Archives pour avril, 2009
Il y a des moments où l’écriture faillit. Les mots allaient donner des couleurs subtiles au récit, comme les jacinthes bleuissent les sous-bois, puis soudain ils tombent comme les fleurs fruitières sous la grêle, pétales d’un rose devenu vulgaire, collées aux pavés, détritus sans utilité.
Il devait faire irruption dans la pièce, mon jeune, rentré de sa manifestation. Incendiaire, il prendrait la parole avec tant de précipitation que je n’entendrais pas les premiers mots. « Grandiose, le truc ! Ils ne pourront plus nous ignorer. » Il serait lancé, sa vigueur décuplée, triomphant, s’attendant à ce que le monde fût transformé devant cette exigence collective d’un jour, d’un lieu. Ou il serait froid de colère :« Canalisés comme des rats dans un dédale, par des flics inféodés au grand capital. » Toujours grand, son capital, comme pour tomber avec plus de fracas. Ou, enragé, il me sermonnerait sur le détournement de la république, la « chose publique », c’est-à-dire ce qui vient du peuple et lui appartient au-delà des régimes et des politiques (là je glisse mon propre commentaire, lui emploierait des termes autrement lyriques). Ou avec un suprême mépris, il décortiquerait le public et le privé.« La solidarité des citoyens d’un côté, financée par la nation, et le profit individuel, le retour sur capital, de l’autre, voilà le choix des moteurs pour faire fonctionner la collectivité. Maintenant, le terme « service public » fait ricaner la droite et sourire les socialistes, sert aux syndicats pour protéger leurs acquis, et n’inspire plus que les marginaux de gauche. » La crise actuelle ? « Un accident de la circulation. Et je te fais remarquer » - il avait déjà tenu ce propos, n’arrivant pas à cacher sa fierté de l’avoir formulé - « qu’alors que le capital est héliporté aux urgences, la force de travail reste étendue dans son sang sur la chaussée ! ».
Il me fournirait le discours radical, généreux, dont j’avais besoin. L’écriture de mes mots serait le vent qui soulèverait les drapeaux, gonflerait les banderoles, et fouetterait le sang des manifestants.
La porte s’ouvre, il entre. Je remarque le petit crochet de cheveux au dessus de chaque oreille ; je me demande toujours ce que j’aimerais y attacher.
Mais. Mais ses yeux voient sans regarder, car le regard est tourné vers l’intérieur, vers l’enfer dans sa tête. Il est loin du monde, manifestant ou pas.
Mes mots, qui se mettaient déjà en rang pour être écrits, plongent, comme mon jeune aimerait voir plonger le système capitaliste, rendus caducs, futiles, inutilisables. La vraie vie a cogné sur l’orbite de mon imagination, et je suis perdu dans l’Espace. Entre les mots. A quoi bon écrire ? Les mots sont des mégots dans le ruisseau, et je prétendrais en faire monter mes enchaînements de fumée bleutée.
Le vide.
Mais le vide fait aussitôt son appel d’air. Des mots de rechange s’insinuent, comme de l’eau sous la porte, menaçants autant que réconfortants. Je prends mes notes, j’écris ceci.
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Dans les années 50, la Tunisie était un « protectorat » français. Entendez par là que la France dirigeait le pays sans que le mot de « colonie » n’ait besoin d’être prononcé. Officiellement le pouvoir était dans les mains d’un roi d’opérette, à la tenue chamarrée et à la barbe fleurie, qu’on appelait « sa majesté le Bey » en référence au lointain passé où l’empire ottoman régnait en maître avant que la France ne prenne la relève. En réalité son rôle se bornait à signer sans rechigner les papiers que le « Résident Général de la France » lui présentait, et à décorer les personnages importants de l’ordre du Nisham Iftikar, beaucoup plus imposant que notre légion d’honneur. On trouve aujourd’hui encore ce colifichet en vente sur le site de eBay (clin d’œil au nom de sa majesté ?) mis à prix pour la modique somme de 130 euros !
