Archive pour la catégorie “Récits de Denis”


steradent2Le printemps s’approche. Bientôt, sa lumière fera renaître la nature et allumera les regards portés sur elle. En l’attendant, c’est un éclairage de supermarché soissonnais qui illumine ce chariot et son contenu.

Que faire en écriture de cette image ? C’est la question à laquelle pourront répondre les auteurs au mois du printemps.

 

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“Meneuse de revue”, “Arbre lumière”, “Tournez manège”, Vélo sandwich” : les titres retrouveront aisément la bonne image. En les rédigeant, les photographes participant à un concours photo du Foyer thérapeutique de Soissons et l’hôpital de Prémontré font preuve d’à-propos, d’esprit. Ces titres ajoutent un éclairage qui renforce ou détourne le sujet.

Mais ce qui importe, à part la maîtrise technique de ces photos, exposées actuellement à la Bibliothèque de Soissons, est le choix opéré par les yeux des photographes. Il faut imaginer leur regard à la recherche d’un sujet, paysage, créature ou objet qui vaut la peine - ou qui vaut la joie - qu’ils le fixent avec l’objectif.

Philippe Potier, animateur de l’atelier, explique l’utilité pour des patients psychiatriques. « Dans le cas des personnes psychotiques, la photo les aide à retrouver une réalité, à voir la même chose que tout le monde. »

De nombreuses photos sont “poétiques”, c’est à dire saturées de sens, dépassant le documentaire pour atteindre l’émouvant. Serait-ce l’occasion pour nos auteurs de se tourner vers la poésie pour traduire leur réaction à cette exposition ? Ou de considérer la réalité que nous partagerions dans la photographie ?

L’exposition est ouverte jusqu’au 12 mars.

 

 

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J’ai changé cet écrit, publié le 31 janvier, car il s’arrêtait trop brusquement. Je voulais éviter une conclusion facile, positive ou négative, mais ne pas conclure du tout n’était pas la solution. Voici un essai différent.

La vitesse de la lumière est le temps qu’il faut pour que ce qui se voit fasse sens.

Cognée par la tête de son père se penchant sur lui avec tendresse, l’ampoule se balançait d’un côté à l’autre, une boule de lumière au milieu des urgentes ombres qu’elle faisait galoper sur les murs. Trop petit pour comprendre pourquoi, l’enfant Ernest allait toute sa vie avoir peur de cette alternance brusque de l’obscurité et de la lumière. Il s’y cachait la trace de doute qui accompagnait sa certitude que son père l’aimait.

lumiere-21Il avait une sainte terreur des feux d’artifice de fin d’été au bord de la mer. Sa mère supposait une crainte des fusées, dont l’une était tombée un soir sur le manteau d’une spectatrice hystérique derrière eux. Ernest lui-même n’aurait pas pu dire la raison : l’éclat des étincelles sur le ciel noir l’atteignait au-delà de la parole.

Il mena sa vie d’enfant, d’adolescent et de jeune homme de façon à éviter des écueils pareils, sans oser scruter ce gouvernail qui dirigeait sa barque. En fait, « oser » n’est pas le mot, car il ignorait le défi. Sa peur étant sourde, elle n’entendait pas la raison.

A sa première sortie avec une jeune fille blonde, alors que la conversation se détendait et que leurs corps faisaient connaissance en dansant, un stroboscope se mit en route. Ernest fit semblant de devoir vomir. Il étouffa son haut le cœur dans un mouchoir jusqu’à l’arrêt de la vibration lumineuse. Dommage que ce fût à leur premier rendez-vous : la fille était trop belle pour être prévenante avec les nouveaux soupirants. C’était à eux de se prouver dignes, avant d’être attachants. Elle passa son chemin à béguins.

Dans un rêve récurrent, Ernest dévalait un couloir d’hôpital. D’un côté un mur, de l’autre une série de portes de chambre ouvertes. Un bloc de lumière tombait de chacune, ponctuant la relative obscurité du couloir. La lumière cachait au lieu de révéler la saleté dans les chambres, l’obscurité lui touchait la peau comme une créature gélatineuse. L’ambiance se résumait en un mot : obscène.

