez la sœur de ma grand-mère. Elle était italienne, vieille fille et bigote. Tout le monde l’appelait « Nanuzza » ce qui était un mystère puisque son prénom à l’état-civil était « Carmela ».

Elle recevait de temps en temps une amie qui lisait l’avenir dans les cartes. J’étais fasciné par ces cartes qui n’avaient rien des simples cartes à jouer. C’étaient de vrais tarots divinatoires, avec des personnages colorés et fantastiques, dont certains représentaient le diable, avec ses cornes, sa queue et ses sabots, ou la Mort avec sa grande faux poursuivant des hommes terrorisés. La vieille tireuse de cartes s’appelait Bertha. La description la plus simple que je pourrais en faire et de vous rappeler la vieille sorcière qui vient pour empoisonner Blanche Neige pendant que les 7 nains sont au travail dans la mine : mêmes nez crochu, menton proéminent, verrue sur la joue et bouche édentée !

L’année de mes 13 ans (encore un nombre magique !) j’ai eu quelques problèmes de santé. Plusieurs rhumes, dus probablement à mes escapades dans les montagnes du bled tunisien pendant les vacances de Noël, et surtout deux « orgelets » consécutifs avaient persuadé ma tante que quelqu’un m’avait jeté le « mauvais œil ». En italien on dit : « il mal’occhio » et le fait de l’envoyer se dit « la jettatura ». Elle soupçonnait la voisine du premier étage, qu’elle détestait, et dont les sourires hypocrites qu’elle m’adressait lui faisaient craindre le pire ! Dans de telles circonstances une opération de « désenvoûtement » s’imposait. Or, justement, la vieille Bertha ajoutait à ses compétences de cartomancienne celles de savoir enlever le mauvais œil.

Je me souviendrai toute ma vie de ma visite chez la vieille sorcière ! Bertha était pauvre. Ses talents ne devaient pas lui rapporter gros. Elle habitait sur la terrasse d’un petit immeuble, au centre de Tunis, dans une « buanderie » que le propriétaire avait du lui concéder à l’issue de quelque tractation secrète et dans laquelle la main du diable avait du intervenir. Beaucoup de maisons en Tunisie (et en Afrique du Nord en général) sont surmontées de toits en terrasse. C’est généralement le domaine des femmes (et des enfants), consacré aux lessives, au linge qui sèche au soleil, et aux confidences que les femmes se chuchotent à voie basse pour que les enfants n’entendent pas, sur leurs amours passées ou à venir.

La buanderie qui lui tenait lieu de chambre, de cuisine et de cabinet de travail, était petite. En fait il n’y avait de la place que pour un lit et une table. Je me souviens d’un détail incongru : sur le sommier du lit étaient posés au moins trois matelas superposés, ce qui donnait au lit une hauteur considérable et devait transformer le coucher en opération d’escalade. Sur ce lit trônait un gros chat noir dont les yeux vert et jaune se fixaient sur moi comme pour m’hypnotiser.

Avant de procéder au désenvoûtement Bertha voulait s’assurer de la réalité du besoin. N’allez pas croire qu’on peut effectuer un exorcisme à la légère ! Il ne faut opérer qu’à bon escient et après un diagnostic sûr ! Pour ce faire, Bertha prit une assiette, y versa un peu d’eau puis quelques gouttes d’huile. Comme les « yeux » qui surnagent sur un bouillon de poule au pot, les taches d’huile se promenèrent au hasard sur la surface du liquide, et s’agglomérèrent en formes arrondies irrégulières. Après examen de leur dispositions relatives Bertha assura ma tante qu’elle avait bien fait de venir car « ce petit a reçu le mauvais œil ». C’est là que commença l’opération proprement dite de désenvoûtement.

Bertha prit d’abord un couteau, ce qui causa ma première frayeur. J’étais à la fois terrorisé et curieux de savoir. Elle promena le couteau au-dessus de ma tête, sans doute (c’est du moins l’interprétation que j’en fis) pour couper les fils invisibles qui me reliaient au destin funeste que les taches d’huile lui avaient révélées. Ce faisant elle psalmodiait quelques mots incompréhensibles dans une langue qui ne ressemblait pas à de l’italien. (Je suppose que c’était un dialecte sarde aux étranges sonorités). Lorsque la litanie avait commencé le chat avait manifesté sa mauvaise humeur en soufflant rageusement et s’était enfui sur la terrasse !

