Archives pour juillet, 2008

IMGP0219 « Un jour, aux environs de midi, en me dirigeant vers ma barque, une chose m’a formidablement surpris : j’ai vu une empreinte de pied humain nu sur le rivage, clairement dessinée dans le sable. »

A ce moment célèbre dans la littérature, la longue soif de contact humain de Robinson Crusoë, seul survivant d’un naufrage, rentre en collision avec sa peur de l’autre. Il se cache.

En posant son pied, l’inconnu venu de l’Océan avait créé la particule élémentaire d’un système complexe de communication. Si d’autres l’avaient suivi nombreux et souvent, il se serait formé, pas à pas, un chemin.

Autour de Villeblain, hameau dans la vallée de la Crise, les chemins qui partent vers les quatre points cardinaux sont comme des artères du système circulatoire de ceux – rares aujourd’hui – qui les pratiquent. Par le marais Haudrillier ou le champ de La Matrelle en bas, ou vers les bois du Phénix ou de Concrois en haut, ce sont les traces d’une intention collective durable : « Allons-y ».

Prendre le chemin qui monte à Terres Fortes . Passer devant les dernières maisons, en soutenant le feu roulant des aboiements de chiens, enfermés mais qui doivent rassurer leurs propriétaires en vous faisant croire qu’ils vous arracheraient la gorge s’ils pouvaient. Après, le silence marmonnant et gazouillant d’un chemin creux, entre champs à droite et bois à gauche. Une fourmilière paraît y avoir été déversée par un passant. Percevoir l’entrée de la carrière qui a donné sa pierre couleur crème pour construire le hameau, puis servi de chevrière et, pendant la dernière guerre, d’abri pour les soldats allemands – « avec un piano ! » dit-on pour impressionner les nouveaux. Longer le champ de Terres Fortes, au relief tout en courbes, et où le soc fait monter encore des cailloux dont on fait des tumulus pour les enlever. Entrer dans le bois de Concrois parsemé de creux, comme si des bêtes s’y étaient roulées, faits par des obus pendant la Grande guerre. Il y a même des tranchées à moitié gommées. Aucun endroit, si paisible qu’il soit, n’est à l’abri de l’histoire.

Sortir des bois sur les champs du plateau et atteindre le hameau de Taux, d’où part un second chemin qui redescend à Villeblain à travers les bois. Arriver au marais d’Haudrillier, où le chemin passe au milieu d’un grand champ. Avant, au centre de gravité de cette étendue, il régnait en monarque bienveillant et généreux un grand noyer, abattu pour avoir empêché les longs bras d’une machine agricole de virer librement. Des plantations de peupliers et d’anciens pâtures et vergers mènent à Villeblain, en face du « château » (dont le propriétaire dit « Une maison bourgeoise du 19e siècle, c’est tout. »)

Un chemin peut se développer, supporter une circulation importante, même des véhicules. A quel stade devient-il une route ? Sans doute lorsque deux voies sont établies sur la chaussée, établissant la séparation des voyageurs, au lieu de favoriser leur rencontre.

Car comme pour Crusoë, la question qui importe est de savoir, non pas où va un chemin, mais qui y va.

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A l’origine, la terre appartenait à cinq géants.
Ils vivaient tranquilles, au début.
Les géants étaient tellement imposants qu’ils occupaient tout le globe terrestre.
Ils cultivaient toute les terres car ils avaient grand appétit et ils mangeaient les récoltes jusqu’au dernier grain de blé.
Ils se désaltéraient dans l’eau des rivières et des différentes mers qui à l’époque  n’étaient pas salées.
Ils prenaient des bains et faisaient également leur lessive grâce à toute cette eau et ils en avaient juste assez pour eux cinq!

Mais un jour, un êvenement fit basculer la vie paisible des cinq géants.
Le plus jeune d’entre eux, qui était aussi le plus gai et le plus drôle adopta un comportement étrange.
Il perdit d’un coup son humeur joyeuse et se mit en tête une bizarre lubie:
il décréta que dorénavant il ne mangerait plus que du poisson.
C’etait selon lui, un aliment qui le rendait plus intelligent que les autres géants.
Il prétendait que le fait d’en consommer, lui donnait toujours dans les heures qui suivaient, des idées extraordinaires.