Marié, Ernest avait un besoin grandissant d’éviter de tels phénomènes, même de s’en approcher. Ils n’allaient pas au cinéma. Il fut d’humeur exécrable le premier Noël des jumelles, tant qu’on n’avait pas éteint les guirlandes qui scintillaient sur le sapin.

Sa femme observa ses angoisses, mais il n’y permit aucune référence. Une nuit, elle alluma sa lampe pour voir le réveil et l’éteignit aussitôt. Ernest hurla comme une bête blessée à la chasse, puis se mit en colère à propos d’autre chose pour couvrir son désarroi ainsi trahi.

Ils roulaient vers la mer. Les enfants piaffaient sur le siège arrière, et se mirent à crier lorsqu’une dépanneuse arriva en face, dans une débauche de clignotement de feux. Plus tard, Ernest se souvint d’avoir été envahi par une soudaine et vaste tristesse qui l’assourdit, ses membres, ses mains. La voiture quitta la route, rebondit sur la barrière, traversa la chaussée, se cogna contre un réverbère et se retourna sur le terre-plein central.

L’équipe de secours les sortit. Une des filles sanglotait dans les bras de sa mère, qui avait du sang dans les cheveux. L’autre ne pouvait pas pleurer. Ernest la tenait. Les ambulances s’approchèrent. Pour la première fois de sa vie, il vit, avec une clarté limpide, l’horreur qu’inspirait le gyrophare. Il se mit à pleurer, si longtemps qu’il sanglotait encore à l’hôpital, où il attendait des nouvelles des deux blessées.

« Vous pouvez voir votre fille, Monsieur. » Ernest suivit le médecin, devant les portes des chambres, les fermées et les ouvertes. La luminosité était uniforme.

Après, il put parler à sa femme de ce qui s’était passé, seulement du « quoi », car le « pourquoi » était trop enfoui. Ce fut néanmoins une première poignée de terre arrachée au barrage qui bloquait le cours d’eau et faisait un désert de toutes les terres en aval. La conscience cligna dans la nuit.

La suite pour Ernest ? Allait-il admettre un possible doute dans ses certitudes premières ?

Selon un témoin, une lente acceptation de sa fragilité, la vie avec ses enfants qu’il voyait à leur tour se dissimuler leurs peurs les plus tenaces, l’aidèrent, non pas à balayer les effets du mal, mais à vivre avec, à éviter au lieu de fuir les affrontements. Le rêve se mua en exploration du couloir : au mieux, il y voyait un défi salutaire, regardait dans les chambres, toujours vides, toujours propres.

Mais d’après une autre source, l’expérience exacerba sa peur. Il en fut progressivement écrasé, et devint inapte à la vie quotidienne. Il aurait fini seul dans une chambre d’institution, où la lumière restait éclairée nuit et jour. Aplati par sa tristesse, il ne réagissait à rien, sauf lorsqu’un nouveau directeur, épris d’économies d’énergie, fit éteindre sa lumière. Après quatre heures de hurlements rauques, elle fut rallumée.

La vitesse de la lumière est le temps qu’il faut pour que ce qui se voit fasse sens. Mais une vie humaine est souvent trop courte pour accommoder le processus.

 

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Pour accompagner l’exposition d’affiches de la Ligue des droits de l’homme à la Bibliothèque de Soissons.

Voyez-vous, j’ai fait le don de ma vie au Seigneur. En retour, il m’a ouvert Sa maison, qui s’appelle l’Amour éternel. Je m’y suis installée avec Lui, et avec mes sœurs en Christ. Elles ne sont pas faciles à vivre, mais le Seigneur veille sur nous, jetant le large châle de Son amour sur nos conflits, nos angoisses.