Après de longues minutes qui me parurent interminables et pendant lesquelles j’essayais d’avoir un comportement digne et courageux, Bertha s’empara d’une aiguille à coudre ! Je fus pris d’un accès de terreur. Un instant j’imaginai que cette vieille folle allait me crever mon orgelet pour en extraire le pus ! Je repense rétrospectivement à cette scène et je m’imagine dans la peau de quelqu’un qu’on soumet à la torture ! Si on m’avait demandé d’avouer que j’avais volé la Joconde je l’aurais fait immédiatement ! Les mains de Bertha brandissant l’aiguille brillante s’approchèrent de mon œil. Je crois que j’ai hurlé.  On me rassura. On ne me voulait aucun mal ; au contraire ! La mélopée étrange recommença pendant que l’aiguille dessinait des croix incessantes devant mon orgelet, dangereusement prés ! Le rituel se poursuivit ainsi pendant un temps qui me parut très long.

Bertha assura ma tante que tout allait rentrer dans l’ordre. Pour faire bonne mesure elle lui offrit quelques gousses d’ail que ma tante devait accrocher derrière la porte de l’appartement, juste à coté des rameaux d’oliviers bénis à l’époque de Pâques (précisément aux Rameaux).

Au moment où nous nous dirigions vers la petite porte qui donnait accès à l’escalier de l’immeuble, le chat noir réapparut comme par enchantement et, après m’avoir jeté un dernier regard sournois, regagna la buanderie de la vieille sorcière. Je ne sais pas pourquoi je pensais soudain à ce conte dans lequel une sorcière avait transformé un beau prince en chat noir.
Et si ?…



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jour_de_brume2

le noyer fou à droite de la photo


Au fond de mon jardin, au bord du plateau donnant sur la petite vallée de Dommiers, il y a un vieux noyer centenaire. C’est assurément un bel arbre (comme on dit d’un « beau vieillard ») et je l’ai souvent photographié car il équilibre le côté droit de la photographie, l’un de mes enfants occupant l’autre côté. Il a pourtant une particularité un peu désagréable : il ne daigne faire ses premières feuilles qu’à partir du 14 juillet et ses fruits ne sont mûrs qu’avec les premières brumes d’automne. C’est quand même l’un des personnages importants de mon jardin. Mes enfants, puis mes petits enfants, ont souvent utilisé son large tronc comme cachette dans leur tour de jardin lorsqu’ils jouaient à « Un, deux trois… Soleil ! »
Un après-midi du mois d’Août, un de ces étés de canicule comme nous avons maintenant (la faute au fameux réchauffement climatique…) je me dirigeai avec ma chaise-longue vers l’ombre profonde et accueillante de son feuillage dans l’intention d’y faire une petite sieste. Pourtant ma grand-mère m’avait toujours déconseillé de faire cela. « Tu vas attraper la mort » me disait-elle !
Je m’endormis rapidement. Une voix retentit alors dans ma tête. Je me souviendrai toujours de ce rêve. (Mais était-ce bien un rêve, ou l’arbre a-t-il réussi à communiquer avec moi ?).
« Alors Jean… tu profites de mon ombre ? Tu es pourtant bien ingrat avec moi ! Chaque fois que tu fais visiter le jardin à tes amis il faut t’entendre ironiser sur ma particularité :
« Oui, mesdames et messieurs, nous avons là un noyer que je qualifierais de fou. Figurez-vous qu’il ne fait apparaitre ses premières feuilles qu’au 14 juillet. Il est en plein décalage ! Quant à ses fruits, ils ne tombent qu’en fin octobre et deviennent vite immangeables dès qu’ils sèchent. »
Sais-tu pourquoi je suis « fou », comme tu dis ? Je vais te le conter et tu verras après cela que la folie, elle est plutôt du côté des hommes !
Alors la voix du vieil arbre m’envahit encore plus et me fit le récit suivant que je vous retranscris du mieux que je peux.
« Je suis né au début de ce que vous appelez le vingtième siècle. Peu de temps après il y eut une guerre que vous avez qualifiée de « Grande », sans doute à cause de la boucherie qu’elle a engendrée. Des étrangers s’étaient installés dans ce jardin. C’étaient des « américains » je crois. Juste en face, de l’autre côté de la vallée, dans le bois du Chaufour, il y avait l’Ennemi. Une pluie d’obus traversaient la vallée dans chaque sens et labouraient le sol. Je venais d’avoir 18 ans : l’âge de la maturité, comme chez vous les hommes….Un de ces obus m’a coupé en deux ! Normalement j’aurais du mourir mais j’ai survécu. Nous étions alors au printemps. C’est là que j’aurais du faire pousser mes premières feuilles mais je n’en eus pas la force.
Lorsque l’été est arrivé, il y a eu de grandes réjouissances car l’Ennemi avait été repoussé. Le jour de la Fête Nationale, le 14 juillet, il y eut un grand bal dans tout le village. Une partie de ta maison, tenue à cette époque par un cafetier, était le centre de la fête. Oui… c’est à ce moment là qu’on a baptisé cette salle au bout de ta propriété : « la salle de danse » et, depuis, tu continues à l’appeler ainsi sans savoir pourquoi. Comme tous les végétaux j’adore la musique ! J’ai senti alors que mes feuilles se frayaient péniblement un chemin à travers les extrémités desséchées de mes branches. Je renaissais en ce 14 juillet, dans un frisson de joie, au son des bals populaires.

