Archive pour la catégorie “Récits de Denis”


Pour accompagner l’exposition sur les violences conjugales à la Bibliothèque

Permettez-moi de dire que rien ne le vaut : ni le sport ni le sexe ni l’alcool, ni même la Belle, qui était héroïne de mes jeunes histoires. Le poing se forme, se serre, puis descend sur la peau, écrase la chair, rentre dans le muscle et s’arrête sur du solide, les os qui maintiennent tout. C’est alors seulement que le corps, déséquilibré, tombe. Cela est particulièrement sensible sur les bras, la poitrine ou, dans une moindre mesure, le dos. Une gifle convient mieux pour le visage, mais elle doit être majestueuse pour obtenir une chute.

Vous comprendrez que c’est ce dernier effet qui compte pour moi. La première fois que j’ai « cogné » ma femme (je mets des guillemets pour prendre mes distances par rapport à la vulgarité du mot), j’en étais le premier surpris, de me trouver en train de lever la main sur celle avec laquelle j’avais ce qu’on peut appeler « un contrat de tendresse ». Elle est tombée contre le mur et puis par terre.

Son premier geste a été, non pas de crier, ni de pleurer - ni de se relever furieuse et me cogner (là le mot convient pour son imprécision) avec ce qu’elle aurait trouvé sous la main - mais de tirer sur sa jupe, qui était remontée jusqu’aux cuisses. J’ai compris que, pour sortir gagnante de nos conflits, elle allait me refuser son intimité. Ce qui fait qu’après de tels affrontements faire l’amour, au lieu du partage recommandé, tenait du viol.

La première fois, je lui ai donné aussi un coup de pied. Par la suite, c’est un geste que je n’utilisais que dans de rares cas que j’exposerai plus loin. Normalement, il me suffit de la voir étalée disgracieusement. Si elle reste à genoux, j’achève le mouvement avec mon pied, mais on n’appellerait pas cela un coup.

D’où vient cette violence dans un couple ma foi assez uni, me demandera-t-on. Assez curieusement, je dirai que je ne sais pas vraiment. Quelque attitude de ma femme, ou même pas. Un policier qui s’en était mêlé s’est enquis de mes relations avec mes parents. Bon, j’ai reçu beaucoup de coups, mais j’abhorre ces balivernes « psychanalytocs » puis-je dire. Parfois je pense à ma mère en frappant ma femme, c’est tout, et c’est normal. Toutes les deux sont femmes.

Je parlais de coups de pied. Je ne les pratique que lorsque je perds mes moyens. Alors j’enrage, je m’acharne, les coups partent dans tous les sens, il peut y avoir du sang et même, c’est rare mais extrêmement regrettable, une fracture. Il s’agit dans ces cas de ce que j’appellerais une colère « rouge ». Comme si j’avais un voile de sang devant les yeux, je ne me maîtrise plus. J’ai le cœur qui bat, la tête qui tourne, la mâchoire qui se serre à faire mal.

C’est tout autre lors d’une colère « blanche ». Je fais et me regarde faire, je garde la distance pour apprécier la force de mes coups. J’ai une stratégie d’attaque que rien, et certainement pas elle, ne m’empêchera de mettre en œuvre. Précision et exactitude dirigent mes poings, le minimum d’effort pour un maximum d’effet.

La « rouge » me laisse pantois et confus ; la « blanche » m’apporte cette sensation au-dessus de toutes les autres dont j’ai déjà parlé. Je suis envahi par un sentiment planant de culpabilité. Elle remplit mon corps, mes membres. Souvent, je m’allonge à côté de ma femme, pleure et la supplie de me pardonner. Parfois, et c’est encore « mieux » peut-on dire, je reste debout, pour sentir tout le poids de la honte sans fléchir. La honte pour ce que je viens de faire à ma femme génère des sanglots au fond de ma poitrine. Je sais que je suis en vie, pleinement, le temps que cela se décante, se calme, s’évanouisse, me laissant comme une épave sur la plage lors de la marée descendante. Une épave, mais une épave comblée. Pour un temps.

 

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vergnol-9dcElle peut être la dernière de la longue série de photos qui ont déclenché près de deux cents écrits sur Marque-pages Soissons depuis 2007. L’image se met en mots, qui l’éclairent, l’amplifient, la détournent : voilà une idée fondatrice du blog. Le rattachement à Soissons et ses environs en était une autre. Par l’imagination, le souvenir ou la réflexion, nous pouvions soit approfondir soit nous envoler de notre quotidien.