Mon père était brutal, mais ne nous a jamais frappés. Je vous donne un exemple. On me disait toujours d’attendre d’être grande avant de songer à entrer dans les ordres. Le jour où je suis devenue grande, et où je m’étais enfermée dans la salle de bains, il a voulu entrer. Je pensais longuement, en regardant le sang, au Sacré Cœur de Jésus, quand il a fracturé la porte avec son épaule en hurlant. Il a appelé ma mère pour me punir…. cliquez sur le titre pour lire la totalité du texte.

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Washington, Lincoln, Jefferson, j’avais fait la tournée de leurs monuments, et ouvert de grands yeux sur le Capitole et la Maison blanche. Je pouvais continuer le circuit du parfait jeune touriste. Mais une affiche annonçait une excursion en Virginie, aux Blue Ridge Mountains. Ces « monts de la Côte bleue » étaient chantés jadis par… Laurel et Hardy, sur une de ces mélodies américaines qui, comme celles de Mozart, semblent être composées dans la tête de l’auditeur. J’ai acheté mon billet.

Le car est plein d’Américains goguettes, sociables, curieux. Nous arrivons dans une petite banlieue où l’itinéraire prévoit une visite de grottes. Je choisis de m’en passer. Je voudrais connaître la surface de l’Amérique avant de m’enfoncer en dessous.

Chacune des petites maisons en bois a sa véranda sur laquelle les gens prennent l’air, assis dans les fauteuils de rotin comme au cinéma.

Repartis, le guide nous fait regarder à l’ouest. « Loin là-bas, juste hors de vue… »

… Hé, attends une minute ! Et les chats qui devaient inspirer cet écrit ?

J’aurais pu revoir mes multiples chats, du petit noir qu’enfant j’appelais « Encré », passé chez nous se changer les idées, puis rentré vite à la maison – pas assez vite, car j’en étais tombé raide amoureux – à l’actuelle Lulli, juste assez siamoise pour aimer bavarder par miaulements.

J’aurais pu refaire un ancien écrit, où un matou des jardins s’apitoie sur la vie rangée de sa copine chez une vieille demoiselle, puis la voit passer devant la lune, perchée à l’arrière d’un balai, sa maîtresse aux commandes.

J’aurais pu aussi jouer sur ce que laisse entendre l’image, la suffisance des acceptés, l’attente inquiète des exclus.

Comment choisir ? Je laisse venir des sensations. La vie est jonchée des cadavres de nos expériences, dont les souvenirs sont des photos jaunissantes. Une fonction de l’écriture est de les sortir et les restaurer. Cela ne veut pas dire rendre l’original. La restauration comble les trous, hausse les couleurs, sans que l’exactitude ne soit un impératif (une préoccupation quand-même – je pensais à des familles noires sur les vérandas de Virginie, mais soupçonnais un faux souvenir).

Le processus est séduisant, et dès que je lorgne ma mémoire une foule de souvenirs m’assiège. Un casting fiévreux s’engage.

J’écarte les chats et les réflexions. Je suis happé par un mot, un nom propre qui distille la grandeur territoriale de l’Amérique, son passé coloré et saccadé, sa capacité à laisser les sentiments s’étaler sans tomber dans la sentimentalité. En le murmurant j’ai une sensation épidermique qui confirme sa puissance.

Un élément de l’épisode avait été l’émerveillement de me trouver, moi, dans ce monde que je fréquentais assidument au cinéma. Revenons au guide : « … juste hors de vue, là-bas, il y a un fleuve, le Shenandoah. »

C’est aussi une chanson avec laquelle j’ai endormi mes enfants : « Ah ! Shenandoah, j’aime ta fille, loin, loin, tu t’écoules ; ah ! Shenandoah, je brûle de te voir, au-delà du vaste Missouri. » Je finirai l’année différemment – différent même – pour avoir sorti cette image de la boîte à chaussure des souvenirs.

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Le professeur Beugle-Miaule avec son dernier ouvrage.

