Une surprenante sensation, comme un goût, ou une absence de goût. Désagréable en ce qu’elle affadit toutes les saveurs. Un goût de cendre dans la bouche.

Trois relations amoureuses concurrentes : la domestique et réconfortante, la sensuelle et nonchalante, la romantique et adolescente. Un flamboiement des sens et des sentiments, une vie réussie devant brûler ainsi de mille flammes.

Brusquement ce goût, cette absence de goût, ces cendres dans la bouche. Et qui cèdent vite la place à un  dégoût acide et violent, une envie de vomir la vie. Au même moment, pourtant, dans l’abysse qu’ouvre ce dégoût de soi, se perçoit, comme son reflet vacillant, une folle ambition de tout changer, de permettre aux désirs qui n’avaient jamais pensé s’exprimer de l’oser. Refaire l’existence, rien de moins.

Une naissance ardue. Comme un oiseau englué dans du mazout qui se traînerait jusqu’aux pieds de celui qui peut le nettoyer, affronter la peur qui se cabre dans le ventre, surmontée seulement par cette autre peur de laisser passer l’occasion. Prendre son bâton de pèlerin, conscient des dangers du voyage – peut-être imaginaires, mais l’imagination étant lâchée s’enivre de son pouvoir. Diriger un projecteur sur les cachotteries qui ont déguisé la faillite, comme celle d’une entreprise experte à gonfler ses chiffres jusqu’à ce qu’un actionnaire consciencieux examine les livres.

L’Inde. « Méditer. » Quoi, rester assis comme un con à expulser les pensées, ces copains de redoutables beuveries mentales ? L’épanouissement au prix d’un ennui lourd comme une tonne de plomb ?

Le défi commence chaque matin dans la noire nuit par une heure de méditation dynamique. Des respirations énergiques par le nez pendant dix minutes, suivies d’une explosion délibérée de folie, cris, larmes, rires hilares ou démoniaques, tourbillonnements du corps, pendant dix minutes. Dix minutes de saut sur place en poussant un son creux, pieds à plat, bras en l’air. Impossible à réaliser intégralement cette étape, et beaucoup finissent par plier seulement les genoux. Impossible… jusqu’au jour où le vouloir vainc la réticence du mental, et le corps y va. Au son abrupt d’une cloche se figer, bras toujours en l’air, pendant un quart d’heure. Atroce pour les épaules, et des bras descendent ici et là dans la foule. Finir l’heure en dansant. La soudaine aube est là pour accompagner le petit déjeuner.

Cinq différentes méditations dans la journée, un discours parfois en anglais, parfois en hindi. Danses au milieu de la matinée et chants et danses jusqu’à tard dans la soirée.

Le vrai effort n’étant pas d’accomplir l’exploit, mais d’en rester témoin. Les premières semaines, la question quotidienne au sortir du lit est « Qui serai-je ce soir ? », tant le régime creuse la conscience de soi en profondeur, en largeur et en hauteur. Plus tard, bien plus tard, cette question s’annule. Je ne serai jamais un instant personne d’autre, ni maintenant ni pour des siècles à venir. Cédant éperdument à une étreinte, ou m’envolant si haut que je pourrai voir un instant ce que même un athée fervent ne peut qu’appeler « la face de Dieu », je serai moi-même. Comme le phénix.


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