Les corbeaux
 Alors, cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien et
la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination
à sourire : «Bien que ta tête, - lui dis-je, - soit sans huppe et
sans cimier, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien
corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel
est ton nom seigneurial aux rivages de la nuit plutonienne!»
Le corbeau dit : «Jamais plus!» (Nevermore)

 Edgar Allan Poe. (Traduction Charles Baudelaire)

 

Ce poème de Poe nous rappelle que le corbeau et l’homme ont depuis longtemps des relations complexes et empreintes de magie. Sa couleur funèbre, son cri lugubre qui fait penser à une alarme, l’ont de tout temps associé à la mort ou à l’imminence d’un danger. Le dernier tableau de Van Gogh, celui qu’il réalisa aux environs d’Auvers-sur-Oise en une seule séance avant de se tirer une balle dans la poitrine, représentait un de ces splendides champs de blé comme il aimait les peindre, avec ses épis pareils à des vagues ondulantes sous le vent et survolé par un vol de corbeaux. Ce sont eux qui annoncent sa fin prochaine, autant que le chemin qui s’enfonce dans le champ sans aboutir nulle part. Leur noirceur tranche sur la blondeur des blés et s’harmonise avec la couleur bleue plombée du ciel d’orage.

Les symboles utilisant les corbeaux sont nombreux et tous parlent de malheur. Le « corbeau » n’est-il pas cet inconnu qui envoie des lettres anonymes calomniant les braves gens, apportant la zizanie et le malheur au sein d’un paisible village? Et puis le corbeau est l’animal de compagnie des sorcières dans l’univers des contes.

Il est aussi associé aux guerres, dévoreur de cadavres certes mais les légendes celtes racontent que la fée Morgane (la « malfaisante », ennemie de la bonne Guenièvre) était la reine des batailles et elle pouvait s’en échapper en se transformant en corbeau. De vieilles légendes picardes disaient aussi que le combat des corbeaux entre eux est signe de guerre. Alors les campagnes picardes ont du en voir un bon nombre de ces combats car, depuis un millier d’années, que de guerres elles ont connues ! Encore de nos jours la terre grasse de ses champs expulse peu à peu - comme la chair le fait avec des corps étrangers - les éclats de métal des obus de la Grande Guerre.

Ce qui est remarquable chez le corbeau c’est sa faculté d’adaptation donc d’intelligence. Pensez qu’il s’est adapté à la vie dans de grandes métropoles comme Tokyo… Au moment de la nidification, le corbeau a remarqué que les vieux portemanteaux en fil de fer sont excellents pour remplacer les branchages dans le support du nid, alors il fait les poubelles devant les magasins d’habillement, et dérobe les portemanteaux pour en faire un savant enchevêtrement, carcasse métallique de son nichoir ! Ils utilisent aussi le passage de voitures pour briser des noix ! Cette intelligence peu commune chez les oiseaux a du contribuer au malaise des hommes à leur égard. Le corbeau est fidèle toute sa vie à sa première compagne, ce qui n’est pas le cas des couples humains. Alors vous qui lisez ceci, lorsque vous verrez ces splendides oiseaux survoler les plaines françaises, portez un regard différent sur eux.

Jean : juillet 2007

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