Posts Tagged “solitude”

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- Hahasiah ?

- Oui Maître ?

- Tu vois cet homme, là-bas ? Celui avec la canadienne rouge et qui sort des ASSEDIC ?

- Hmm ?

- Il est désespéré… Il faut que tu interviennes immédiatement ! Si je t’ai nommée auprès de moi, au Septième Ciel, comme Ange de la Miséricorde, c’est pour ce genre d’intervention….Cet homme va tourner à droite, sur le boulevard Gambetta ; au bout de la rue il y a un pont sur l’Aisne. L’eau est très froide. Il veut se jeter dedans. Je le lis dans sa tête, sa pauvre tête sur laquelle une employée des ASSEDIC vient d’assommer un dernier coup…
Il se considère comme inutile sur cette Terre. Il est seul. Sa femme l’a quitté, son fils de 17 ans est en prison pour coups et blessures. Malgré son CAP de menuiserie on vient de lui accorder l’aumône d’un poste de « technicien de surfaces » (2)* à temps partiel dans une société d’intérim. Trouve-lui des raisons de vivre …

- J’ai l’habitude, Maître, mais ce cas me semble bien désespéré. Que pourrais-je trouver qui lui montre son importance sur Terre ? Ne devrait-on pas le laisser libre d’agir ?

- Non je te dis ! Prouve lui que tout le monde est utile, même lui. Allez !

L’homme a effectivement tourné à droite et s’approche du pont qui enjambe l’Aisne. Il se souvient d’un temps où il allait pêcher sur la rive. Dès le matin il partait en vélo avec des copains, sa canne à pêche en travers du dos, un bon casse-croûte dans sa sacoche. Comme tout ça lui semble loin !
Il descend sur la berge enneigée. Encore quelques pas et ce sera terminé.
Il aperçoit une femme. Elle est jeune, belle, en haillons malgré le froid. Elle se penche sur le rebord du quai comme si…

- Arrêtez ! Ne faîtes pas cela !

Il lui prend la main. Elle est glacée. Ses doigts sont rougis par le froid et engourdis. Il lui parle doucement. Il essaye de la consoler.

Alors Hahasiah (car c’est bien elle, cet Ange que la Kabbale décrit comme celui du Septième Cercle, qui s’est incarnée pour tenter de sauver l’homme désespéré) se met à parler…
Sa voix, que des siècles de souffrances humaines ont finit par imprégner d’un accent qu’aucune comédienne humaine ne saurait égaler, lui décrit la lamentable situation dans laquelle elle se trouve. L’homme entoure ses épaules dans un geste d’affection et l’éloigne doucement de la rive mortelle.

Du temps a passé ; le printemps a remplacé l’hiver et le Maître se promène sur les Champs Elysées. (Non, pas à Paris ! Ceux de la Mythologie bien sûr !). Chemin faisant il croise Hahasiah.

- Alors Mon Ange, comment s’est passé ton sauvetage de l’homme à la canadienne rouge ? Car tu l’as sauvé, n’est-ce pas ? Tu sais qu’on ne peut rien me cacher ! (Le Maître, détendu, s’accorde parfois des moments de familiarité…)

- Eh bien, contrairement à ce que je pensais ça n’a pas été trop difficile. Il m’a emmenée chez lui. J’ai pu me réchauffer, manger et j’ai dormi dans son lit. Non ce n’est pas ce que vous pensez, en tout cas… pas ce jour là ! Bref, au bout de quelques jours, il avait trouvé son utilité dans la vie ! Il m’avait sauvé de la mort. Cela a été pour lui l’occasion de se souvenir que celui qui donne la vie a toujours une dette ineffaçable envers celui qui la reçoit. Puis le sentiment qu’il avait pour moi a enfin comblé le vide affectif dans lequel il se trouvait. Vous voyez Maitre, le cœur des hommes n’est pas très compliqué ! A l’avenir, vous devriez peut-être sous-traiter ce genre de problème à des Anges de plus bas niveau ! J’en connais plein que cela distrairait des B.A quotidiennes. Après tout, s’il est vrai que les Anges n’ont pas de sexe, ils (ou elles) en auraient bien besoin de temps en temps.

*(1) Le titre est inspiré du film « La Vie est belle » (« It’s a Wonderful Life ») de Franck Capra, dans lequel un homme est sauvé du suicide par un Ange qui lui démontre son utilité sur Terre.

*(2) création récente pour « balayeur », au même titre que « malvoyant » pour aveugle ou « minorité visible » pour nègre.


