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jour_de_brume1

Je suis TATIANA
La sauvageonne, l’indienne
je suis TATIANA
la silencieuse, la secrète.
Je suis la reine de cette vallée et des bois qui l’entourent.
Aucun être humain ne connait mon secret.
J’ai juré de ne rien dévoiler.
Le matin je me presse, il y a tant à faire !
Je sors au moment où la brume de l’aurore est encore étendue en voile doux au dessus du sol.
Je guette les messagers.
Sitôt qu’ils me repèrent, ils se dépêchent de me rendre compte
Il y a tant à faire !
Les journées sont trop courtes !
Il faut libérer la nouvelle poule séquestrée, affamée, dans le piège à renard,
Poser des Belladones devant les passages des chasseurs pour dévier le gibier de leur route,
Soigner la patte d’un blaireau avec une application de sève de bouleau.
Vite, le temps presse, un corbeau, messager noir, croasse une nouvelle alerte
en tournoyant au dessus de ma tête.
J’arpente les sous-bois, la peau de renard sur l’épaule
qui masque mon odeur d’homme
Le parfum de la honte.
ici, je recueille 8 marcassins collés au cadavre de leur mère
qui a dû courir longtemps avant de mourir là,
vidée de son sang par le trou de chevrotine.
Je les mène au terrier d’une renarde
qui vient de perdre ses deux petits.
Elle les nourrira, les sauvera.
Je me presse, il y a tant à faire !
Il y a le hérisson que petit Louis a enfermé dans un carton
Et tant de travail encore !
A chaque fois, aux oreilles des victimes,
les mots mille fois répétés :
« Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font »

Je suis TATIANA
La sauvageonne, l’indienne
Je suis TATIANA
l’erreur humaine.

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A mi-chemin du cours du Mississippi, long a faire trébucher une imagination européenne, s’y jette le Meramec. En amont, je suis planté dans les eaux de cette rivière. Elles ne recouvrent mes jambes que jusqu’aux chevilles. Mais la lame d’eau, épaisse feuille de verre lisse, exerce une force à peine résistible, formant un « V » affirmé derrière chaque mollet.

L’épagneul breton pourrait initier un discours sur la chasse, sa beauté ou son horreur, ou sur le paysage poétiquement flou du fond. Mais je cède à une force qui me jette dans le fleuve des souvenirs fondateurs, long comme le Mississippi.

Ma cousine et moi nous voulions pénétrer par effraction la nuit dans un manoir abandonné depuis peu par une famille au nom germanique (une histoire de maître à danser allemand et de jeune fille de bonne famille, à remplir un roman sentimental). Il côtoyait un fleuve (encore un) aux eaux roussies à sa source dans les tourbières irlandaises.*

Comme à chaque sortie, nous amenons les deux chiens, un colley énergique et un vieux « lurcher » (croisé d’un lévrier avec un colley, connu pour être le chien des braconniers). Ce Monty avait été recueilli après de si mauvais traitements qu’il se mettait à trembler si une voix s’élevait, même si elle ne le visait pas. J’avouerai, ici, avoir parfois crié quand nous étions seuls, rien que pour le voir s’aplatir obséquieusement. Pourtant j’étais toujours partant pour le porter au retour de nos promenades trop longues, grosse masse glissante dans mes bras.

Une lampe de poche à la main et un creux dans la poitrine, signe d’une exultation teintée d’appréhension que reconnaîtront d’autres adeptes de la transgression, nous traversons les pièces vides.

Après un demi-palier l’escalier se scindait augustement en deux volées. A la redescente la lampe tombe, une panique hilare pointe, et Monty dérape sur ses griffes allongées et dévale les marches, en ayant la peur de sa vie (nombreuses, certes, celles-là).

Pour sortir, nous passons une porte et entrons dans une serre, appentis altier au toit courbe. Un camélia, échappé à la discipline jardinière, avait proliféré jusqu’à tout remplir. A chaque pas, nous devons écarter une multitude de fleurs blanches aux pétales épaisses. Les chiens nous suivent, le colley bondissant, Monty ventre à terre. Dans la nuit, nous rentrons.

L’image d’opulence, de prodigalité naturelle, ne m’a pas quitté. Je lui donne forme ici, en éveillant Monty un instant de son long sommeil enfin apaisé.

J’y gagne, j’y perds. Le souvenir, devenu récit, s’éclaire. Mais les brumes qui l’entourent ne résistent pas au vent des mots. Monty, les camélias, même ma cousine, vous étiez plus riches que dans ma frugale histoire.