Tout allait ainsi dans le meilleur de ce qui constituait mon monde si quelques trublions indigènes ne s’étaient mis dans la tête de secouer le joug magnanime de la France et réclamer l’indépendance de leur pays. Certes, le premier des opposants, Habib Bourguiba, avait été promptement mis en résidence surveillée dans une île, mais il ne manquait pas de lieutenants sur place pour entretenir l’esprit d’indépendance. Je n’avais que treize ans à l’époque mais je m’intéressais à tout cela car j’avais le sentiment, qu’en cas de victoire des opposants, j’allais être privé de « mon » pays. Devant moi se dressait le spectre flou qu’ont dû connaître tous ceux que le destin a forcé à l’exil.
Lors d’une manifestation dirigée par un leader syndical tunisien, une organisation secrète française (version anticipée de la future et redoutable O.A.S) tua le syndicaliste. Il en résulta une gigantesque réaction populaire. Moi, je continuais ma petite vie de collégien au Lycée Carnot, situé à quelques rues de la maison de ma tante Nanuzza dont j’ai parlé récemment. Le lendemain de l’évènement, en sortant du Lycée à midi, je me dirigeai vers l’avenue de Paris, une des artères principales de Tunis que je devais traverser pour rejoindre ma maison. Là je fus paralysé par la surprise : une foule immense envahissait l’avenue dans toute sa largeur et à perte de vue dans toute sa longueur. Il n’émanait de cette foule aucun cri distinct. Seul une sorte de grondement grave s’en dégageait. Je restais là près d’un quart d’heure sans que rien ne semble montrer une évolution dans l’écoulement continu des gens. Or le temps passait et je ne voyais pas comment j’allais rejoindre mon logement. Traverser la foule : il n’en était pas question ! Je m’en approchais, espérant entrevoir une faille, mais elle était si compacte qu’avec ma petite taille je n’arrivais même pas à apercevoir l’autre côté de la rue. Des drapeaux rouges frappés du croissant étoilé étaient brandis à bout de bras, semblant défier le drapeau français au fronton des bâtiments publics. Soudain, de ce grondement sourd, s’éleva un cri perçant : le « you you » traditionnel des femmes arabes, qui éclate dans les cérémonies, qu’elles soient joyeuses ou funèbres. Ce cri strident venant du fond de la gorge me paraissait inhumain et terrifiant. Il transforma ma simple peur en véritable panique. Je voulais fuir dans le sens opposé mais mes jambes tremblantes refusaient d’obéir. J’avais du mal à respirer.
La foule mit deux heures à s’écouler. J’aurais dû alors rejoindre le Lycée car j’avais cours l’après-midi mais j’en étais incapable. Je retournai chez moi où ma tante m’attendait en proie à l’angoisse.
A partir de ce jour là, je développai un syndrome d’agoraphobie, c’est-à-dire une terreur de la foule. Heureusement la vie que j’ai mené par la suite ne m’obligea pas à affronter de nouveau les foules redoutées, même en Mai 68, période pendant laquelle l’arrivée dans un tout nouvel emploi me fit passer à côté des grandes manifestations sans que je m’y engage, de peur de perdre mon poste.
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Mercredi 22 heures
C’est ce soir que les fêtes commencent, elles vont durer quatre jours.
Le roi Léon, la mascotte, apparaît au balcon de l’Hôtel de Ville. C’est le délire…La foule massée sur la place explose de joie. « Oui ! ces fêtes, ça va être super ! » se dit Xan, le catalan. Il est venu voir. Il connaît bien celles de Pampelone, et ses moments de folie… il sent qu’à Baïona, il va vivre les mêmes emportements…
Lily n’est pas très loin. Elle, est arrivée de Paris ce matin. Invitée par des amis, elle est venue en curieuse. Ces fêtes de Baïona, elle en a tellement entendu parler… Mais elle se sent mal, dans cette marée humaine…trop ! c’est trop !
Xan a repéré Lily. Il est ébahi par la douceur de son visage, la grâce de son corps, l’éclat de ses cheveux blonds. « Cette fille-là, elle est pour moi se jure-t-il ». Il cherche à se rapprocher d’elle, mais sans succès… La foule est trop dense. Bientôt Lily disparaît .