Il se mit alors à avaler toute l’eau de la planète, car il ne savait pas pêcher d’aussi petites bestioles avec ses mains et ses doigts de géant.
Il devenait méchant avec les autres géants quand ils essayaient de s’approcher de l’eau pour boire.
Rapidement les autres géants commencèrent à souffrir de la soif.

Ils auraient pu neutraliser le jeune géant car seul contre quatre, il ne faisait pas le poids, mais les géants étaient très doux et pacifiques.
Employer la force n’était pas dans leurs principes.
Ils se mirent à réfléchir afin de trouver une stratégie.
Il fallait, de l’avis général verser une substance dans l’eau qui dégoûterait le jeune géant d’en boire!
Mais il ne fallait pas tuer les poissons!

Ils décidèrent d’ expérimenter différents produits dans une toute petite mer, la Ligure, petit creux dans l’aisselle de la France et de l’Italie.
Ils commencèrent par verser du sel avec précaution.
Celà ne sembla pas perturber les poissons.
Ils en versèrent encore et encore et aucun poisson ne broncha.
Quand les quatre géants eurent estimé que l’eau avait pris un goût suffisamment immonde, ils firent un test auprés du plus jeune d’entre eux, prétextant lui offrir un verre.
Le jeune géant, à la première gorgée fit une horrible grimace.
“Qui a salé cette eau? C’est imbuvable!”
A cette remarque les autres géants se précipitèrent avec d’énormes salières pour saupoudrer toutes les mers et tous les océans du monde.
“Maintenant, dirent-ils au plus jeune, si tu ne veux pas mourir de soif avec nous il va falloir que tu partages l’eau des rivières, sinon, nous les salerons aussi!”

Le jeune géant reprit vite ses esprits car il n’avait aucune envie de mourir.
Il laissa les poissons tranquilles et prit grand soin des rivières et des lacs car ils étaient devenus les seuls points d’eau à même de le désaltérer.
C’est ainsi que le lac de Monampteuil échappa à la salière des géants et que  l’eau y est restée si douce.

               CM

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Va, cours, petit ruisseau, dans les prés,
Va rafraîchir les troupeaux assoiffés,
Va remplir les arrosoirs des jardiniers,
Va, caresse les truites, les anguilles, les vairons,
Va, chante sur les pierres et les cailloux ronds…

Et moi, pour écouter ta chanson, je viens te voir,
Qu’elle est bonne ta compagnie, laisses-moi m’asseoir
Après la chaleur du jour, qu’il est bon de recevoir
Ta caresse, tes gouttelettes, ta douceur dans le soir…
Sous ta vigueur, mes pensées s’envolent,
Mon corps se vide, ma fatigue s’étiole,
Cours mon rêve, pars avec le ruisseau,
Va rejoindre les lieux, les pays les plus beaux…
Où la vie est douce…, bonne à cueillir….
Dans la tombée du jour, je sens mon âme se recueillir…

Va, cours petit ruisseau dans les prés
Toi gouttelette qui m’a caressée,
Poursuis ta route et reviens demain, ou après
Tu auras traversé, prés, nuages et ondées,
Reviens reposer ma fatigue à la fraîcheur du soir…
Mais la lune s’allume… il me faut te dire bonsoir
Demain est un autre jour et les nuits sont courtes
Va, petit ruisseau, continue ta route
Bonsoir et à demain  sans doute

Jean-Louis Fenioux

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Note : Ce récit est basé sur des faits réels. En 1971 mon père, qui travaillait au Brésil depuis quelques années, organisa une grande expédition au cœur du Brésil, aux confins du Mato Grosso, sur le fleuve Araguaia, au-delà du rio Das Mortes de sinistre réputation.
L’image du joli lac de Monampteuil m’a fait penser aux rives d’un autre lac, au Bananal, où nous avions installé notre campement.

