Image trouble, cet homme puissant mais courbé, comme une eau est trouble. Une eau dont la profondeur, ne se voyant pas, s’imagine. Y mettre la main, en émoi à l’idée de ce qui s’y cache.

Effondrement, détente, reprise de souffle après une bonne baignade, soumission imposée ou recherchée, douleur ? L’imagination des sentiments, débonnaires, apeurés, indignés ou excités, a besoin d’incertitude. Les suppositions troublent la conscience qui du coup, comme l’eau, brouille ses profondeurs, là où elle se met en ménage incestueux avec l’inconscient.

Il y des exemples de trouble réussi, comme d’échec. Lolo Ferrari, ses lèvres rembourrées comme un canapé, chacun de ses seins plus gros que sa tête, essayait peu judicieusement de réaliser royalement le phantasme mâle d’énormes nichons. La réaction fut un intérêt passager, suivi de la déception et du malaise qui accompagnent toute offre d’une réalité tentant de satisfaire les ardeurs incommensurables des rêveurs humains. A la longue Lolo Ferrari ne pouvait pas plus éviter d’être en butte aux ricanements grivois que les petits hommes sur les fresques pompéiennes, volant à cheval sur leurs propres bites gigantesques. Le périmètre du monde des phantasmes doit garder une obscurité prometteuse, alors que Lolo Ferrari arpentait piteusement la clôture avec un projecteur, révélant la banalité banlieusarde de l’autre côté.

Une publicité pour le papier hygiénique lubrifié (qu’est‑ce qu’il ne faut pas inventer pour faire consommer ?) montre une femme en chemisette étalée sur un homme au dos nu sur un sol carrelé. Elle essaie de lui enlever le slip. Il relève la tête pour la regarder, et il rit. La charge érotique de l’image vient de la qualité de son sourire, la tension autour de ses lèvres. A moitié ravi, a moitié s’efforçant de paraître ravi. C’est par cette ambivalence que l’image non seulement est sexy, mais éveille les sens. La pornographie dépeint la mécanique sexuelle d’une telle façon que les désirs peuvent balayer tout scrupule. L’érotisme dérange d’autres zones de désir plus ténébreuses, rappelant que, alors que le sexe limité au cinq sens peut faire l’affaire, la sexualité émerge des abîmes. La pornographie engage la sensualité ; l’érotisme vient de la tension entre la sensualité et la confusion des sentiments qui reflètent une vie dans le monde. La pornographie propose un véhicule extérieur pour porter les phantasmes ; l’érotisme voile ces phantasmes et les déplace vers l’intérieur. La pornographie appauvrit l’imagination, l’érotisme l’incite à une plus grande prodigalité.

Conclure par l’homme à la tête dégarnie, au dos grêlé. Fixer un sens parmi tant de possibles. La mort, disons. Le mort, disons. Cet homme quitte le monde des vivants, qui lui tournent déjà le dos. Déjà, la lumière les obscurcit. Il est mort, disons, et ce choix de sens pointe un autre trouble qui vient d’au‑delà de la mort. Après le désir, quoi ?

 

 

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