Le golfe d’Ajaccio, une des plus belles baies du monde, est composé de quatre sous-ensembles, chacun d’eux comportant un cap sur lequel se dresse la sentinelle d’une ancienne tour génoise. En partant d’Ajaccio on trouve successivement Porticcio, Isolella, Castagna et Muro, ce dernier cap fermant au Sud un grand golfe dont l’entrée Nord est constituée par les iles Sanguinaires.
Le cap d’Isolella est un amas de blocs granitiques qui ressemblent à des navires échoués, ce qui l’a fait surnommer « la punta delle sette nave » car la légende raconte que sept navires d’envahisseurs mauresques y ont été pétrifiés par la Vierge Marie.
Lorsque le Mistral souffle, venant du « continent », des promeneurs viennent se hisser sur les grands rochers, le regard vers l’horizon, comme hypnotisés par la répétition des grandes vagues déferlantes. Dans leur tête remontent les souvenirs de poèmes anciens : « Homme libre toujours tu chériras la mer » ou ceux du terrible « oceano nox » de Victor Hugo.
Laura habitait le petit port niché entre le cap d’Isolella et la grande plage d’Agosta qui attire plus les touristes que les austères rochers des Sette Nave. Elle avait vingt ans. Son teint hâlé par le soleil corse mettait en relief ses cheveux blonds et ses yeux bleus. Tous les jeunes de Porticcio la connaissaient. Lycéens à Ajaccio, ils avaient fréquenté « Le Club » à Porticcio, dégustant des glaces italiennes à la sortie des cours et, plus tard, dansant au night-club « U Paradisu ». Beaucoup de garçons lui faisaient la cour mais elle ne se fixait avec aucun, papillonnant de l’un à l’autre avec son sourire éclatant. Puis vint un jour où elle cessa de fréquenter le groupe des copains de Porticcio. Un corse de Bastia, Xavier, avait conquis son cœur. Le couple semblait heureux. On les voyait quelquefois se promener sur le cours Napoléon à Ajaccio ou attablés « au Glacier du Port », en face de la Citadelle. Xavier possédait une moto et c’est avec elle qu’il emmenait Laura sur les routes de la région, vers le vieux pénitencier de Coti ou les plages de Propriano.
Xavier avait un défaut : il aimait boire ! Il avait ce qu’on appelle « le vin mauvais », c’est-à-dire qu’il devenait violent et incontrôlable. Une nuit pendant laquelle il lui avait semblé que Laura avait dansé un peu trop souvent avec le même garçon, il avait entrainé la jeune fille chez lui et une violente dispute avait éclatée. Ivre d’alcool, de jalousie et de rage, il l’avait frappée à mort.
La foule qui se pressait devant la petite église de Porticcio témoignait de l’affection que les gens portaient à Laura et aussi l’horreur pour le crime commis. Le procès eu lieu sur le continent, aucune juridiction locale n’ayant pris le risque de voir se dérouler un procès à haut risque sur le sol corse.
Xavier fût condamné à 10 ans de prison. En réalité, compte tenu d’une loi non écrite mais toujours très présente en Corse, Xavier était condamné à mort en vertu de la coutume ancestrale de la « vendetta ». La seule question était : « quand » et « par qui » ?
A sa sortie de prison, après cinq ans passés aux Baumettes, Xavier s’était installé dans le nord de la France, à Soissons. Un retour sur sa terre natale équivalait à une mort certaine. Il avait fait une demande de changement de nom mais la procédure semblait anormalement longue.
Un soir, en rentrant du travail, il trouva dans sa boite aux lettres un colis postal. De nombreux timbres et cachets semblaient attester qu’il s’agissait d’un banal colis déposé par le facteur. En réalité l’expéditeur, qui avait longtemps travaillé à la Poste d’Ajaccio, avait agrémenté le colis de tout ce qu’il fallait pour lui donner un air authentique. Toutefois ce colis n’était jamais passé par le circuit postal. Son expéditeur n’aurait jamais pris le risque de tuer un brave collègue postier !
La dernière vision de Xavier dans ce monde fut la photo de Laura, placée juste sur le dessus de la boite où se trouvaient les deux kilos d’explosifs. Sur la photo il y avait écrit en lettres d’un rouge qui rappelait le sang : « non scurdiamo mai » : nous n’oublions jamais…
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