Depuis ce jour là je continue à renaitre à cette époque tardive. Comme pour beaucoup de tes semblables, vois-tu, la guerre m’a profondément et durablement changé.

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(1)*

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- Hahasiah ?

- Oui Maître ?

- Tu vois cet homme, là-bas ? Celui avec la canadienne rouge et qui sort des ASSEDIC ?

- Hmm ?

- Il est désespéré… Il faut que tu interviennes immédiatement ! Si je t’ai nommée auprès de moi, au Septième Ciel, comme Ange de la Miséricorde, c’est pour ce genre d’intervention….Cet homme va tourner à droite, sur le boulevard Gambetta ; au bout de la rue il y a un pont sur l’Aisne. L’eau est très froide. Il veut se jeter dedans. Je le lis dans sa tête, sa pauvre tête sur laquelle une employée des ASSEDIC vient d’assommer un dernier coup…
Il se considère comme inutile sur cette Terre. Il est seul. Sa femme l’a quitté, son fils de 17 ans est en prison pour coups et blessures. Malgré son CAP de menuiserie on vient de lui accorder l’aumône d’un poste de « technicien de surfaces » (2)* à temps partiel dans une société d’intérim. Trouve-lui des raisons de vivre …

- J’ai l’habitude, Maître, mais ce cas me semble bien désespéré. Que pourrais-je trouver qui lui montre son importance sur Terre ? Ne devrait-on pas le laisser libre d’agir ?

- Non je te dis ! Prouve lui que tout le monde est utile, même lui. Allez !

L’homme a effectivement tourné à droite et s’approche du pont qui enjambe l’Aisne. Il se souvient d’un temps où il allait pêcher sur la rive. Dès le matin il partait en vélo avec des copains, sa canne à pêche en travers du dos, un bon casse-croûte dans sa sacoche. Comme tout ça lui semble loin !
Il descend sur la berge enneigée. Encore quelques pas et ce sera terminé.
Il aperçoit une femme. Elle est jeune, belle, en haillons malgré le froid. Elle se penche sur le rebord du quai comme si…

- Arrêtez ! Ne faîtes pas cela !

Il lui prend la main. Elle est glacée. Ses doigts sont rougis par le froid et engourdis. Il lui parle doucement. Il essaye de la consoler.

Alors Hahasiah (car c’est bien elle, cet Ange que la Kabbale décrit comme celui du Septième Cercle, qui s’est incarnée pour tenter de sauver l’homme désespéré) se met à parler…
Sa voix, que des siècles de souffrances humaines ont finit par imprégner d’un accent qu’aucune comédienne humaine ne saurait égaler, lui décrit la lamentable situation dans laquelle elle se trouve. L’homme entoure ses épaules dans un geste d’affection et l’éloigne doucement de la rive mortelle.