Jeudi 18 heures
Toute la journée Xan a cherché Lily. Il a arpenté la ville, suivi toutes les animations : défilé des Géants, spectacle de danses, courses de vaches… Rien ! pas de Lily. Le Catalan est désespéré : « ça n’aura été qu’un rêve !!!… » se dit-il.
Mais non ! la voilà, là ! dans l’église au concert. Elle est assise, trois bancs devant, ses cheveux blonds toujours aussi rayonnants. Mais comment l’approcher sans déranger les choristes ?
« Je vais la suivre » se dit-il. Après le concert, elle se dirige vers le match de pelote…Et là, il réussit à se placer dans la rangée, derrière elle. Il pourrait lui toucher les cheveux. Il l’admire, il en prend plein les yeux … Il la regarde si intensément que Lily se retourne… elle lui sourit. Xan sent son cœur bondir ! Mais comment l’aborder avec son français hésitant… et entourée comme elle est, par ses amis …
Vendredi 17 heures 30.
C’est au tour de Lily de remarquer Xan. Il joue avec les copains devant les cornes des vaches. Elle reconnaît son allure d’Espagnol et ses feintes devant la charge des bovins. Elle lui adresse un grand signe lorsqu’il l’aperçoit.
Xan n’hésite plus, il vient la rejoindre et l’invite à boire une sangria…l’occasion de mieux faire connaissance. Mais, pas facile de parler au bar avec les mouvements désordonnés de l’assistance soucieuse d’éviter les coups de corne. Les deux jeunes sont bousculés. Mais enfin, elle sait qu’il est Catalan, il sait qu’elle est Parisienne…
Plus tard au bal, ils vont mieux faire connaissance non seulement par la parole, mais aussi par leurs corps, dans des slows langoureux… Leur amour commence.
Samedi
Désormais ils ne se quittent plus. Après quelques heures de sommeil, ils se retrouvent, à midi, au réveil du roi Léon.
La cavalcade des Géants, escortée par les bandas, l’apéritif concert… ils partagent tout …
C’est au défilé de chars, le soir, que la pression populaire est la plus dense. Il fait chaud et la foule est un peu ivre de chaleur et de boisson !
Xan et Lily se tiennent par la main pour ne pas se perdre… Malgré cela, sur le pont Marengo, la marée humaine les sépare… elle les traîne, les entraîne loin l’un de l’autre. Ils se débattent, hurlent pour se rejoindre mais le son de leurs voix se perd dans le cri des autres… Douleur, fureur, rage… ils ne se retrouveront plus de la nuit…
Dimanche, le dernier jour.
Xan n’a pas dormi, il a perdu Lily. Il a sonné chez ses amis, Personne ne répond. Il ne sait plus où la retrouver. Il traîne, la mine défaite, l’œil hagard, loin de ses copains.
Il sait seulement que Lily doit repartir sur Paris aujourd’hui mais à quelle heure ?
De désespoir, il s’assied sur un banc de la salle des pas perdus, à la gare. Lily ne repartira pas sans qu’il la voie, mais encore ne faut-il pas dormir !
C’est en fin d’après-midi qu’elle arrive, enfin. Cœur en chamade il attend. Va-t-il s’avancer ? L’apercevra-t-elle ? Ca y est ! elle l’a vu ! Ils se précipitent l’un vers l’autre : ils se touchent, se palpent, se soudent … n’imaginant pas la joie de se retrouver…
Mais les pleurs arrivent bientôt … Xan tient le visage de Lily dans ses mains, ses yeux ruissellent, et à son tour il fond ! A nouveau ils se serrent l’un contre l’autre, ils sentent les larmes de l’autre, couler dans leur cou. Ils se promettent mille promesses : se téléphoner, s’écrire, se revoir…au plus vite…
Mais le train démarre, Lily grimpe, une baiser de Xan sur la main… main qui se lève pour un dernier adieu… et qui disparaît au détour de la voie…
Xan s’écroule sur un banc… à quoi bon la vie, à présent, sans Lily. Le soleil a perdu son éclat !
Lily pleure… Baïona !… elle y a laissé son cœur ! Tout à l’heure Paris sera tout gris !
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