Le professeur Beugle-Miaule avec son dernier ouvrage.

En exclusivité pour les jeunes lecteurs de Marque-pages Soissons, un spécialiste des langages animaliers retrouve, avec notre correspondant sur place, l’attelage du père Noël.

Enfant, il se passionnait pour la communication avec les animaux. « En quittant ma vallée natale de la Crise, je balbutiais déjà le moutonnais, me débrouillais en renardais et surtout parlais couramment le chatois. » Devenu célèbre, le bien-nommé professeur Beugle-Miaule, de retour au pays, s’accroche avec moi à une souche de cheminée au dessus de l’Hôtel de ville. Il trépigne : « M’essayer enfin au rennien ! » Minuit sonne à la cathédrale. Un tunnel d’air scintillant s’ouvre entre les flocons de neige. Dans un formidable vacarme de sabots et de clochettes, le grand traîneau vient se poser.

Saluant à peine le père Noël, le professeur s’adresse aux huit grands rennes, qui tressautent en l’entendant. Or le rennien consiste principalement en petits hennissements et grands soufflements par les narines. Le professeur s’y emploie bruyamment. Un renne répond. La traduction m’est soufflée par le professeur.

« Bonsoir les rennes. »

« Bonsoir l’humain. »

Ils brassent les sujets, tel le tour du monde en une seule nuit. Soudain le renne s’offusque, secoue la tête en faisant tinter son harnais.

« Quoi ? » je chuchote.

« Il n’aime pas que je le traite d’accessoire de Noël. »

Le renne pérore : « Loin d’être accessoires, nous sommes au cœur de la fête. Le Patron tient bien les « rênes », n’est-ce pas ? Que tirons-nous, d’ailleurs, si ce n’est pas un « t’renneau » ? Tout le monde fait des « ét-rennes » en ce moment. Enfin, tous les rois de France n’ont-ils pas eu leur « renne » ?

Mais le père Noël est déjà de retour, une trace de suie au front, la hotte marquée « Soissons » vide. L’attelage repart.

« Souffle trois fois par le nez, et hennis » m’ordonne le professeur. Tous les rennes font plaisamment de même, et partent vers le ciel au galop.

Le professeur sourit. « Félicitations ! Vous savez dire « Joyeux Noël » en rennien. »

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Pour accompagner l’exposition « Mille et une nuits »

Les pages de papier épais, rêche comme du carton bouilli, s’effritaient aux bords, ne tenaient à la couverture que par quelques fils. Avant de nous envoyer au lit, mon frère et moi, dans une des deux chambres louées à l’étage, ma mère sortait ce livre. Nous étions dans la pièce qui nous servait de séjour, de salon, de bureau, de salle de jeu. La famille propriétaire occupait le reste. Nous y étions évacués. Mon père nous rejoignait du vendredi soir au lundi matin.

Elle s’installait dans un fauteuil, ou plutôt se perchait sur le bord. Nous nous calions autour, moi près au point de la gêner, en exerçant mes droits de cadet.

Elle sortait aussi son tricot, et ses doigts partaient dans cette course folle dont ma mémoire s’émerveille encore. Elle ne s’arrêtait que pour tourner la page.

C’était un recueil de contes de fée. Ils n’étaient pas longs, mais n’abrégeaient surtout pas les histoires. Cendrillon allait trois fois au bal, la sorcière venait trois fois tenter Blanche-Neige.

Ma mère nous en lisait plusieurs chaque soir, en terminant par le préféré de mon frère, « Jacquot tueur de géants », et le mien, « Petit Poucet ». Puis nous montions au lit.

Nous connaissions ces contes par cœur : nous n’aurions pas pu les réciter, mais suivions mot à mot. Parfois elle essayait de faire l’économie d’une péripétie, mais nous protestions. C’était cette répétition qui nous rassurait dans un monde inquiétant : l’ordinaire menaçait, mais le fantastique restait familier.

