La vache !
Elle n’ a pas peur, elle est bien traitée
passe la tête entre les barres de fer
avance vers l’ homme qui recule devant son baiser
Dentition suspecte, odeur prégnante
Pourtant, museau avenant
Désir de rencontre ? en tout cas une avance
Un sourire, et souvenir…
C’ était au Burundi
Voyage organisé, certes
mais concocté par deux aventuriers
nous étions, quel orgueil,
les premiers touristes à visiter le pays et son peuple
avec le grand plaisir, en contrepartie du manque de confort
de ne pas se faire harceler en permanence
par des demandes de bakchichs
(au passage : bonjour, l’Egypte !)
Dans ce voyage là ou un autre
nous étions quelques blancs en cage
c’est eux, les blacks, qui passaient leurs bras
à travers les barreaux pour nous toucher
et puis ils reculaient et revenaient, sans peur
C’ étaient surtout des gosses
qui souriaient de toutes leurs dents blanches
Je reviens au Burundi
il était vieux ? il y a des pays dans lesquels ça se remarque
quand on dépasse la quarantaine,
Un seul chicot jauni dans la bouche édentée
les yeux étaient tout racornis,
avec une tache de sang, des veinules rouges
dans le blanc dur, la pupille était vitreuse
N’ empêche, il me proposa franco de faire l’ amour
et nous avons parlé sans nous comprendre
une forme de rapport… spirituel
primitif de prime abord, mais bien sensitif
Juste après, les massacres ont commencé
entre Hutus et Tutsis
Ah, la bête humaine !
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Jeune homme voulant m’expatrier à l’époque, j’avais écrit au Burundi proposant d’y travailler comme professeur d’anglais. J’ai reçu une réponse signée par Amédée Kabugubugu (nom gravé irréversiblement dans la partie la plus dure de mon disque dur, sauf que l’image n’existait pas alors), qui était, tenez-vous bien, Ministre de l’éducation. Il a accueilli très, très favorablement ma candidature, m’attendait avec impatience…. et m’a demandé de veiller à un seul détail : je devais trouver un organisme qui paierait mon salaire. L’enveloppe portait le plus grand timbre que j’avais jamais vu, inversement proportionnel, me disais-je, à la taille du Ministère burundien de l’éducation. Je n’ai pas donné suite. Je suis parti en Tunisie, professeur dans un lycée de jeunes filles près de Tunis. Mais j’en ai gardé une tendresse pour le Burundi, puis une détresse pour son sort. Ce texte, dont les parties résonnent et s’imbriquent entre elles, réveille tout cela, ce qui est, je pense, une des fonctions de la littérature.
Une trace de mémoire s’était donc éveillée en lisant ce texte. Mais à l’âge d’Internet, tout nom propre invite à une recherche. Amédée Kabugubugu était un démocrate tutsi, pour cette raison massacré avec les Hutus pendant les génocides. Encore une résonance avec le texte, et qui donne de la gravité à ce qui était toujours resté un souvenir légèrement comique (ah, ce nom bizarre !).