Venons-en enfin aux Soissonnais, tels qu’ils se sont fait tirer le portrait au siècle dernier dans le studio Vergnol de la rue du Collège. Encadrés dans la vitrine, quelles prise donnent-ils à une mise en mots ? Attendons les résultats dans ce joli mois de mai.

 

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lieval-re2Le dernier jour du mois. Depuis plus de trois ans, je termine alors un écrit pour Marque-pages Soissons, inspiré (sans nécessairement être « inspiré ») par l’image mensuelle. Pamphlet, conte, réminiscence, essai, le plus court possible. Je commence parfois par me poser la question « Mais que diable pondre sur une telle photo ? », puis découvre à chaque fois la surprise délicieuse et troublante de voir émerger quelque chose, presque toujours loin de mes préoccupations quotidiennes, ou alors proche, mais sous une lumière inédite.

Cette fois, j’ai envisagé une sorte de duo entre un geste primitif, fondamental, et des illustrations presque miniatures du comportement humain de notre ère. Seulement, cette fois il prend des dimensions qui exigeront, soit de l’abréger férocement, soit d’en faire autre chose, ailleurs. Par fidélité à mon engagement (sans mérite, car c’est moi qui m’enrichis en le respectant), je mets quelques fragments en ligne. Allez minuit, retiens-toi le temps que je le mette !

Des pierres et des hommes

La première pierre est enchâssée dans la terre, émergeant à peine. Je l’en détache, mes doigts servant de levier. Sa forme reste derrière elle comme un demi-œuf en creux. Je la soulève à deux mains.

Eglise St Jean-Baptiste de la Salle, Paris. Dans le groupe d’endeuillés devant la double courbe des marches qui montent à l’église, Philippe l’aperçoit mais hésite. Est-ce Adrienne ? Ayant été jeunes collaborateurs sur un livre, ils ne s’étaient retrouvés que des décennies plus tard. Il était sûr qu’elle avait alors dû, comme lui, chercher le visage familier sous la charge des années. Mais allez, c’était fait. Le vieillissement qui déguise et déroute était reconnu une fois pour toutes.

Pourtant, ces quelques années plus tard, le doute est revenu. Il faut à nouveau examiner de loin ces traits, les aligner avec ceux de la jeune puis la moins jeune femme. Plus ou moins décidé, il avance vers elle. Entre les deux personnes avec lesquelles elle discute, Adrienne le voit. Une fraction de seconde elle laisse repartir son regard, puis il revient sur lui. Elle dit « Tiens ! ». Autant qu’un signe de reconnaissance, Philippe y voit l’intention de gagner encore une fraction d’instant. Ils viennent l’un à l’autre, se penchent, s’embrassent, avec le sérieux qu’exigeait la situation, mais dans un soulagement presque rieur. Philippe et Adrienne se reconnaissent, au moins cette fois-ci.

Nous prenons une pierre dite « à deux hommes », car il faut être deux pour la manier. Nous la plaçons.

La Civette, Soissons. Le gamin me regarde, moi Dylan, à la sortie du tabac. Je porte mon pantalon large à treillis, mon débardeur noir avec un aigle et plein de mots en anglais en courbe au-dessus de sa tête, mes chaussures conséquentes, peut-on dire. Je tire sur ma cigarette, la tenant entre le pouce et trois doigts, comme un pied de verre à vin. Je tire comme si mes poumons ne pouvaient respirer que cette fumée. Le gamin m’a attendu dehors. Il me regarde, dans ses yeux une affamante aspiration à faire comme moi, à avoir mon air, à m’être. Je tire sur son regard comme sur ma cigarette, mais ne le retourne pas. Allez, petit con, on y va ?

La deuxième rangée se pose, épousant la première. Elle suffit pour identifier ce que nous ne savons pas encore appeler un mur.

Clos du Phénix. Je tire l’ongle de mon pouce à travers mes lèvres. Dans ce visage bouffi par la mousse à raser, elles en sont dégagées. C’est le même geste que je voyais faire mon père lorsque toute la famille partageait une chambre pendant les vacances de bord de mer. La sensation est trouble. Malgré nos différences et différends, nos distances et incompréhensions durables, tous mes efforts pour m’en séparer et distinguer, pour être un autre homme, me voici lié à lui par ce geste. Il est banal mais, en le reconnaissant comme le sien, j’en fais une partie de mon héritage paternel, mon patrimoine.