Un jour, dans la terre sableuse derrière la maison, j’ai construit avec des allumettes et du fil de coton un enclos de la taille d’un petit mouchoir. A l’intérieur j’ai placardé un bout de papier sur lequel ma mère avait accepté d’écrire « Entrée interdite ». Un garçon qui passait avec ses amis, voyant la pancarte, a donné un coup de pied au tout. La leçon m’a interloqué : la parole ne détenait pas le pouvoir absolu.

Mais ! Une question s’impose ici : lisez-vous encore ces phrases ? Êtes-vous pris par ce que je raconte sur le recueil et son contexte, la pancarte dans l’enclos ? Ou êtes-vous passé à autre chose, à lire ou à faire ? Si vous êtes parti, le sortilège qu’essaient toujours de tisser les mots a échoué.

Pour Schéhérazade le danger était autrement aigu. Si l’attention de son époux venait à flancher, elle mourrait. Mais le vrai dilemme pour le Calife se posait à l’aube, quand elle s’arrêtait, interrompant sa jouissance. Il aurait pu l’étrangler (il se connaissait en violence conjugale). Mon frère et moi nous aurions pu penser à tuer ma mère si elle nous avait fait cela – sauf qu’il nous la fallait pour nous border. Seulement, sa rage aurait privé le Calife de la suite de l’histoire, et il ne pouvait pas s’en passer. La nouvelle jouissance qui attendait faisait accepter l’interruption de l’ancienne. Le pouvoir du pourtant tout-puissant Calife cédait devant la parole. Il tenait tout sous sa coupe, sauf les parcelles de mots que lui accordait Schéhérazade.

Tirez-en votre conclusion – si toutefois vous lisez encore.

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Il a plu, et les vêtements sentent plus fort : la laine du manteau d’Elle prend une odeur âcre, le coton pourtant neuf du blouson de PetiteElle sent le pas lavé. Les étincelles tombent du plafond grillagé avec un parfum métallique fruité. PetitLui et PlusPetitLui, aux cheveux toujours odorants comme des marrons chauds, se mettent en piste. PetitLui se concentre sur son volant, PlusPetitLui sur son état de passager-spectateur. Elle se penche, conseillère. Ce petit départ autonome présage de plus grands, où on ne voudra plus de ses conseils. PetiteElle joue les indifférentes devant leur audace. Lui, mon Maître, chef de cette meute familiale, nous prend en photo, pour dans vingt ans. Moi, je regarde, un lointain grognement d’inquiétude dans ma gorge. Je pourrais m’agiter, protester, énerver tout le monde, mais Lui me voit, et je tiens l’anxiété en laisse, comme il me tient souvent.

Je vois, mais avant tout je sens. Dans ma vie je sens qui c’est et où il a été. Je sais dans quels magasins Elle est allée faire ses courses. Ah, quand elle rapporte la boucherie à la maison sur ses pieds, j’en ai les pattes qui tremblotent.

« Tu m’aimes ? » me demande souvent PetiteElle, me tenant le nez à deux doigts du sien. Non, je suis un chien, je n’aime pas. J’adore. Lorsque PetitsEux reviennent de l’école, mon corps entre en transe. Je suis derviche tourneur. A travers PetitsEux, je suis en présence du grand Sacré.

Le soir, Elle me caresse la tête sous le livre qu’elle lit, et je suis presqu’en paix. La menace s’estompe. Avant de vivre ici, j’étais ailleurs. Les souvenirs, connais pas, mais ce pied qui me cognait, me soulevait en l’air, me tambourinait par terre, fait partie des circuits de mon cerveau. Toute la tendresse du monde ne l’extirpera pas. Parfois, seul, PetitLui lève le pied vers moi, rien de plus, pour le plaisir interdit de me voir m’aplatir, tête entre les pattes, un couinement aigu sortant de ma gueule. Puis il me gratte la tête, soulève mes oreilles pour faire de moi un toutou de dessin animé, les laisse tomber et met son visage, le savon du matin le parfumant encore, dans mes poils soyeux.