Du temps a passé ; le printemps a remplacé l’hiver et le Maître se promène sur les Champs Elysées. (Non, pas à Paris ! Ceux de la Mythologie bien sûr !). Chemin faisant il croise Hahasiah.

- Alors Mon Ange, comment s’est passé ton sauvetage de l’homme à la canadienne rouge ? Car tu l’as sauvé, n’est-ce pas ? Tu sais qu’on ne peut rien me cacher ! (Le Maître, détendu, s’accorde parfois des moments de familiarité…)

- Eh bien, contrairement à ce que je pensais ça n’a pas été trop difficile. Il m’a emmenée chez lui. J’ai pu me réchauffer, manger et j’ai dormi dans son lit. Non ce n’est pas ce que vous pensez, en tout cas… pas ce jour là ! Bref, au bout de quelques jours, il avait trouvé son utilité dans la vie ! Il m’avait sauvé de la mort. Cela a été pour lui l’occasion de se souvenir que celui qui donne la vie a toujours une dette ineffaçable envers celui qui la reçoit. Puis le sentiment qu’il avait pour moi a enfin comblé le vide affectif dans lequel il se trouvait. Vous voyez Maitre, le cœur des hommes n’est pas très compliqué ! A l’avenir, vous devriez peut-être sous-traiter ce genre de problème à des Anges de plus bas niveau ! J’en connais plein que cela distrairait des B.A quotidiennes. Après tout, s’il est vrai que les Anges n’ont pas de sexe, ils (ou elles) en auraient bien besoin de temps en temps.

*(1) Le titre est inspiré du film « La Vie est belle » (« It’s a Wonderful Life ») de Franck Capra, dans lequel un homme est sauvé du suicide par un Ange qui lui démontre son utilité sur Terre.

*(2) création récente pour « balayeur », au même titre que « malvoyant » pour aveugle ou « minorité visible » pour nègre.


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Friedhof



Vous qui voyez ma triste tombe,
Sous ce ciel lourd de Picardie
ne pleurez pas !
Car je ne suis plus là !

Depuis ce jour de 1917 où un obus français
A découpé mon corps,
J’ai quitté ce Monde de terreur
Pour celui d’un rêve éternel.

Je suis maintenant partout :
Dans la pluie qui mouille votre visage,
Comme les larmes de ma mère
Quand elle a vu mon nom écrit sur cette médaille,

Dans ces flocons de neige,
Qui effleurent votre bouche d’un baiser
Comme jadis les lèvres de ma mie
Dans les nuits d’été de Vienne.

Je suis dans ces beaux nuages blancs
Qui viennent d’on ne sait où
Par delà les mers et les montagnes
Apportant le parfum de pays lointains,

Je suis dans l’eau transparente
Du lagon de Bora Bora,
Chevauchant les grandes raies
Qui glissent silencieusement.

Oui, je veux oublier.
Oublier la fureur et la haine,
L’aveuglement et la bêtise humaine,
Pour ne voir que la Beauté

De cette Terre que j’ai si peu connue.