cath_juillet

Après trois jours de voiture sur des pistes poussiéreuses nous étions enfin installés au bord d’une grande lagune. Les bateaux à fond plat en aluminium avaient été amarrés sur une petite plage, les 3 grandes tentes dressées sur un talus sablonneux. Nous étions sur la plus grande ile fluviale du monde : celle du Bananal, formée par deux bras du fleuve Araguaia, au nord du Mato Grosso du Brésil. Pendant la période des pluies toutes la région était inondée, formant un immense marécage, les animaux « terrestres » se confinant sur les hauteurs. Lorsque les eaux se retiraient – nous avions bien sûr choisi cette période – il restait des lagunes comme celle au bord de laquelle nous étions. Le paysage ressemblait à si méprendre à celui d’un beau parc européen, de grands arbres à fleurs jaunes ou rouges se réfléchissant dans les eaux limpides mais, à la différence de l’Europe, ici il n’y avait aucune route, aucun être humain, aucune habitation en pierre dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres ! La piste principale, aussi célèbre que la route 66 qui traverse les Etats Unis d’Est en Ouest s’appelle la BR 153. Elle traverse tout le Brésil, du Sud moderne au Nord sauvage. La similitude entre ces deux routes vient de ce qu’elles sont devenues l’emblème de l’avancée des pionniers américains dans une terre hostile qu’il fallait conquérir. L’atmosphère qui règne dans les stations services jalonnant la route est typique. A l’époque de mon voyage, dans les années 70, la route n’était pas encore asphaltée. Le centre des villages était le poste d’essence. Il ressemblait un peu à ces ports maritimes dans lesquels viennent s’échanger les marchandises. La forêt en était l’élément liquide où on allait naviguer, se perdre ou se noyer. Les chauffeurs des camions étaient les capitaines de vaisseaux à quatre roues décorés de couleurs brillantes, la cabine ornée de gris-gris porte-bonheur. Une faune de candidats à l’émigration hantait ces lieux, quémandant des passages vers la « civilisation » et l’Eldorado des grandes villes du Sud dont ils iraient grossir les favellas et les cohortes de chômeurs. Les tavernes offraient les mêmes services que celles de leurs homologues portuaires : repas copieux, alcools (la cachaças), salles de jeux et… prostitués des deux sexes. Pour parfaire la similitude avec les pionniers nord-américains, on voyait arriver de nulle part des hommes à cheval, aux pantalons et chapeau en cuir, le colt 45 à la ceinture, image parfaite du « cow-boy » de nos westerns.
Mais me direz vous : et les indiens ? Pour une bonne ressemblance il en faut ! Chers lecteurs ne vous en faites pas, il y en a…