Quand je renifle, tout est sensible, présent et à venir. Je hume PetitsEux grandis, chacun dans sa vie d’adulte. Les succès, des triomphes même , les échecs, cuisants même , les pâmoisons et les sècheresses. PetiteElle, ce ne sera pas facile, ses engagements intrépides qui vacilleront. PetitLui, oui, il restera l’aîné. PlusPetitLui, qui l’aurait crû, lui si réservé ? Lui et Elle, je les sens prendre la grâce et la charge des années, alors que je serai depuis longtemps entre les racines du pommier.

Demain, rentrés de ces manèges de samedi, nous irons à la chasse, Lui et moi. Fini de rigoler, je suis un professionnel. Je fais mon métier. PetitsEux et Elle ont quitté le paysage, leurs odeurs rangées jusqu’au lendemain. Car là, je ne suis plus animal domestique, je suis chien espagnol, conquistador sous les ordres de son Pizarro. Je suis obéissance, je suis attention. Je suis assermenté.

Lui tire. De volant l’oiseau devient tombant, puis couchant. J’attends, nerfs tendus, l’ordre de Lui. Et je pars, dans les herbes, dans la boue, dans l’eau. J’atteins la bête qui bat ses ailes couvertes de sang, dans l’espoir de replaner dans l’air du haut. Je ne m’excite que pour l’attraper, puis je le tiens avec la douceur pour laquelle je suis sélectionné depuis des siècles.

Je rapporte le gibier, traversé encore d’un spasme emplumé. Je le pose aux pieds de Lui. Je meurs, je renais.

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Les deux mains se rapprochent, les paumes creusées, les doigts qui se touchent. Elles se joignent pour former une coupe.

L’homme de l’image – la fumée de poils le long de ses avant-bras montre que c’en est un – ne garde pas son bol pour lui-même, comme il le ferait en portant de l’eau à la bouche. Il le tend, avec le geste généreux d’un enfant offrant à sa mère des têtes de fleurs arrachées, ou d’un amoureux rapportant des fraises des bois à son amie.

Seulement, ses mains tiennent des vers, se lovant dans leur compost, perturbés d’être exposés à l’air et à la lumière. Derrière se distingue le tas d’où ils ont été extraits, avec en profil la fourche qui a pu servir pour le faire.

L’image déroute, mais ne dégoûte pas.  A la différence des araignées, des bestioles avec bien trop de pattes qui bougent bien trop vite, des limaces baveuses, des grosses mouches irisées, les vers de terre ne génèrent pas de répugnance,.

Pires que tous, quoique cousins en apparence des braves vers, sont évidemment les asticots, se tortillant autour de toute chair qui pourrit.

J’avais passé une nuit dans un gîte de l’Himalaya, sur une des banquettes disposées autour d’un foyer central sur lequel brûlait en permanence, pour notre confort d’Occidentaux, des troncs d’arbre tordus arrachés à la montagne. La veille j’avais mangé la moitié de la boulette d’opium achetée au lac de Poqqara en bas. Je voulais marquer cette nuit, que je passerais plus haut que toutes les autres de ma vie sur terre. Les quelques crampes dues à ce mode de consommation de non-fumeur n’atteignaient en rien le bizarre calme attentif de mon insomnie. Je regardais de temps en temps ma compagne de route, avec un détachement total mais bienveillant. Le lendemain je la quitterais pour redescendre en plusieurs jours vers la plaine. Prudent, je finirais la boulette avant de passer la frontière indienne.

Les toilettes – terme bien raffiné, vous verrez – se trouvaient dans une grande cabane de bois. J’ai ouvert la porte. Un vaste trou, en travers duquel étaient posées plusieurs paires de planches (une paire par utilisateur), m’attendait. Pour s’en servir, il fallait avancer avec précaution, un pied sur chaque planche élastique, baisser son short et s’accroupir. Je me suis exécuté, en me concentrant.