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Par un effet de papier plié, ou collage, ou peut-être l’utilisation d’un logiciel, ce visage de femme est présenté « autrement ». L’image est artistique, c’est-à-dire qu’elle traduit une vision d’artiste, et change le regard de celui qui la voit, pose la question de savoir de quoi est fait un visage, comment il est composé. Regardons-le.

Ce qui ne se voit pas est la légende qui l’accompagne sur une affiche dans l’exposition actuelle à la Bibliothèque, et qui la rend choquante. Nous sommes loin de l’art pour l’art. Au dessus de cette tête, on peut lire « Tout commence par des cris, et ne doit jamais finir dans un grand silence. » L’exposition s’appelle « Violences conjugales » et retrace les différentes campagnes de prévention depuis 1989.

Les images mensuelles de Marque-pages Soissons font souvent appel à la beauté, la nostalgie, l’apaisement. Que faire de celle-ci, qui éveille d’autres émotions ? Se révolter, avoir peur, ou s’y reconnaître ? Attendons les réactions.

L’exposition « Violences conjugales » se poursuit jusqu’au 3 mai.

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brocanteLa reine Beatrix des Pays Bas est née un 31 janvier. La nation fête pourtant son anniversaire le 30 avril, « Koninginnedag », la journée de la Reine. De tels écarts entre les faits et les gestes marquent une monarchie. Rois et reines, princes et princesses, des personnes comme tout le monde, en deviennent des personnages de conte de fées.

« Conte de fées » : l’expression sert dans la presse de papotages pour décrire n’importe quel événement dans le beau monde de la noblesse et la royauté, même chez les souverains longtemps déchus et les nobliaux employés dans les assurances.

Le propre d’un « vrai » conte de fées, pourtant, loin des mondanités à titres ou à particules, est de fasciner les enfants qui l’écoutent, jusqu’à susciter « la suspension volontaire de l’incrédulité » selon le terme du critique anglais Ruskin.

Les sujets de Sa Majesté néerlandaise rentrent dans ce jeu, attribuent quelque chose de magique à sa famille, acceptent d’y voir, non pas des individus, mais des porte-valeurs. La Reine distille l’essence de la nation, au point que, non seulement son anniversaire devient la Fête Nationale, mais n’a même pas besoin de correspondre à la réalité de l’état civil. Les républicains y verront une confiscation mystifiante et déresponsabilisante de la « res publica », la chose publique, qui appartient au peuple au-delà des régimes et gouvernements.

Les contes de fée transmettent des vérités sur les périls et aventures de la vie, à des enfants trop jeunes pour la pensée abstraite et intellectuelle. Pour les monarchistes, la royauté, de la même façon, porte une vérité si profonde sur le contrat national qu’il vaut mieux la faire passer par un mythe. Dans cette perspective, la reine Beatrix donne un sens au fait d’être néerlandais.

Venons-en à la brocante. Les Néerlandais ne tiennent que modérément aux cérémonies grandioses : certes le 30 avril sera marqué par des visites royales et des discours, et les sujets s’adonneront à une débauche d’orange, la couleur dynastique, sous forme de guirlandes et banderoles, ballons, tee-shirts, même perruques. Mais la journée est avant tout l’occasion de la traditionnelle brocante sur tout le territoire. De la mer du Nord aux frontières allemandes et belges, tout le monde peut étaler sa camelote sur les trottoirs. Il y a de ces affaires ! Deux bougeoirs en laiton, une clochette cachée dans la base pour appeler notre nombreuse domesticité, en sont la preuve chez moi. A cinquante centimes la paire, qui dit mieux !

Il reste que Jan, Ineke, Geertje et Jeroen, en se débarrassant de leurs vieilleries dans un élan national, et pour des sous, jouent autant un rôle dans un conte que Cendrillon, le Petit Poucet, Barbe-bleue ou la Belle au bois dormant.

 

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soleil-royal1Pour accompagner l’exposition d’une maquette du “Soleil royal” de René Bizet à la Bibliothèque.