* Devenu ensuite maison de retraite austère, et maintenant hôtel de luxe dans un golf, là où broutaient les boeufs.

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Jour d’automne
Je ramasse des pommes,
Des véreuses et des bonnes
Des rouges et des jaunes

Jour d’automne
çà sent la chataigne grillée
Qu’il fait bon dans les coussins se lover 
à la douce chaleur de la cheminée

Jour d’automne
le jeune chien fait ses classes
C’est son premier jour de chasse
Il frétille, émoustillé
Souffle court, oeil brasier

Jour d’automne
C’est le vent qui sonne
A la porte de l’homme
A moins que ce ne soit un môme
Qui s’amuse au fantôme

En ce jour d’automne…


CM.

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C’est loin des brumes automnales de la campagne picarde où je me suis retiré que j’ai chassé pour la première fois, dans ma Tunisie natale.
Au début, quand j’avais 7 ou 8 ans, je me contentais de suivre mon père dans la zone marécageuse du lac de Tunis.
Entre la cimenterie, la fonderie métallurgique et l’usine des phosphates, toutes émettrices de tonnes de poussières et fumées odorantes, j’habitais un pauvre logement partagé par mes parents et grands parents dans l’usine d’extraction d’huile où mon grand-père était contremaitre. Un chemin menait de l’usine vers des marais salants, à quelques kilomètres de distance. Mon père m’avait raconté que, pendant la guerre et alors que je n’avais que 2 ou 3 ans, lors des bombardements alliés sur la zone industrielle, c’est là que nous allions nous abriter, chez un italien qui récoltait le sel, espérant que cet endroit ne constituerait pas un objectif stratégique pour l’aviation.
Pendant la chasse, mon père s’accroupissait derrière l’abri que formait le rebord du marais salant et attendait que les oiseaux migrateurs passent à portée de son fusil. Etendu à même le sol pour ne pas me trouver dans la ligne de mire, je respirais l’odeur de terre humide et celle, plus subtile, d’une maigre végétation qui parsemait les marécages. Désœuvré, mon esprit s’envolait alors à tire d’aile, tel un de ces oiseaux que nous traquions, et voyageait en sens inverse, vers ces terres lointaines septentrionales que j’imaginais froides et brumeuses, encore tout imprégné que j’étais des récits d’Erckmann-Chatrian qui constituaient, comme pour tout petit français de l’époque, le menu ordinaire des lectures de classes élémentaires, qu’il fût en Métropole ou dans les colonies..

Plus tard, alors que mon père travaillait comme ingénieur chimiste dans une mine perdue aux confins de l’ouest tunisien, je devins chasseur moi-même.
J’avais un fusil de calibre 9 mm à petits plombs, avec lequel je chassais les alouettes huppées et les tourterelles. Je partais généralement seul, emportant dans ma gibecière un sandwich au jambon emballé dans du papier. Ma chasse était primitive et naturelle, libre de toute contrainte de lieu, dans une nature sauvage, à mille lieues de ces chasses que j’ai connues plus tard en France, bruyantes et artificielles. En fait c’était plus le plaisir de la découverte de la nature que celui de la prise du gibier qui m’attirait, même si un atavisme enfoui dans les profondeurs de l’âme humaine me procurait toujours du plaisir quand j’abattais le gibier. Du haut d’un « djebel » appelé « sif », ce qui signifie « épée » en arabe à cause de sa forme, ma vue embrassait un vaste territoire qui s’étendait jusqu’à la frontière algérienne, au-delà d’un des principaux fleuves tunisiens. C’est au sommet de cette montagne que je faisais généralement une halte et mangeais mon sandwich. L’air chaud qui montait de la vallée m’apportait le parfum du romarin dont les buissons parsemaient le paysage, taches sombres mêlées aux touffes d’alfa plus claires, typiques de ces régions semi-désertiques.
Ce parfum du romarin s’est tellement imprégné dans ma mémoire que, même aujourd’hui, près de soixante ans plus tard, le simple fait d’en respirer un brin me ramène comme par enchantement vers ces lieux de mon enfance, en un étrange voyage dans le temps et l’espace.

J’ai conscience d’avoir eu une enfance complètement différente de celle de la moyenne de mes concitoyens picards. Est-ce que pour autant j’en tire une quelconque fierté ? Je ne sais pas … Je crois que, quelle que soit son origine, chaque être porte en lui son enfance comme un trésor unique. Mais ses efforts pour en faire partager le coté merveilleux et unique est une tentative vaine car il est très difficile de communiquer des sensations, et pourtant… n’est-ce pas ce que je viens d’essayer de faire ?

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