Archives pour septembre, 2011

Après cinq ans et près de deux cents écrits par une dizaine d’auteurs, avec autant de commentaires par les uns et les autres, Marque-pages Soissons tire sa révérence. Chacun des quatre auteurs fondateurs a son mot à dire à cette occasion.

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A notre regretté Marque-pages
par Catherine

Au début, tout était facile.

L’écriture avec Marque-pages, c’était comme une balade au volant de mon cabriolet, un après-midi d’été, cheveux au vent, sourire aux lèvres !

Puis avec l’automne, la route est devenue un brin hostile.
Finie la décapotable, le vent abattait ses bourrasques qui s’ enroulaient autour de mes roues en sifflant
Mes pensées se concentraient à cette époque sur la route : surtout ne pas me laisser distraire si je ne veux pas finir dans le bas-côté.

Et puis ce fut le cauchemar de l’hiver, sournoisement embusqué depuis la sainte Catherine.
Il me frappa de plein fouet, un soir, déversant toute sa réserve à neige sur ma route.
De loin, je voyais mes petits copains de Marque-pages qui roulaient vaillamment dans leurs véhicules équipés de chaînes.
Dans un tournant, ma voiture amorça une longue glissade, telle une luge sur une patinoire, et ma course s’acheva dans une congère.
C’est là que je suis restée ensevelie, le cerveau congelé, jusqu’à cet instant où j’écris.

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Feu : on tire un trait sur Marquepages
par Jeannine

Au départ, après quelques réunions échangistes
nous étions quatre sur le starting blog
prêts à en découdre pour enfiler des mots
écrire des souvenirs, des fictions, des émotions
A partir d’une photo, choisie par chacun à tour de rôle
Je l’attendais avec impatience, ce sujet imposé
Ensuite, j’entrais dans les affres de l’écriture
dont je me délecte toujours aujourd’hui
Certains d’entre nous se sont révélés rapides à la détente
prêts à dégainer leurs textes illico presto
Stressant pour d’autres, entraînés par leurs prétextes
à repousser le moment fatidique qu’est ce duel sur page libre :
l’affrontement entre l’auteur et sa contrainte
Après, nous avons vécu l’attente de la réaction du lecteur
et aussi l’arrivée d’autres écrivants
Là, déception, on se lisait bien entre nous
mais force est de reconnaître que même si quelques isolés nous ont rejoint
sur un temps court, nous n’avons pas vu venir
l’essaim d’écrivants soissonnais
que nous rêvions d’accueillir dans notre ruche
Nous avons bien monté quelques radeaux
pour essayer d’attirer des naufragés en mal d’édition
Il s n’ont pas fait légion
L’été est fini
pour Marquepages, il est temps d’hiberner
mais les pages ne sont-elles pas faites pour être tournées ?
Une nouvelle histoire se profile peut-être à l’horizon
celle de nos devenirs à chacun
Et qui sait une prochaine rencontre sur un autre îlot de création

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Sur un rafiot
par Denis

Je retiendrai surtout les sentiments qui me liaient aux trois autres auteurs fondateurs pendant les premiers temps de cette équipée, quand nous sommes partis sur un rafiot pour faire le tour du monde en mots. La chaleur de nos contacts correspondait, non pas aux affinités amicales, mais à la force de notre engagement partagé dans l’activité intime qu’est l’écriture.

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L’écriture
par Jean

L’écriture est d’abord un acte personnel. Je veux dire que j’écris d’abord pour satisfaire un besoin solitaire. Et puis vient l’idée d’un partage. Avec les proches (je leur lis ce que je viens d’écrire), puis avec mes amis, en enfin je suis prêt à étendre mon public à des inconnus

Orgueil et vanité ? Sans doute…mais dans ce cas tout écrivain l’est puisqu’il ne garde pas pour lui sa littérature.

L’expérience Marque-pages est cette tentative d’un groupe d’écrivains en herbe de lancer sur le vaste monde de l’Internet leurs textes à travers cet instrument : le site de Marquepages.

Faut-il voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ? Les deux bien sûr ! Depuis 3 ans : 6 000 visites, 26 000 pages vues, une moyenne d’un peu plus de 2 minutes par visite. C’est l’aspect plutôt positif du constat. En revanche : peu d’ouverture vers de nouveaux visiteurs (seulement la moitié des visites). En ce sens Marque-pages n’a pas su conquérir un nouveau public.
Alors terminons sur deux airs de chansons : celle de la môme Piaf : « Non je ne regrette rien », et celle de Prévert et ses feuilles mortes à la fin de laquelle “la mer efface le pas des amants oubliés”.

Nous n’avons plus d’obligations mais le site sera toujours là pour recueillir vos textes sur les sujets qui vous auront inspirés au détour d’un chemin de traverse ou au lendemain d’une nuit d’insomnie.

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En avril 2011 j’ai publié « Notes sur un travail en cours » sur Marque-pages Soissons. Il contenait une partie d’un texte intitulé « Des pierres et des hommes », un duo entre une série de gestes datant du début de la sédentarisation de l’homme, pour construire une maison ou enclore du bétail, et des illustrations miniatures de comportement humain de notre ère.

J’ai voulu le reprendre et le terminer. Son sens ne m’est pas complètement clair ; mais j’ai appris, en écrivant pour ce blog, à laisser filer une histoire, parfois la suivre plutôt que de la mener.

