Rapport du docteur Joachim Da Silva, responsable du dispensaire médical de Sao Felipe.

Ile de Fogo. Archipel du Cap Vert

« J’ai écrit ces notes en retranscrivant le récit que j’ai enregistré au chevet d’Amalia Andrade à sa demande. Ne sachant pas écrire, elle souhaite que ses enfants puissent les lire plus tard et connaître les circonstances de sa mort. La malade est décédée quelques jours après des suites de ses blessures et d’un état général d’épuisement physique. J’ai essayé de reproduire ses propos qui sont ceux d’une femme simple et illettrée, ayant vécu toute sa vie sur les flancs du volcan. »

« Mon mari Joao va tous les jours sur les pentes de Fogo pour chercher de l’eau. Il part avec notre âne vers 5 heures du matin et revient vers 7 heures avec nos 6 bidons remplis à la source qui se trouve à 3 kilomètres de notre maison. Le chemin pour atteindre la source est dangereux. Il longe un précipice au flanc du volcan. Quelquefois, quand le Fogo se met à gronder, des pierres roulent sur la pente depuis le sommet du cratère, traversent le chemin et viennent se jeter dans le ravin. J’ai toujours eu peur que Joao ne soit emporté par l’une d’elles. Mais comment se passer d’eau ? Il y a la cuisine, la toilette, le ménage. C’est que la poussière s’infiltre partout : le vent l’arrache aux flancs du volcan et la dépose dans la maison, recouvrant les meubles, le sol, les couverts. En janvier c’est encore pire quand le vent nous amène les sables rouges du grand désert africain !

Il y a une quinzaine de jours Joao est revenu soucieux de son voyage matinal.

- « L’âne est malade, Amalia, je crois qu’il va mourir » me dit-il.

C’était une terrible nouvelle ! En plus du voyage quotidien pour l’eau, l’âne nous sert à chaque marché pour ramener les provisions de la semaine. C’est qu’il est vieux notre âne ! Pensez, docteur, qu’il a appartenu à mon père qui l’a offert en dot à mon mariage.

Quelques jours après, Joao a trouvé la bête couchée, ce qui n’était pas dans son habitude, et elle a refusé de se lever. Ce jour-là j’ai lavé la vaisselle mais pas le sol et la toilette a été réduite au strict minimum.

Le soir l’âne était mort. Alors a commencé pour moi une nouvelle vie ; quelle vie ! Tous les matins Joao et moi prenions chacun 3 bidons de 10 litres que nous attachions sur le dos par des sangles et nous accomplissions ainsi notre corvée d’eau. De retour à la maison j’étais obligée de m’allonger sur le lit pendant une heure tant j’avais les reins brisés.

Puis vous vous souvenez qu’il y a eu cette éruption, la semaine dernière ? Joao était parti avant moi et je devais le suivre plus tard. Epouvantée par les grondements de Fogo je ne suis pas partie. A la fin de la matinée Joao n’était toujours pas là ! Négligeant les bidons vides que je devais prendre, je suis partie en courant, folle d’inquiétude. Lorsque je suis arrivée à la source je l’ai trouvé allongé sur le sol, blessé par une pierre qui lui avait brisé une jambe. Il m’a dit d’aller chercher du secours, alors je suis repartie en courant. J’étais à mi-chemin quand le volcan a grondé à nouveau. Le sol a tremblé sous mes pieds, j’ai trébuché et je suis tombée. J’ai vu arriver les pierres qui roulaient depuis le sommet de la montagne. J’ai essayé de me relever mais je n’en ai pas eu la force.

Maintenant docteur, je vais vous dire : je suis heureuse que Joao soit sauvé mais je sais que je ne m’en sortirai pas. Voyez-vous j’espérais qu’un jour nous quitterions cette ile de malheur, son volcan et sa poussière. Avec Joao et mes deux enfants je voulais rejoindre mon père en Amérique. Il est revenu nous voir l’an dernier. Il nous a raconté qu’il y avait de l’eau partout en Amérique, qu’il suffisait de tourner un robinet pour avoir de l’eau ! Maintenant que je vais mourir mon père va surement faire venir mes enfants en Amérique. Je les imagine là-bas, et je suis heureuse que ma mort ait servi au moins à cela. Sinon je crois que malgré mon envie je n’aurais jamais eu le courage d’émigrer. Joao non plus d’ailleurs. Notre vie à nous deux est liée définitivement à cette terre aussi pauvre et sèche que nous.



Jean : juillet 2007


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