Avant de partir nous avions pris contact avec la FUNAI, l’organisme brésilien chargé de la protection des indiens qui devait nous donner l’autorisation de pénétrer en « territoire » indien. Leur recommandation était de se cantonner aux indiens des « réserves » officielles et d’éviter les contacts avec les « indios bravos » (traduisez « sauvages »).
Notre campement était donc en territoire indien, à une cinquantaine de kilomètres (soit environ deux heures de pistes) du village de Santa Isabel, au centre de la réserve. Nous nous étions renseignés sur les indiens de la région : c’étaient des « Karajas ». Aujourd’hui ils ne sont plus que 1800. (A l’époque ils devaient être un peu plus nombreux). Leur vie est dépendante du fleuve Araguaia et de ses cycles. Il y a quatre phases différentes et donc quatre modes de vie adaptés à chaque stade : la montée des eaux, les terres inondées, le reflux et l’étiage. Cette dernière période – dans laquelle nous nous trouvions – est celle de la pêche. Les poissons, piégés par le retrait des eaux dans des lagunes, y pullulent dans une belle concentration qui produit des pêches miraculeuses.
Dans ces endroits retirés, en l’absence de toute autorité policière sur des centaines de kilomètres, nous étions tous armés comme des cow-boys, ceinture et revolver colt 45 au coté, plus une machette. Etre armé, c’est une sorte d’assurance qui permet de faire face à des « mauvaises rencontres » fortuites : crocodiles, serpents, jaguar, indiens ou plus dangereux encore « cangaceiro » (bandit de grand chemin). Dans ce dernier cas il est important que les armes soient visibles pour avoir un effet dissuasif.
Pendant une dizaine de jour nous avons pêché et nous n’avons pensé qu’à cela. Nous mangions un maximum de poissons frais et le surplus était salé et séché au soleil sur des fils tendus entre des arbres. Quand le soleil se couchait des nuées de moustiques se moquaient de nos crèmes répulsives et les crapauds-buffles faisaient un fond sonore étourdissant qui se prolongeait jusqu’à une heure avancée de la nuit. On était à milles lieues de l’image d’Epinal du calme de la forêt amazonienne. Notre guide, un ancien militaire brésilien aguerri, interrogé sur la présence éventuelle d’indiens, nous assurait que nous allions bientôt les voir. « En fait », disait-il, « en ce moment même ils nous observent peut-être. Ils veulent s’assurer que nous n’avons d’autres soucis que la pêche et que nous n’avons pas l’intention de nous installer et construire sur leurs terres. »
L’idée d’être observés dans l’ombre de la forêt faisait courir un petit frisson le long du dos. La nuit, lorsque le vacarme des crapauds avait cessé, tout craquement prenait une tournure menaçante. En fait nous n’avons vu ces indiens qui nous observaient en silence que la veille de notre départ. Ils sont apparus un soir, fantômes issus brusquement de la nuit, pendant que nous buvions du café autour d’un feu de bois. D’abord un « interprète » qui parlait un peu brésilien et qui nous interrogeait sur nos pêches, puis le reste de la troupe, constitué de 4 indiens. Nous leur avons dit que nous partions le lendemain et que nous allions leur laisser des restes de farine de manioc, du riz et du sel. Un vrai trésor pour eux ! Nous sommes restés éveillés très tard, communiquant en partie grâce à l’interprète et beaucoup par gestes. Le lendemain matin ils étaient là avec deux pirogues très fines, creusées dans des troncs d’arbre, qu’ils ont chargé avec les sacs que nous leur avions confectionnés. Ils ne nous ont pas remerciés. Le « major » nous a expliqué que, chez les indiens, le partage est spontané et le remerciement verbal superflu puisque le don est un acte naturel.
Voilà notre vraie rencontre avec les indiens « sauvages » car la visite du village de la réserve a été plutôt décevante et conventionnelle. Dés notre arrivée nous avons été assailli par une horde d’enfants, indiens et métis « caboclos » (issus du croisement noir-indien) qui nous proposaient divers animaux : tatous, tortues, aras, toucan. Le chef (on dit le « cacique »), prévenu de notre arrivée, à vite sorti sa parure de plumes et, moyennant finances, s’est fait photographier avec chaque membre du groupe. Avec fierté il nous a montré son réfrigérateur offert par la FUNAI et qui ne fonctionnait pas faute d’électricité ! En fait il lui servait d’armoire de rangements pour ses poupées indiennes sculptées dans du bois. Tout cela sentait l’artificiel et pour ma part je garderai des indiens le souvenir d’une nuit passée autour du feu de camp, sans plumes ni ornements, avec le sentiment que le courant passait entre nous, fait de silences et de regards plus que de palabres mercantiles.

Aujourd’hui il parait que l’univers des Karajas est menacé. Les crues régulières du fleuve Araguaia, qui constituent l’une des respirations de la vie de ces indiens, perturbent beaucoup la culture extensive du soja. Des barrages vont y remédier. Le remboursement de la dette au FMI et la production de biocarburants sont des arguments qui font taire les scrupules de la FUNAI. Demain les Karajas convertis à la vie moderne ne seront plus que des brésiliens ordinaires et auront oublié leur Divinité primordiale : le Fleuve, à qui ils devaient tout.

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