« Le rêve est la satisfaction d’un désir »
En fouillant dans une armoire de la maison que je venais de louer pour le mois d’Août à Deauville je suis tombé sur des documents oubliés par les locataires précédents. Il y avait un exemplaire du journal l’Union daté du mois d’Août de l’année dernière, une photo en noir et blanc montrant un homme apparemment enfoui dans le sable, et quelques feuillets provenant d’un journal intime.
Le temps était à la pluie, ce qui ne m’incitait pas à aller à la plage. Qu’auriez-vous fait à ma place ? Je m’installai confortablement et pris connaissance de ceci :
Plus que quelques jours avant cette rentrée que j’appréhende tout spécialement cette année. Je ne sais pas pourquoi on a fixé au 31 décembre la fin de l’année officielle alors qu’il ne se passe jamais rien dans cette période hivernale. Au contraire, la rentrée de Septembre marque bien un renouveau. C’est là que se prennent les bonnes résolutions de l’été : perdre du poids, larguer Marie-Jo, m’occuper un peu plus de mon fils Jacques, etc.
Sur le plan professionnel c’est aussi à cette période qu’arrivent les annonces des réorganisations de services avec leur cortèges de joies pour certains et de grincements de dents pour d’autres. Or justement il y en a une en cours et je suis impatient de savoir ce qui s’est concocté dans mon dos.
Hier soir Marie-Jo a appelé. C’est Christine qui a répondu. Elle m’a passé le téléphone avec un sourire entendu :
- « C’est la secrétaire de ton patron, il parait qu’il veut te parler… »
Sous le regard amusé de Christine, j’ai été obligé d’écouter Marie-Jo jusqu’au bout d’un air impassible, meublant de quelques « oui… d’accord… » ses propos de midinette « qui ne pouvait plus se passer de l’Amour de sa Vie ». Je la supporte de moins en moins. Je sens qu’elle essaie de m’entrainer malgré moi dans une relation qui dépasse le simple assouvissement de notre plaisir physique.
Fred m’a appelé. Il travaille au service « Audit de Gestion » et a eu la primeur des conclusions du cabinet 3C (Crunch the Costs Corporation) chargé de la réorganisation de la boite. De ses propos alambiqués il ressort que mon service est éclaté en 3 composantes et je serais en charge de l’une d’elle. (Remarquez l’emploi du conditionnel au lieu du futur !) Voilà qui m’enlève tout espoir de promotion cette année…
Ce matin je me morfondais sur la plage en repensant à mon avenir professionnel compromis et au naufrage futur de mes relations avec Marie-Jo. Machinalement, (un psy y aurait vu certainement un rapport avec ma situation) je me suis mis à creuser le sable avec mes mains. Mon fils unique Jacques est arrivé à ce moment là et a pris une photo de moi sous un angle tel que j’ai l’air d’être à moitié enseveli. Juste après il m’a annoncé qu’il n’irait pas en fac en Octobre. Il a décidé de prendre « une année sabbatique » au Brésil. Moi qui avais rêvé d’une reconquête de mon fils, complètement effondré par la nouvelle, je n’ai pu lui sortir que quelques banalités qui se voulaient comiques, du genre :
- « Tu te méfieras des mygales dans la forêt amazonienne et encore plus des filles sur les plages de Copacabana ou d’Ipanema car elles sont dix fois plus dangereuses. »
Pendant que mon fils me développait ses arguments je continuais à creuser et regrettais de ne pas être une autruche qui, comme on le sait, a la faculté de s’enfouir la tête dans le sable en ayant ainsi l’impression d’échapper au danger.
La nuit dernière j’ai fait un rêve étrange. J’étais métamorphosé en autruche. J’arpentais une vaste étendue de sable et observais d’un œil attendri un troupeau d’autruches femelles très désirables qui avaient l’air de me suivre docilement. Le vent tiède m’apportait des senteurs de forêt et des effluves animales que j’arrivais à identifier sans mal : singes, gazelles, chiens de prairie, etc. Soudain retentit à une faible distance le rugissement d’un lion ! Le danger était là et le piège probablement bouclé par les lionnes sournoises. Je n’avais plus qu’une chose à faire : enfouir ma tête dans le sable et disparaître aux yeux de tous. Alors il y eut un grand silence et mes angoisses disparurent. Au matin je me réveillai frais et dispos, la tête encore remplie des sensations que j’avais éprouvées sous ma forme animale.
Je viens d’acheter le journal l’Union. Comment croire ce qui figure dans l’article de la page locale ? Et pourtant …. »
Les notes de l’inconnu se terminaient ainsi, de manière abrupte, me laissant un peu sur ma faim.
J’ouvris alors le journal à la page consacrée à Deauville, dans l’espoir d’en savoir un peu plus. Voici ce qui était écrit :
Je n’aurais pas relaté cette histoire si je n’avais pu vérifier de mes yeux qu’elle figurait ainsi dans le rapport de police du commissariat de Deauville. On se perd en conjectures quant à la présence de cet animal sur la plage de Deauville et encore plus sur sa disparition subite.
En regardant par la fenêtre je vis que le soleil était enfin revenu. Au diable ces notes incompréhensibles ! De toute façon mes amis m’ont toujours dit que j’étais totalement dénué d’imagination !
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