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Dimanche 30 mars 2008

Ma Mie,

Pardon de ne t’avoir écrit ces derniers jours. Je crois que mercredi, en faisant le jardin chez André, comme je te l’ai raconté, j’ai du prendre froid et depuis j’ai gardé le lit. Déjà qu’avec mes mains tremblotantes et mes yeux qui n’y voient plus bien, c’est pas facile de t’écrire sur notre table, alors dans notre lit…

Aujourd’hui, j’avais rendez-vous au parc avec les enfants et leurs petiots. Je me suis endimanché, et pis j’y suis allé, en avance, de peur de ne marcher assez vite avec cette foutue canne. Je ne m’y habitue toujours pas. Et pis, je m’en moque bien de l’heure, moi, j’ai tout mon temps avec la retraite. Pour passer le temps avant qu’ils n’arrivent, je me suis baladé dans les allées. Il y avait quelques enfants, mais pas beaucoup, avec cette météo complètement déboussolée, il gelait ! Y’en a un qui s’est cassé la margoulette comme il faut, juste devant moi. Je l’ai aidé à se ramasser, moi, sur mes trois pattes. Le môme, il s’est mis à pleurer, je sais pas si c’était parce qu’il avait vraiment mal ou bien parce qu’avec mon visage déformé par les rides et ma bouche édentée, je lui ai fait peur au pauvre gosse. Il a filé dans les jupes de sa mère, qui m’a jeté un drôle de regard. Pas un merci, rien.

Ah, ma Douce, si t’avais été là ! Tu lui aurais fait un calin au môme, tu l’aurais débarbouillé et il serait reparti avec un sourire. Comme avec le petit Yvan, tu te souviens ? Moi, je sais y pas faire.

D’ailleurs, tu sais, la Maryse, la mère d’Yvan, ça y est, elle-aussi, elle est partie. On a sonné ses cloches cette semaine. Enfin, tu le sais peut-être déjà.

Pis, j’ai attendu dans le parc, à l’entrée, tu vois, juste derrière la grande grille, que les enfants et leurs petiots arrivent. Une heure après, toujours personne. Ben j’ai claudiqué jusqu’à leur appartement, et ils y étaient, surpris même de me voir ! Le fiston, il a même essayé de me faire croire que je ne tournais plus rond, avant que notre brue se rappelle qu’ils devaient bien venir au parc, mais qu’elle avait tout bonnement oublié, parce qu’avec le froid, le parc n’était plus envisageable pour les petiots. Tu te rends compte, ils m’ont oublié ! Et après, c’est moi qui perd la tête alors qu’ils ont une mémoire de poisson rouge… Et pis en plus, tu vas rire, ils m’ont reproché du coup de ne pas avoir de téléphone portable, parce qu’au moins j’aurais pu les appeler du parc au lieu d’attendre une heure comme un couillon et de débarquer chez eux à l’improviste… Non mais, qu’est-ce qu’ils veulent que je fasse avec ce machin cancérigène avec des touches aussi minuscules ? Déjà que je ne me sers pas du téléphone à la maison, ce n’est pas pour en avoir un sur moi !

Notre brue, au bout d’un moment, car ce n’est pas l’hospitalité qui l’étouffe celle-là, m’a quand même fait un thé chaud, car comme je mouchais un peu, elle craignait que j’aie pris mal au parc à cause d’eux, et de concert, ils m’ont conseillé d’aller chez le toubib. Pour un rhume ! Et pourquoi pas pour une égratignure tant qu’on y est ! Et après, on nous casse les oreilles avec le trou de la Sécu… Forcément, avec tous ces jeunots qui vont chez le médecin pour un oui pour un non… Alors je leur ai dit que c’était comme ça depuis mercredi avec André, que j’avais gardé le lit pour être requinqué. Pour les rassurer, que c’est pas de leur faute, quoi. Ben tiens, j’aurais pas du. Les enfants en ont profité pour me ressortir leur histoire, comme quoi je suis trop vieux pour rester seul, que si je suis malade c’est pis, que je ne sais pas cuisiner ni faire le ménage… et qu’il faudrait que j’emménage en maison de retraite. Alors oui, c’est vrai, la cuisine et le ménage, c’est pas mon fort, mais je débute et je me débrouille pas trop mal, tu serais, je pense, assez fière de moi. Et puis ce n’est pas à mon âge et avec une patte folle que je vais devenir d’un coup la formidable maitresse de maison que tu étais. La maison n’est pas sale, ne panique pas ! Quant à la mangeaille, la brue, elle ne fait pas mieux que moi, avec ses plats congelés tout prêts, alors vaudrait mieux qu’elle se taise…

Mais je peux dire ce que je veux, aussi vrai que ça soit, ils sont complètement bouchés les enfants ! A croire que tout ce qu’ils veulent, c’est m’enfermer dans cette prison pour pouvoir vendre la maison… Notre maison, ma Mie ! Et ça, c’est hors de question, ce qu’il y a dedans et mes souvenirs qui s’échappent parfois, c’est tout ce qui me reste de toi. Je ne les laisserai pas te voler à moi comme cette satanée Mort l’a fait. Et dire que ce sont nos enfants… Si tu pouvais leur envoyer de là où tu es un peu de bon sens et rappeler au fiston qu’on ne l’a pas élevé comme ça…. Peut-être qu’ils t’écouteraient, toi. Parce que moi, ils ne me feront pas changer d’avis, ma prochaine demeure ici-bas ne sera pas cet hospice de malheur, la prochaine et dernière grille que je franchirai sera celle du cimetière, et pis l’autre, si Saint-Pierre m’a mis sur sa liste.

Et je suis têtu, tu le sais plus que quiconque, hein, soixante-sept ans avec ce cabochard, il t’en a fallu de la patience, mon Amour.

Allez je te laisse pour le moment car ce soir mes vieilles mains rouillent, je viendrai bientôt ma Mie vraiment te rejoindre.

Ton René

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