24 sept : Ce n’était pas encore ça. L’ordre des illustrations manquait de rythme, la construction du mur n’allait pas suffisamment de l’individu vers la communauté. C’est fait.

Des pierres et des hommes

La première pierre est enchâssée dans la terre, émergeant à peine du gazon. Je l’en détache, mes doigts servant de levier. Sa forme reste derrière elle comme un demi-œuf en creux. Je la soulève à deux mains.

Eglise St Jean-Baptiste de la Salle, Paris. Dans le groupe d’endeuillés devant la double courbe des marches qui montent à l’église, Philippe l’aperçoit mais hésite. Est-ce Adrienne ? Ayant été jeunes collaborateurs sur un livre, ils ne s’étaient retrouvés que des décennies plus tard. Il était sûr qu’elle avait lors de ces retrouvailles-là dû, comme lui, chercher le visage familier sous la charge des années. Mais le vieillissement qui déguise et déroute était ainsi reconnu une fois pour toutes.

Pourtant, ces quelques années plus tard, le doute est revenu. Il faut à nouveau examiner de loin ces traits, les aligner avec ceux de la jeune puis la moins jeune femme. Plus ou moins décidé, il avance vers elle. Entre les deux personnes avec lesquelles elle discute, Adrienne le voit. Une fraction de seconde elle laisse repartir son regard, puis le ramène sur lui. Elle dit « Tiens ! ». Autant qu’un signe de reconnaissance, Philippe y voit l’intention de gagner encore un instant. L’hésitation conclue, ils s’approchent l’un de l’autre, se penchent, s’embrassent, avec le sérieux qu’exige la situation funèbre, mais dans un soulagement presque rieur. Philippe et Adrienne se reconnaissent, au moins cette fois-ci.

Nous prenons une pierre dite « à deux hommes », car il faut être deux pour la manier.

La Civette, Soissons. Le gamin me regarde, moi Dylan, à la sortie du tabac. Je porte mon pantalon large à treillis, mon débardeur noir avec un aigle et plein de mots en angliche autour, mes chaussures conséquentes, peut-on dire. Je tire sur ma cigarette, la tenant entre le pouce et trois doigts, comme un gros cigare qui aurait rétréci. Je tire comme si mes poumons ne pouvaient respirer que cette fumée. Le gamin m’a attendu dehors. Il me regarde, dans ses yeux une affamante aspiration à faire comme moi, à avoir mon air, à m’être. Je tire sur son regard comme sur ma cigarette, mais ne le retourne pas. Allez, petit con, on y va ?

A plusieurs nous posons la deuxième assise, épousant la première. Elle suffit pour confirmer que nous érigeons ce que nous ne savons pas encore appeler un mur.

Grand théâtre de l’Opéra, Belfast. Maureen a huit ans et ose à peine bouger. Ses mains sont posées à plat sur la jupe de sa robe, incrustée de minuscules perles noires qui la raidissent comme un brocart. La robe la fait belle, mais à condition qu’elle rende la politesse en gardant sa pose. Elle est dans un fauteuil d’orchestre. Sur la scène, un conte de fées s’encanaille pour accommoder des danses, des chansons, des tours comiques. C’est la tradition à Noël.

Les lumières qui écrasent le plateau remplissent Maureen. Tant de beauté dans cet autre monde là-haut, à quelques pas. L’héroïne au casque d’or, et sa courte tunique blanche au liséré également doré, en sont illuminées jusqu’à l’irréel. Sa peau est éclatante, les plis de son vêtement donnent le « la » du gracieux.

A l’entracte un miracle a lieu. La blonde étoile descend dans la salle pour vendre la partition du tube du spectacle. L’oncle de Maureen lui donne un shilling. « Tu peux le garder, ou acheter la musique. » Maureen se lève, avance, tend la pièce.

Vu de près, le tissu du costume de scène est rêche, à peine blanc, et taillé aux ciseaux sans ourlet. La peau, engorgée de maquillage, n’est pas lumineuse mais luisante. Maureen prend la feuille, retourne à sa place. Sa grande robe la contient, une fine armature à l’intérieur de laquelle son corps ondoie comme un souffle qui grandira, grandira jusqu’à ne plus y tenir, mais pas encore ce soir.

Tout le monde fouille dans le tas de pierres ramassées. J’en extrais une grande plate de forme plus ou moins régulière. Je la dépose en haut, la cale.

Clos du Phénix, Villeblain. Je tire l’ongle de mon pouce sur mes lèvres, de gauche à droite. Dans ce visage bouffi par la mousse à raser, elles en sont dégagées. C’est le même geste que je voyais faire mon père lorsque toute la famille partageait une chambre pendant les vacances de bord de mer. La sensation est trouble. Malgré nos différences et différends, nos distances et incompréhensions durables, tous mes efforts pour m’en séparer et m’en distinguer, être un autre homme, me voici lié à lui par ce geste pourtant banal. Il est utilitaire mais, en le reconnaissant comme le sien, j’en fais une partie de mon héritage paternel, mon patrimoine. La pierre est placée, je ne l’enlèverai pas.

Ça y est, l’assemblage empêchera de s’échapper ou de faire irruption. Ensemble nous avons placé les pierres, nous ne les enlèverons pas.

 


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