Je suis né sur une île qu’une autre, plus grande, tenait à l’écart de la terre ferme continentale. Ferme ? Oui ; les îles, si solidement ancrées qu’elles soient au sol, gardent quelque chose du flottant. Comme un navire, elles sont encerclées par la mer, qui les câline ou se jette rageusement sur elles. Comme sur un navire, le nécessaire est à bord, fait sur place ou apporté d’ailleurs. Comme pour un navire, tout commence et s’arrête dans leur périmètre : qu’un fleuve comme le Rhin naisse dans un pays, traverse un autre, puis termine son cours dans un troisième reste difficile à imaginer.

Les îliens, comme l’équipage d’un navire, se regardent, chaque jour de leur long vivre-ensemble forcé. Cela intensifie les rapports, générant de féroces loyautés et de furieuses inimitiés. Les relations se tissent partout, car tout le monde est à portée ; les conflits sont atroces, car personne ne peut se sauver.

Comme les marins sur un navire resté au large, ils ne le quittent qu’en empruntant un bateau de servitude. J’en sais quelque chose : en partant vers l’île voisine, puis le continent, d’abord pour les explorer et ensuite pour y vivre, je me suis engagé dans un entrelacement de traversées sur toutes les routes possibles entre l’Irlande, l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galles, la France, la Belgique, les Pays Bas.

Les voyages entre les îles étaient souvent de nuit, comme si on économisait la lumière de jour en faisant passer les bateaux dans l’obscurité. Entre l’Angleterre et la France les traversées, plus courtes, avaient lieu de jour : on aurait dit que chaque pays craignait un mauvais coup de l’autre.

Entre Liverpool ou Heysham et Belfast, comme entre Holyhead au nord du Pays de Galles et Dun Laoghaire près de Dublin, ou entre Fishguard au sud du Pays de Galles et Rosslare au sud-est de l’Irlande, ou entre Swansea sur la côte sud du Pays de Galles et Cork sur celle de l’Irlande, les traversées tenaient de l’apocalyptique. Le ferry étant bondé, des familles s’installaient pour la nuit jusque dans les escaliers, les mères veillant sur les petits, alors que les hommes erraient bruyamment, se saoulant à la bière brune. Ici et là ils glissaient sur les flaques de vomi laissées par ceux qui n’étaient pas montés assez vite sur le pont. Là-haut c’était réservé aux gaillards avec le pied marin, aux amoureux, et à ceux, dont je faisais parfois partie, penchés sur les bastingages et regardant le contenu de leur estomac s’éparpiller vers la houle noire. Le matin nous descendions tremblants sur le quai.

Entre Douvres ou Folkestone et Calais, Boulogne ou Ostende, l’ambiance était plutôt vacancière, les uns s’aventurant vers la langue des autres. Dès que l’horizon cachait les falaises blanches douvraises ou la plate côte calaisienne, une préoccupation était d’acheter des produits détaxés. Hors saison nous étions peu nombreux sur les ponts vides et parmi les rangées de fauteuils inoccupés des salons.

Ma route préférée allait de Dieppe à Whitehaven, plus longue mais qui nous faisait partir le long des cafés français du port, et nous déposait au bord de la campagne anglaise.

Avec les années, les paquebots bruts constellés de boulons à la peinture épaisse se transformaient. Le formica cachait le maritime. Le coin des détaxés devenait une supérette. Le navire s’ouvrait à l’avant ou l’arrière comme la bouche d’un poisson pris au filet, pour laisser entrer et sortir les voitures. Nous ne montions plus la passerelle, nous conduisions. Seule la mer n’a pas été modernisée.

Chaque voyage a laissé ses traces. La fièvre du voyage faisait souvent bondir mon esprit, mais la mémoire retient les embûches. J’embarquais avec un fils encore en poussette, sous des regards admiratifs (un père seul avec un bébé, vous vous rendez compte), lorsqu’au premier balancement il a eu un haut-le cœur volumineux sur sa salopette. Comme ce même tressaillement me titillait l’estomac et faisait déjà transpirer mon front, nous avons fait le voyage dans une cabine offerte par une bonne âme parmi le personnel de bord.

