Dans l’esprit de tout un chacun la pétanque est une activité de retraités. On a tous en mémoire ces places publiques poussiéreuses, bordées de grands platanes, où, dés les beaux jours revenus, se rassemblent des cohortes de retraités pour y jouer à la pétanque. Sait-on qu’il s’agit aussi d’un véritable sport avec des fédérations, des championnats, des rencontres internationales, etc. ? Mon père l’a appris à ses dépens et je vais vous raconter comment …

Vers le milieu des années 50 nous avions loué dans un petit hôtel de bord de mer et y passions des vacances tranquilles. Vers la fin de l’après-midi, entre la baignade et le diner du soir, les résidents de l’hôtel se retrouvaient sous une pergola pour y déguster un apéritif et raconter leur journée. Les plus anciens se livraient à des parties de pétanques acharnées dont l’enjeu était une tournée de pastis, la honte suprême pour une équipe étant d’aller « embrasser Fanny ».

Parmi les clients de l’hôtel il y en avait deux qui sortaient un peu de l’ordinaire : c’était deux jeunes d’une vingtaine d’années, à la tenue décontractée, qui avaient été recrutés par l’aubergiste pour animer un peu les soirées. L’un jouait de l’accordéon, l’autre l’accompagnait à la guitare et tout les deux poussaient la chansonnette. En ces temps pauvres en émissions de télévision (imaginez qu’il n’y avait qu’une chaine, en noir et blanc et aux programmes plutôt tristes) la présence des deux animateurs était appréciée par les vacanciers.

Je me souviens qu’un jour l’accordéoniste regardait d’un air amusé les joueurs de pétanques en attendant son compère guitariste. Généralement il n’était jamais là si tôt. A la fin d’une partie, Julien – c’était son prénom – s’approcha des joueurs et leur fit une proposition étonnante. Il disposa une boule sur le terrain, en choisit une dans sa main et se plaça à une vingtaine de mètres de la boule qu’il avait posée. Les joueurs, encore échauffés par la partie, regardaient d’un air goguenard ce jeune homme si différend d’eux qui venait se mêler à leur jeu favori. Julien annonça alors qu’il se proposait de « faire un carreau » sur la cible et qu’il était tellement sûr de réussir le coup qu’il était prêt à engager des paris sur sa réussite. La mise fut fixée à quelques centaines de francs (anciens) de l’époque. Comme des spectateurs s’étaient joints au pari, cela faisait une coquette somme ! Mon père faisait partie des spectateurs-parieurs et il puisa dans son porte-monnaie. Le patron de l’hôtel ramassa les paris et semblait s’amuser beaucoup de cette opération, un sourire énigmatique sur son visage d’ordinaire plutôt renfrogné.

Julien réclama le silence et se concentra. A la manière dont il se saisit de la boule, la soupesa, plia les genoux, on vit bien qu’il n’était pas le débutant que son aspect juvénile laissait supposer. La boule lancée vint percuter la cible en plein centre, réussissant ce que les spécialistes appellent un « carreau ». La foule laissa échapper un « ahhh » mêlant admiration et dépit pour la perte de leur argent. Julien ramassa sa mise et, à la satisfaction générale, offrit une tournée qui n’entama que légèrement ses gains substantiels.

Dans les jours qui suivirent les joueurs de pétanques essayèrent en vain d’amener Julien à participer à leurs parties mais celui-ci déclina régulièrement avec un certain dédain. Il consentit seulement à leur montrer quelques « tours », comme par exemple tirer avec les yeux bandés après avoir longuement mémorisé la cible ou, après avoir placé un obstacle entre lui et la cible, donner un effet à sa boule pour qu’elle décrive une trajectoire contournant l’obstacle.

Le séjour se termina comme il avait commencé alternant les baignades, les repas, les soirées animées et mes premiers flirts au clair de lune.

L’année suivante nous revînmes au même hôtel et reprîmes les mêmes habitudes. Pourtant quelque chose avait changé. Les soirées n’étaient plus animées par Julien et son copain guitariste. Le patron avait préféré se payer un splendide « jukebox » américain clignotant de partout. A la question de mon père sur ce qu’était devenu Julien, l’aubergiste répondit :

- Julien Soto ? Le champion de pétanque ?

Devant l’étonnement de mon père il ajouta :

- Comment, vous ne saviez pas ? Il est devenu champion de France de triplette et il est passé professionnel ! Tenez, l’année dernière, après avoir passé ici le mois d’Aout il est allé gagner son premier championnat ! Il vous a bien eu avec son pari !



Jean : juillet 2007

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