Qu’est-ce qui conditionne fortement le devenir d’un homme ? Réponse : son enfance. Par exemple, dans mon cas personnel, je suis né dans une usine ! Non je ne plaisante pas.
Mon grand père était contremaitre de l’usine (voir photo) et il avait ce qu’on appellerait aujourd’hui une « maison de fonction ». Mes parents, sans le sous, habitaient là.
J’ai vu le jour par un petit matin de décembre, dans la chambre à coucher de mes parents.

Naturellement la totalité de l’usine fut mon premier terrain de jeu. Chevauchant comme un destrier ma « trottinette », je parcourais et découvrais cet univers enfumé et malodorant de l’usine. Les chaudières me faisaient un peu peur. De temps en temps un ouvrier ouvrait la porte de chargement et je pouvais voir ce qui est longtemps resté dans mon esprit comme l’idée de ce qu’était l’Enfer. Ces chaudières alimentaient, entre autres, une énorme machine (voir aussi la photo) qui crachait de la vapeur.

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Mon grand père (point jaune) en usine

Bien sûr tout cela nécessitait de l’entretien. C’est là qu’intervenait mon grand père. De formation « ouvrier-ajusteur » il était chargé, en plus du commandement des équipes d’ouvriers, de réparer les pièces défectueuses. Il disposait pour ce faire d’un atelier composé principalement d’une forge et d’un tour. Il y avait aussi une perceuse sur colonne et une meule à affuter les outils. Je le regardais faire et il m’enseignait son art. A dix ans je savais monter une pièce sur le mandrin, régler le jeu d’engrenages qui donnaient la bonne vitesse à la « vis trainard », donner le bon angle d’attaque à l’outil sur son «chariot», etc…
J’ai fait ainsi mes classes de bricolage en même temps que celles de l’école primaire. Après cela comment ne pas devenir ingénieur ?

Lorsque mon père approcha du terme de sa vie, il souhaita revoir son pays natal, la Tunisie, et en particulier l’usine qui m’avait vu naitre.
Elle était complètement en ruine et à l’abandon. C’est avec une émotion indescriptible que je retrouvai le vieil atelier.
Ecartant les rideaux de toiles d’araignées qui pendaient du plafond j’ai pris cette photo du vieux tour abandonné sur lequel mon grand père travaillait et moi j’avais joué.

 

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Le vieux tour à l'abandon

Un jour, poussé par je ne sais quelle curiosité, je suis allé sur «Google Earth» voir les photos satellite de ce haut lieu de ma mémoire. Je n’ai rien vu qu’un vaste terrain vague sur lequel  la poussière de l’oubli se promène encore un peu, au gré du vent marin, prête à retomber dans l’oubli définitif.

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Une réponse à “L’enfance d’un bricoleur”
  1. Denis Mahaffey dit :

    Jean retourne à ses origines tunisiennes, et plus loin que jamais, pour clore (est-ce cela ?) ses écrits ici. Ses récits donnent de l’épaisseur à l’homme fréquenté au Comté de rédaction du blog. Encore que, a dit l”auteur Anne Enright, il y ait la réalité, c’est à dire pour Jean l’usine dans le désert, et la fiction, c’est à dire les mots qu’il trouve pour la raconter. C’est une des leçons de cette aventure collective qui a inclus plusieurs textes “autobiographiques” : l’écriture a plus en commun avec la peinture qu’avec la photographie - et tant mieux !

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