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Encore une porte qui se referme sur l’espoir. “On ne peut rien faire pour vous”. Encore et encore cette maudite phrase qui suit toujours le vous êtes trop ci ou pas assez cela, trop vieux, trop diplômé, trop cher, pas assez expérimenté, pas assez flexible…, Monsieur. Dans l’art des excuses faussement polies, les Assedic et compagnie sont dotées d’une créativité sans limite.
On a l’habitude pourtant, avec le temps on devrait le savoir. Derrière les portes il n’y a jamais d’espoir, la seule chose qu’on gagne à pousser ces portes, c’est de se les faire refermer sur les doigts dans un grand et douloureux claquement vous emprisonnant en Enfer.

Car l’Enfer est le chômage. Pas à cause de la précarité financière dont il finit toujours par s’accompagner. Pas à cause de la solitude, la famille et les amis s’éloignant de vous, un peu par leur faute, la “fréquentation” d’un chômeur étant soit honteuse soit dénuée d’intérêt, un peu par la vôtre, ne supportant plus l’affliction et la pitié dans les regards de ceux qui vous aiment pourtant encore. Pas à cause de la découverte du verbe être, tenu en camisole pendant toutes ces années de labeur par le verbe avoir, la découverte de ce qu’est exister et non pas uniquement posséder. Pas à cause du réalisme pessimiste qui vous emplit d’assister passivement à l’anéantissement de notre société de citoyens solidaires et à l’avènement d’une société de consommateurs égoïstes… Non, l’Enfer du chômeur, ce sont ses mains.

Dressées à travailler, elles se retrouvent sans maitre, et malgré les moultes activités avec lesquelles on tente de leur faire passer le temps, elles commencent à errer dans les limbes. Elles piaffent, elles ruent, elles tournent en rond dans une cage qui n’existe pourtant plus. Puis des myriades d’œil de cyclopes égarés éclosent sur vos doigts, une bouche monstrueuse se fore au milieu de vos paumes. Et chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde, ces mains diaboliques vous jettent un regard visqueux de reproches en répétant sans cesse d’une voix stridente : du travail, du travail, du travail, du travail…

Vous luttez, tentez de les ignorer de toutes vos forces, et de résoudre jusqu’à la limite de la folie une énigme insoluble : comment se boucher les oreilles sans main ?
On finit par renoncer à les bâillonner, à les aveugler, et ces mains maléfiques qui sont pourtant les vôtres vous prennent alors. Elles deviennent vous, s’emparent de votre être tout entier ; votre corps est une main géante dévorant votre chair et votre âme.

Et quand les portes se referment, vous, Main, vous prenez encore une claque sonore. Vos mains saignent, votre cœur pleure en silence, vos yeux tremblent secrètement de cette peur de ne plus être vous-même à jamais… et tristement, jour après jour, année après année, vous serrez chaleureusement la main de votre voisin, de l’ouvrier, de l’employé, de l’artisan, de tous ceux qui seront fort bientôt jetés dans ce même Enfer.

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Dimanche 30 mars 2008

Ma Mie,

Pardon de ne t’avoir écrit ces derniers jours. Je crois que mercredi, en faisant le jardin chez André, comme je te l’ai raconté, j’ai du prendre froid et depuis j’ai gardé le lit. Déjà qu’avec mes mains tremblotantes et mes yeux qui n’y voient plus bien, c’est pas facile de t’écrire sur notre table, alors dans notre lit…

Aujourd’hui, j’avais rendez-vous au parc avec les enfants et leurs petiots. Je me suis endimanché, et pis j’y suis allé, en avance, de peur de ne marcher assez vite avec cette foutue canne. Je ne m’y habitue toujours pas. Et pis, je m’en moque bien de l’heure, moi, j’ai tout mon temps avec la retraite. Pour passer le temps avant qu’ils n’arrivent, je me suis baladé dans les allées. Il y avait quelques enfants, mais pas beaucoup, avec cette météo complètement déboussolée, il gelait ! Y’en a un qui s’est cassé la margoulette comme il faut, juste devant moi. Je l’ai aidé à se ramasser, moi, sur mes trois pattes. Le môme, il s’est mis à pleurer, je sais pas si c’était parce qu’il avait vraiment mal ou bien parce qu’avec mon visage déformé par les rides et ma bouche édentée, je lui ai fait peur au pauvre gosse. Il a filé dans les jupes de sa mère, qui m’a jeté un drôle de regard. Pas un merci, rien.

Ah, ma Douce, si t’avais été là ! Tu lui aurais fait un calin au môme, tu l’aurais débarbouillé et il serait reparti avec un sourire. Comme avec le petit Yvan, tu te souviens ? Moi, je sais y pas faire.

D’ailleurs, tu sais, la Maryse, la mère d’Yvan, ça y est, elle-aussi, elle est partie. On a sonné ses cloches cette semaine. Enfin, tu le sais peut-être déjà.