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IMGP0343

Le cerveau humain est un mystère. Les souvenirs qui s’y inscrivent ont des importances différentes selon des critères qui échappent à l’entendement. Pourquoi ce rayon de soleil qui s’insinuait entre les lamelles des persiennes et transperçait d’une lance de feu l’obscurité de la chambre où on me forçait à faire la sieste, reste-t-il gravé dans ma mémoire ? Il n’avait pourtant pas le caractère dramatique des larmes de mon père quand son jeune frère est mort à 18 ans d’une péritonite. Pour un enfant de trois ans il est normal que cela s’inscrive de manière indélébile : son père, l’homme le plus fort de la création, peut donc pleurer ? En revanche, pourquoi se souvient-on qu’il y avait 22 marches à gravir pour accéder au palier ?
C’est dire que la maison natale occupe dans notre esprit une place tout à fait privilégiée. Avez-vous revu votre maison natale ? Moi je l’ai revue 2 fois « en vrai » et une fois en imagination. En imagination ? Oui, et cela aussi est resté bizarrement dans ma mémoire ! J’étais en 4ème des collèges au Lycée Carnot de Tunis, et le professeur de français nous avait donné comme sujet de rédaction : « évoquez un souvenir d’enfance ». Je m’étais alors projeté dans un avenir rêvé : émigré en France, devenu médecin (ce désir était consécutif à une récente hospitalisation) je revenais sur les lieux de mon enfance et redécouvrais ma maison. J’effectuais ainsi une sorte de double voyage dans le temps : vers le futur pour me situer en train de me souvenir et, une fois rendu là par mon imagination, vers le passé pour y retrouver ces souvenirs qui constituaient le sujet de la rédaction ! Quand je vous dis que le cerveau a des mystères insondables !
J’ai effectivement « émigré » en France. Je ne suis pas devenu médecin mais ingénieur. Un jour j’ai décidé de refaire le voyage que j’avais décris dans ma rédaction de 4ème (voyez : je m’embrouille, je dis « refaire » comme si je l’avais déjà fait !) L’usine dans laquelle ma maison était située avait cessé de fonctionner. Il y avait un gardien tunisien qui veillait sur les installations industrielles dont mon grand père avait été le contremaître. Elles ont étés mon premier terrain de jeu : l’atelier de mécanique de mon grand père, son bureau dans lequel il procédait aux analyses chimiques de l’huile d’olive, les grandes chaudières à vapeur que des hommes noirs de suie chargeaient en permanence, tels des conducteurs de locomotives, le visage éclairé par les flammes du foyer quand ils ouvraient la trappe d’alimentation. A Tunis, en hiver il pouvait faire très froid et il n’y avait pas de chauffage central. Ces jours là le « chauffeur » plongeait une grande pelle dans la chaudière et nous remplissait un seau de braises que nous ramenions à la maison.
Le gardien, très gentiment, m’a autorisé à entrer dans « ma » maison qui était maintenant la sienne. J’étais très ému. Des détails anodins qui étaient restés assoupis dans mon cerveau refaisaient irruption sans préavis : la frise du sol en carrelage sur lequel je jouais, constituée de losanges étrangement familiers, l’évier en ciment de la cuisine, dans lequel on me lavait, jeune enfant, avant qu’on utilise une grande lessiveuse en zinc de la buanderie située sur le toit terrasse. Enfin je vérifiais qu’il y avait bien les 22 marches inscrites dans mon souvenir.
Bien des années plus tard, peu de temps après la mort de ma mère, mon père, qui avait alors plus de 80 ans, voulut aussi revoir sa Tunisie. Bien sûr la visite de ma maison natale, qui avait été aussi importante pour mon père car il y avait passé sa jeunesse, faisait partie du circuit. Cette fois il n’y avait plus de gardien, et pour cause : il n’y avait plus rien à garder, l’usine étant en voie de démolition. L’escalier aux 22 marches était impraticable et même s’il l’avait été je ne serais pas monté. Je préférais garder intact le souvenir de « ma » maison. Le vieil atelier de mon grand père était encore là, avec le vieux tour sur lequel il usinait les pièces de dépannage, et d’immenses toiles d’araignées lui tissaient comme un linceul mortuaire dans la sombre crypte où il repose maintenant pour l’éternité dans le lit de ma mémoire.
Aujourd’hui, grâce à « Google Earth », ce logiciel qui affiche des photos de la Terre vue de satellite, on peut se rendre à peu près n’importe où en quelques clics de souris, de la muraille de Chine aux temples mayas de Mexico en passant par le village où vous vivez. Je suis revenu voir le lieu de ma naissance. La démolition a été achevée. On distingue, vue du ciel, un gros tas de gravas qui est tout ce qui reste de « ma » maison.
Alors, quand je vois ce panneau « à louer » sur cette maison je ne peux m’empêcher de penser à un enfant, devenu grand, qui la regarde et qui se souvient… « c’est là que je suis né », « c’est là que j’ai grandi », « s’il vous plait… préservez-la! ».

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