Le plus cuisant souvenir vient d’une traversée de jour de Larne au nord de Belfast à Stranraer en Ecosse où, jeune adolescent, je rejoignais une cousine pour des vacances. A mi-trajet, je ne trouve plus mon billet. La panique me prend dans ses griffes. M’adresser au commissaire de bord ? N’y pensez-pas ! J’annone le Notre père pendant le reste du voyage. A l’entrée du port je me souviens que les billets avaient été pris au départ. Y a-t-il un Dieu pour les îliens, qui aurait revu les formalités rétroactivement pour me secourir ?

Après cette multiplicité de traversées de la mer, un jour j’ai pris l’avion. De voyageur je suis devenu passager. L’air vide a remplacé la mer mouvante.

Je resterai îlien, parfois soudain conscient d’un bras de mer à traverser pour retrouver l’autre. Sur une île, les espoirs et les désespoirs tournent et se retournent, s’aigrissent ou s’alanguissent. Une île est un bateau mais, comme le vaisseau fantôme du Hollandais damné, elle ne peut jamais faire escale dans un port voisin.



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lieval-re1En contrebas d’Ambrief, village aux allures médiévales au dessus de la vallée de la Crise, l’histoire humaine a été interrompue. Le hameau de Liéval, construit près du cours d’eau qui justifiait son existence, a été anéanti par ce qui en Picardie reste « la Grande Guerre », celle de 14-18. La Reconstruction (mot qui prend une majuscule en Soissonnais) l’a contourné, et aucun habitant n’y est rentré de la guerre. Une entrée de cave par ici, un pan de mur de champ par là sont seuls témoins de ce passé.

Poser une pierre sur une autre, geste fondateur des établissements humains, mais que l’histoire peut balayer : un thème, ou déclencheur, pour des écrits de ce mois.


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soleil-royalEn 1669 un bâtiment de guerre particulièrement superbe par ses lignes et couleurs et équipement, devenu plus tard le « Soleil Royal » et vaisseau-amiral de la flotte du Ponant, est lancé à Brest. En 1692 il échoue et est brûlé par les Anglais et les Hollandais près de Cherbourg.

La construction avait duré deux ans. René Bizet, conducteur de car en retraite, a passé autant d’années à construire une maquette, actuellement exposée à la Bibliothèque.

Toutes voiles dehors au milieu des livres, ce « Soleil Royal » mettra le feu aux imaginations sensibles aux voyages en mer, aux vents et aux voiles qu’ils gonflent, aux accalmies plates, aux batailles, à la vie rude des matelots de la Royale. Les récits, comme les commentaires sur la maquette, sont attendus de pied marin.


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steradent3Sans le savoir, sans le vouloir, les personnes âgées peuvent être adorables. Comme les bébés, elles émeuvent par leur lutte pour relever les défis du monde, qui dépassent à présent leurs capacités. Innocents ou avisés, les efforts font des deux des Sisyphe, condamnés tous les jours à faire face.

Cela n’autorise pourtant pas à pousser des oh ! et des ah ! de tendresse comme devant une poussette. Les vieux portent le respect qu’ils ont gagné en suivant l’arc qui mène de l’enfance à la vieillesse. Que le trajet ait été brillant ou médiocre, épanouissant ou pénible, une vieille personne arbore une médaille d’or autour du cou, décrochée haut la main dans les championnats de la survie.

Devant moi à la caisse, la dame attire mon attention en vidant le petit contenu de son chariot. Elle se penche, faisant penser à un enfant qui s’appuierait sur la clôture de son parc pour récupérer son nounours et un camion-benne, au risque de basculer et se trouver de l’autre côté, les jambes en l’air.

La différence entre elle et un enfant est la dignité accumulée qu’elle conserve en toutes circonstances. Il ne lui manque en ces circonstances qu’un compagnon plus élancé pour lui tendre les articles.

Je surveille sans vergogne ses provisions - quoi ? le client suivant examinera les miennes, mélange de l’essentiel et du superflu, du banal et du bizarre à ses yeux. Ma dame (drôle comme un seul espace fait passer du poli au familier) a pris deux pâtisseries à la crème. Même le couvercle en plastique ne cache guère le gras industriel effronté. Elle a un autre gâteau, le même en plus grand diamètre.