Pis, j’ai attendu dans le parc, à l’entrée, tu vois, juste derrière la grande grille, que les enfants et leurs petiots arrivent. Une heure après, toujours personne. Ben j’ai claudiqué jusqu’à leur appartement, et ils y étaient, surpris même de me voir ! Le fiston, il a même essayé de me faire croire que je ne tournais plus rond, avant que notre brue se rappelle qu’ils devaient bien venir au parc, mais qu’elle avait tout bonnement oublié, parce qu’avec le froid, le parc n’était plus envisageable pour les petiots. Tu te rends compte, ils m’ont oublié ! Et après, c’est moi qui perd la tête alors qu’ils ont une mémoire de poisson rouge… Et pis en plus, tu vas rire, ils m’ont reproché du coup de ne pas avoir de téléphone portable, parce qu’au moins j’aurais pu les appeler du parc au lieu d’attendre une heure comme un couillon et de débarquer chez eux à l’improviste… Non mais, qu’est-ce qu’ils veulent que je fasse avec ce machin cancérigène avec des touches aussi minuscules ? Déjà que je ne me sers pas du téléphone à la maison, ce n’est pas pour en avoir un sur moi !

Notre brue, au bout d’un moment, car ce n’est pas l’hospitalité qui l’étouffe celle-là, m’a quand même fait un thé chaud, car comme je mouchais un peu, elle craignait que j’aie pris mal au parc à cause d’eux, et de concert, ils m’ont conseillé d’aller chez le toubib. Pour un rhume ! Et pourquoi pas pour une égratignure tant qu’on y est ! Et après, on nous casse les oreilles avec le trou de la Sécu… Forcément, avec tous ces jeunots qui vont chez le médecin pour un oui pour un non… Alors je leur ai dit que c’était comme ça depuis mercredi avec André, que j’avais gardé le lit pour être requinqué. Pour les rassurer, que c’est pas de leur faute, quoi. Ben tiens, j’aurais pas du. Les enfants en ont profité pour me ressortir leur histoire, comme quoi je suis trop vieux pour rester seul, que si je suis malade c’est pis, que je ne sais pas cuisiner ni faire le ménage… et qu’il faudrait que j’emménage en maison de retraite. Alors oui, c’est vrai, la cuisine et le ménage, c’est pas mon fort, mais je débute et je me débrouille pas trop mal, tu serais, je pense, assez fière de moi. Et puis ce n’est pas à mon âge et avec une patte folle que je vais devenir d’un coup la formidable maitresse de maison que tu étais. La maison n’est pas sale, ne panique pas ! Quant à la mangeaille, la brue, elle ne fait pas mieux que moi, avec ses plats congelés tout prêts, alors vaudrait mieux qu’elle se taise…

Mais je peux dire ce que je veux, aussi vrai que ça soit, ils sont complètement bouchés les enfants ! A croire que tout ce qu’ils veulent, c’est m’enfermer dans cette prison pour pouvoir vendre la maison… Notre maison, ma Mie ! Et ça, c’est hors de question, ce qu’il y a dedans et mes souvenirs qui s’échappent parfois, c’est tout ce qui me reste de toi. Je ne les laisserai pas te voler à moi comme cette satanée Mort l’a fait. Et dire que ce sont nos enfants… Si tu pouvais leur envoyer de là où tu es un peu de bon sens et rappeler au fiston qu’on ne l’a pas élevé comme ça…. Peut-être qu’ils t’écouteraient, toi. Parce que moi, ils ne me feront pas changer d’avis, ma prochaine demeure ici-bas ne sera pas cet hospice de malheur, la prochaine et dernière grille que je franchirai sera celle du cimetière, et pis l’autre, si Saint-Pierre m’a mis sur sa liste.

Et je suis têtu, tu le sais plus que quiconque, hein, soixante-sept ans avec ce cabochard, il t’en a fallu de la patience, mon Amour.

Allez je te laisse pour le moment car ce soir mes vieilles mains rouillent, je viendrai bientôt ma Mie vraiment te rejoindre.

Ton René

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Laissant des empreintes dans notre folklore, certains lieux entachés d’un secret soulèvent encore après des millénaires des questions, inspirant crainte ou désir, trouvant toujours écho en notre for intérieur. De cette demeure, l’on m’a narré cette courte légende que je vous confie aujourd’hui, qui bien que vide de tout surnaturel, est néanmoins merveilleuse.

Devant le porche, la calèche s’immobilisait. Les cloches sonnaient, il était l’heure. Une main se glissait, furtive ; les rideaux s’entrouvraient. Il pleuvait là dehors, la pluie perlait sur le carreau juste dévoilé. La majestueuse bâtisse, alors criante d’un silence étouffant, semblait avoir été désertée. Pourtant, aux bruissements de la fontaine se mêlaient, espoir ou réalité, les craquements d’un couloir arpenté par le doute d’un incessant va et vient.

Mais personne jamais ne sortait. Les cloches retentissaient alors de nouveau, sonnant le glas de l’attente. Le cocher, toujours impassible et raide, ranimait d’un claquement de rênes les chevaux. Leurs sabots s’éloignaient pesamment, halant la calèche, rideaux tirés.

Ainsi, chaque jour, la calèche se présentait, mue par l’espérance d’un lendemain autre qui jamais ne vint.
Personne n’a jamais vraiment su, même si de nombreuses langues aisément sifflaient de jalouses affabulations, qui même antagonistes, concordent vers la même énigme : de tous temps, même par grande sècheresse, il se raconte que la fontaine ne s’est jamais tarie.

Emplie de pleurs de douleur déçue, de colère ou bien même encore, comme certains le murmurent, des larmes de compassion de sa Statue, seule témoin ayant résisté au défilement des siècles ?

Entre rêves et mythes, le voile ne s’est jamais levé.

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