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« L’école est finie » 
Chanson de Sheila : 1963

C’était le dernier jour d’école. En fait vraiment LE dernier car il n’y aurait pas de reprise en septembre 2015.
Jean, le vieux Maitre d’école, regardait la fin du spectacle qui était organisé régulièrement à la fin de chaque année scolaire. Tous les parents n’étaient pas venus. Ils trouvaient le spectacle « ringard ». Il faut dire que le temps était maussade. Il l’était souvent depuis que le climat s’était réchauffé. Paradoxalement, cet hiver le petit village de Dommiers avait été isolé plusieurs jours après de grosses chutes de neige. Comme le disaient les anciens paysans survivants : « y a pu de saisons ».
Jean avait remarqué dans l’assistance une jeune femme qu’il ne connaissait pas. D’une blondeur éblouissante, elle était habillée tout de blanc. Une couleur si pure qu’on l’aurait dit inventée pour une publicité sur les lessives. Sa tenue était impeccable. La pluie qui s’était mise à tomber semblait répugner à se poser sur elle.
- Je ne vous connais pas. Êtes-vous la mère d’un écolier ?
- Non. Je suis là pour vous.
Jean sentit son cœur se serrer. Il avait oublié depuis longtemps cette espèce de morsure douce qu’on éprouve quand le désir s’éveille.
La femme poursuivait : « je m’appelle…attendez, pour simplifier disons Assia ».
- Vous avez l’air d’un ange.
- Je le suis. En fait mon vrai nom, difficile à prononcer est « Hahasia » Je suis aussi un « annonceur ».
Jean eut alors la révélation que son heure était venue. Cet ange, connu dans la Kabbale comme l’Ange du septième ciel chargée de la Miséricorde, était venue lui annoncer sa mort prochaine. Il se remémora les histoires où les gens qui mouraient voyaient leur vie passée se dérouler en un instant comme un vieux film accéléré.
Il allait mourir en même temps que son école. C’était l’une des dernières à résister.
Un ministre de l’éducation avait joué les anges exterminateurs et inscrit la mort de l’école primaire dans son budget. Ce ministre était un multirécidiviste du retournement de veste : droite, gauche, re-droite, re-gauche. Pour utiliser un mot qui était à la mode, il incarnait en politique un courant « alternatif » au sens propre !
Beaucoup de choses avaient changé. L’époque était au « numérique » et au « virtuel ». Ainsi l’école s’était dématérialisée grâce ( ?) à Internet. Les élèves se connectaient quand ils voulaient, généralement pas avant 10 heures du matin, et faisait un petit « coucou » à leur maitre virtuel à travers la webcam, en faisant attention à ne pas renverser leur bol de céréales sur le clavier de l’ordinateur.
Autrefois, quand les parents venaient accompagner les enfants à l’école, il discutait avec eux pendant que les élèves attendaient sagement en rang (enfin pas trop…) devant la porte de la classe.
Un jour l’un de ces parents lui avait dit avec émotion qu’il lui était reconnaissant de lui avoir fait aimer l’école et que c’était grâce à lui qu’il avait échappé à son avenir de paysan pour devenir médecin de campagne.
L’école avait été toute sa vie. Maintenant qu’elle allait fermer, c’était dans l’ordre naturel des choses qu’il disparaisse aussi.
« Adieu Maitre, l’école est finie »

 

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