Aime-t-elle les sucreries, ou prévoit-elle un goûter partagé, avec une voisine ou amie ? Le questionnement peut paraître oisif, mais il signifie que je quitte mon poste d’observateur et, comme un chien qui a volé une guirlande de saucisses, cours chercher un coin retiré où je peux plonger les dents de l’imagination dans la matière. Il ne s’agit plus de tirer des conclusions sur son mode de vie, sa situation, travail d’un sociologue ; mais de faire d’elle un personnage. J’esquisse déjà un contexte, même un titre. Ma petite dame du supermarché devient non plus périphérique mais centrale pour moi. Qu’est-ce que je vais raconter sur elle ? C’est sûr, elle sera transformée. Le sens de sa vie sera, non pas le flou dans lequel tant de gens se lèvent le matin résignés ou bondissants, mais un trait de lumière qu’elle suivra vers un destin - sombre ou radieux, je n’ai pas encore décidé.

Le chariot est vide. Non, pas complètement. Elle ramasse le dernier article, une boîte de Steradent. Je reviens aux réalités. Un regard soutenu mais discret pour voir si le dentier est dans sa bouche ou dans celle d’un tiers absent d’ici. Elle ne sourit ni ne parle. Un air de devoir se suffire à elle-même fait penser que c’est elle qui aura les joues rétrécies et les lèvres ridées au lit.

Voilà deux regards, l’analytique et le fantasmé. Lequel la respecte le plus (les deux sont également bienveillants) ? Faire d’elle l’objet d’une enquête sociologique ou la mettre dans une histoire ? D’une part, l’espionner comme un privé faisant la chasse aux signes (comment aurait-elle mordu le cambrioleur si ses dents étaient dans un verre pétillant sur la table de chevet ?) ; d’autre part, la faire résonner à son insu dans une cérémonie qui relève du sacré, par la recherche de l’incendie sous la surface lisse du quotidien ? La façon de poser la question donne la réponse. Si je vais plus loin dans cette affaire, je ne décrirai pas la dame au caddy, je l’écrirai.

 

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Pour accompagner l’exposition de photos venues du Foyer thérapeutique de Soissons (voir “Le choix des yeux”).

Dans notre projet, la page de gauche allait montrer chaque fois deux yeux fixés sur le lecteur. Le texte d’accompagnement se trouverait sur la page de droite. José-Mario, jeune peintre arrivé à Paris avec la foule de réfugiés chiliens après le coup d’état de 1973, dessinerait ces paires d’yeux. J’écrirais les textes, en décrivant ce que les yeux regardaient. Scènes tendres, familiales, amicales ; tristes, mortifères, désespérantes ; passionnelles, amoureuses, lubriques ; violentes, sanguinaires, atroces.

Les images présentées dans ces écrits seraient donc inventées à partir de ce qu’exprimait chaque regard. La réalité était hors sujet : l’imagination s’efforcerait plutôt de sonder une (non pas « la » !) vérité, ou disons, plus modestement, une vraisemblance.

C’est un exemple extrême, où le cerveau crée tout. Son contraire est le regard d’un sage, un être éclairé qui ne voit que ce qui est, c’est-à-dire tout, rien de moins - ni de plus.

Entre les deux, la plupart d’entre nous mélangeons la réalité de ce que nous voyons avec ce à quoi il nous fait penser. Un enfant dans la rue n’est pas le même dans les yeux de ses camarades, d’une femme enceinte, d’un passant pressé, de sa mère. Moi je ne peux le regarder sans que des souvenirs de mes propres enfants parasitent ce que je vois, le nuancent, l’enrichissent, le diminuent. Chacun dose ainsi les images qu’il enregistre.

Selon l’investissement affectif, la prise sur la réalité, elles s’en rapprocheront ou s’en éloigneront. Que dire du chaos qui filtre ce que voit quelqu’un dans un état psychotique, l’exilant de cette réalité ? L’atelier photo du Foyer thérapeutique tente d’y parer en mettant un appareil photo devant l’œil. Tout d’un coup il cadre le regard, met une distance apaisante. Non seulement l’objectif mais aussi le regard font une mise au point. Pour Philippe Potier, animateur de l’atelier, la photographie aide une personne perturbée à « voir la même chose que tout le monde ». La formule est encourageante, même si, je dis, tout le monde voit sa propre chose.

Notre vieux projet devait aboutir à un livre, « Ce que ces yeux voient », que nous envisagions d’autant plus librement qu’aucun éditeur n’était en vue. L’intention n’a pas survécu au déclin et à la chute de l’amitié. Je ne sais pas si José-Mario est à nouveau au Chili.


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