Pour accompagner l’exposition d’affiches de la Ligue des droits de l’homme à la Bibliothèque de Soissons.
Voyez-vous, j’ai fait le don de ma vie au Seigneur. En retour, il m’a ouvert Sa maison, qui s’appelle l’Amour éternel. Je m’y suis installée avec Lui, et avec mes sœurs en Christ. Elles ne sont pas faciles à vivre, mais le Seigneur veille sur nous, jetant le large châle de Son amour sur nos conflits, nos angoisses.
Mon père était brutal, mais ne nous a jamais frappés. Je vous donne un exemple. On me disait toujours d’attendre d’être grande avant de songer à entrer dans les ordres. Le jour où je suis devenue grande, et où je m’étais enfermée dans la salle de bains, il a voulu entrer. Je pensais longuement, en regardant le sang, au Sacré Cœur de Jésus, quand il a fracturé la porte avec son épaule en hurlant. Il a appelé ma mère pour me punir.
C’était son rôle. Elle restait toujours calme, enquêtait sur nos bêtises, puis décidait de la punition. Chaque fois des gifles, sur la même joue. Jamais d’aller-retour, elle trouvait cela vulgaire. Il fallait attendre, sans détourner la tête, au risque d’écoper d’une gifle supplémentaire. Ça choquait chaque fois, un impact qui vous laissait un instant sans savoir où vous étiez, qui vous étiez. Seulement après cela faisait mal.
Je ne punis jamais les petits êtres confiés à notre garde sauf, vous comprendrez, lorsqu’ils font pipi au lit. Sinon, je réagis à leurs bêtises avec amour. Mais l’amour se fait nécessairement sévère pour de pauvres orphelins : qui d’autre les mettra sur le chemin droit de l’amour de Dieu ? Alors lorsque je les gronde, les frappe, je leur fais mal pour leur bien. J’arme ma main d’amour, et d’une baguette souple comme le vent de cet amour qui nous habite, que nous habitons.
J’ai du pain sur la planche avec Thomas, un gaillard qui me dépasse d’une tête, avec son sourire qu’il veut charmeur, mais que je trouve pervers. Je m’épuise à le redresser.
Arrivé tout guilleret d’un cours d’éducation civique (donné par un enseignant laïc qui encourage ces misérables à se détourner de Dieu) pour recevoir la sanction d’une bêtise de la veille, il m’annonce « Vous savez, ma Sœur, les Droits de l’homme vous interdisent de me frapper. »
Entendant ce défi à la morale, je sors le martinet tenu derrière mon dos et le cogne sur le torse, les bras, les jambes. Il reçoit même un coup cinglant dans les cheveux. Mais je m’arrête, consciente que cela ne sert à rien. La leçon doit être claire. « Tes mains. » Il tend les mains, paumes tournés vers le Ciel. Le martinet siffle à chaque fois qu’il descend. « Alors, les droits de l’homme ou les droits de Dieu ? »
C’est toujours pareil. Thomas garde son sourire narquois le plus longtemps possible. Mais Dieu gagne toujours. Son visage se défait lentement, rougit et, sans qu’il sanglote, les larmes se mettent à couler sur ses joues, comme du sang limpide. Je pense chaque fois que le sang du Christ pouvait être aussi purement transparent.
« Alors, les droits de l’homme ou les droits de Dieu ? » D’une voix essoufflée par la souffrance bénie que je lui permets de sentir, il grommelle « Les droits de Dieu. » Il se détourne pour partir. « As-tu donc oublié ? » je demande, excédée par sa perversité. Avec un soupir interrompu par des spasmes intérieurs, il vient vers moi, se penche, m’embrasse sur la joue et dit « Merci, ma Sœur. »
Chaque fois, son baiser brûle longtemps sur mon visage. Parfois je touche l’endroit avec les doigts. Je ne serais pas surprise de trouver l’épiderme altéré, comme par un embrasement.