La curiosité s’est réveillée. J’ai regardé la lumière de l’aube dans les interstices de la cabane. Puis j’ai jeté un coup d’œil sous moi. Loin, loin en bas, le fond du trou bougeait comme une soupe qui frémirait dans un faitout. Ce qui aurait dû être une couche, certes peu ragoûtante, d’immondices, pullulait d’asticots affairés à bâfrer ce que nous leur servions d’en haut.

Imaginer que je pouvais glisser en me relevant et les rejoindre m’a plus marqué, alors et depuis, que toute vision artificielle apportée par l’opium.

C’est un soulagement de revenir à ces mains portant des vers. Quelle différence ? Un guide-composteur de ma connaissance explique que le compostage ne dépend pas d’une quelconque pourriture carnée, mais constitue une saine transformation. Les vers renouvellent ce qui est mort, en font un lit où une vie nouvelle peut naître.

Pourquoi l’homme les enlève-t-il à leur occupation ? Mais voyons, pour essaimer un nouveau tas, loin de ce jardin picard.

Il reste le geste. Depuis d’innombrables millénaires, depuis qu’il a des mains, l’être humain en fait un récipient, pour contenir ce qui compte pour lui. Et si le Graal, écrin ultime de pureté et de grâce, au lieu d’être le vulgaire vase qui inspire tant d’épopées magico-aventurières, se trouvait dans ce calice de chair et d’os ? Dégagé de son attirail figuré, le Graal serait, littéralement, entre nos mains.

* Chanson de Reynaldo Hahn, 1888

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Les collages de Colette Viet à la Bibliothèque inspirent cet assemblage de phrases découpées dans des textes déjà écrits pour ce blog (seule la dernière provient d’un écrit écarté), et collées ici. Le sens ? Plutôt dans les couleurs que dans la logique.

Le jour émerge de la nuit sur nos jardins, avale les ombres, et fait croire à la bienveillance lumineuse. J’étais le soleil, tu étais la lune. Nous dansions dans la moiteur indienne, mes bras tendus en haut pour dominer le jour, les tiens en bas pour accueillir la nuit. C’était sublime, c’était ridicule. Les mots allaient donner des couleurs subtiles au récit, comme les jacinthes bleuissent les sous-bois, puis soudain ils tombent comme les fleurs fruitières sous la grêle, pétales d’un rose devenu vulgaire, collées aux pavés, détritus sans utilité. Une surprenante sensation, comme un goût, ou une absence de goût. L’intensité, seul préalable, peut s’insinuer dans le fait ou geste le plus banal, jusqu’à le faire exploser dans le sublime. Il suffit – suffit ?! – de tendre les mains, et qu’elles soient vides.

Longtemps je sentais une tristesse obscure en voyant marqués sur une pierre tombale un nom étranger et un lieu de naissance dans un autre pays. L’obscurité était celle qui teinte une émotion simple lorsqu’elle en éveille d’autres, plus troublantes, non admises.

Un amas de lianes et volubiles passe en flottant sur la Mulamutha, comme une île tropicale en miniature qui pourrait héberger des tribus lilliputiennes.

La colère le secouait, comme un chien qui massacrerait un lapin. La rage le chevauchait comme un brutal cavalier sa jument, les éperons enfoncés dans les flancs. Une Furie antique nichait dans son cerveau, exaspérant les neurones jusqu’à la folie.

Je suis venu dans le pays de Soissons pour un jardin, qui n’était alors qu’un terrain rendu aux boutons d’or en émeute contre l’ordre horticole. Je n’étais guère stoïque à l’époque. Plutôt culbuté comme une paysanne par des émotions qui allaient fouiller indélicatement sous mes jupons ; ou bousculé, vieillard effarouché par des sensations décidées à me piquer mon portefeuille, mon portable et ma carte Senior ; et je ne parle pas de ces turbulences que je ne percevais même pas, et qui allaient plus tard soulever mon bateau et le porter à travers une cordillera vers une autre mer.

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